Marchés pétroliers : l’OPEP+ a-t-elle toutes les cartes en main ?

Samuele Furfari

Professeur de géopolitique de l'énergie à l’Université libre de Bruxelles
Président de la Société européenne des Ingénieurs et Industriels

Ce week-end, le monde de l’énergie délaissera le Mondial de football pour s’intéresser à la rencontre ministérielle de l’OPEP à Vienne. Des grandes manœuvres sont en cours, non pas tellement pour décider des « allocations de production » - pléonasme employé par l’OPEP pour ne pas parler de « quotas de production », ce qui aurait une connotation négative - mais des positionnements géopolitiques dans le nouveau monde en construction.

Flash-back. Au début des années 1970, dans la droite ligne du malthusianisme, le Club de Rome propage une nouvelle vague de peur en s'appuyant sur des craintes fournies par des ordinateurs : tout le monde a cru que la fin du pétrole annoncée pour 2000 était une vérité scientifique. À l’époque, la modélisation était innovante et donc attractive…

Cela a donné des idées au colonel Kadhafi qui parvint à convaincre les autres pays arabes qu’il fallait utiliser l’arme du pétrole pour contraindre les pays occidentaux à abandonner leur soutien à Israël, provoquant la crise pétrolière de 1973 (une crise de l’approvisionnement pétrolier déclenchée par un embargo pétrolier). La révolution islamique de 1979 en Iran a créé un second embargo pétrolier.

Il n’y a depuis plus eu de telles crises car les soubresauts des prix n’ont plus créé de pénurie pétrolière. Au-delà des terribles conséquences économiques, ces crises - avec notamment des dimanches sans voitures - ont fortement marqué les esprits et fait réaliser combien nos vies modernes sont dépendantes du pétrole qui mérite bien son nom d’or noir. Ce formatage a duré 40 ans. Nous vivons dans l’ère de l’abondance des énergies fossiles de sorte qu’il ne peut plus y avoir d’embargo(1).

L’analyse de la rencontre de l’OPEP doit être faite à la lumière de cette nouvelle situation. Non seulement le grand public ignore cette réalité mais les médias non spécialisés continuent de vivre dans l’ancien paradigme. C’est ce qui explique aussi la popularité, la croyance et la frénésie pour les solutions extravagantes visant à remplacer le pétrole. Mais, et c’est plus grave, des pays producteurs refusent également de voir cette nouvelle réalité. Ils espèrent encore pouvoir avoir un rôle de contrôle sur le marché mondial comme ils l’ont eu pendant une quarantaine d’années.

C’est ce qui explique les différentes positions à Vienne. D’un côté, essentiellement l’Iran et le Venezuela aux positions anti-américaines veulent rester ancrés dans l’ancien paradigme en limitant la production et ainsi maintenir un prix relativement élevé du pétrole brut. De l’autre côté, l’Arabie saoudite et la Russie plaident pour accroître la production de brut de manière à stabiliser le marché du fait des prévisions d’une demande croissante au cours du troisième trimestre de cette année.

Il est plus intéressant de regarder du côté de Washington plutôt que de Vienne…

L’ombre de la guerre par procuration en cours entre l’Iran et l’Arabie saoudite dans différents pays du Proche-Orient sera bien présente lors de la rencontre de Vienne. En accord avec la volonté de Donald Trump de pénaliser le régime des mollahs, les Saoudiens sont déterminés à imposer une fois encore leur position comme ils l’ont d’ailleurs souvent fait du fait de leur position dominante au sein de l’OPEP grâce à leurs vastes réserves. Nous en saurons plus samedi.

Toutefois, il est plus intéressant de regarder du côté de Washington plutôt que de Vienne. L'agence américaine d’information sur l’énergie (EIA) affirme que les prix vont baisser au 2e semestre 2018, en raison d’une forte augmentation de la production de pétrole de roche-mère entraînant une offre supérieure à la demande. En 2019, l'EIA voit l'offre augmenter de 2 millions de barils par jour (Mb/j), contre une hausse de la demande de seulement 1,7 Mb/j. Le pétrole de roche-mère a bel et bien contribué à lancer la contre-révolution énergétique et cela n’est pas près de s’arrêter… D’autant plus que les progrès technologiques pour la production de ce pétrole non conventionnel ne sont pas à leur terme. Avec un coût de production autour de 35 $/baril, les producteurs américains n’ont rien à craindre des décisions qui seront prises ou non lors de cette rencontre de l’OPEP.

Ce que veut Trump, c’est écrire une nouvelle géopolitique du monde…

Une autre menace pèse sur l’OPEP. A-t-on oublié que Donald Trump a déjà annoncé ce qu’il compte faire en matière de pétrole ? Puisqu’il fait ce qu’il a annoncé jusqu’à présent, certains membres de l’OPEP feraient bien d’y prêter attention. Il est sérieux lorsqu’il affirme : « we have ended the war on American energy. […] We are now very proudly an exporter of energy to the world »(2). Il l’est aussi lorsqu’il annonce qu’il est déterminé à obtenir l'indépendance énergétique vis-à-vis du cartel de l'OPEP et de toutes les nations « hostiles » aux intérêts américains.

« En même temps, nous travaillerons avec nos alliés du Golfe pour développer une relation énergétique positive dans le cadre de notre stratégie antiterroriste », précise-t-il. Se préoccuper du volume de l’augmentation de la production de l’OPEP et de la Russie, c’est regarder le doigt quand on montre la lune. Ce qui intéresse Trump, ce n’est pas une hausse de la production de 500 000 barils par jour, voire de 1,5 M/j. Ce qu’il veut, c’est écrire une nouvelle géopolitique du monde et la géopolitique de l’énergie créée par l’abondance des énergies fossiles va l’y aider.

Plus important encore. Le Congrès américain discute actuellement un projet de loi intitulé « Bill to amend the Sherman Act to make oil-producing and exporting cartels illegal »(3) ou en abrégé NO-OPEP. Sur la base du Sherman Antitrust Act de 1890, les États-Unis avaient démantelé en 1911 l’empire pétrolier créé par John Rockefeller car il était devenu trop puissant. Les législateurs américains ont ressuscité cette loi Sherman en vue de l’appliquer à l’OPEP.

Le projet de loi a été présenté à la fin du mois de mai et a franchi sa première étape devant le comité juridique de la Chambre. Son adoption permettrait à l’administration Trump de poursuivre l'OPEP pour avoir manipulé le marché de l'énergie, avec à la clef d’éventuelles réparations se comptant en milliards de dollars. Au stade actuel, il ne semble pas évident de faire passer cette loi mais la détermination de Donald Trump pourrait toutefois faire aboutir cette initiative.

Quoi qu’il en sera, nous vivons des temps de chamboulement intéressants grâce à l’abondance des énergies fossiles…et tous les membres de l’OPEP feraient bien de l’admettre.

Les autres articles de Samuele Furfari

Commentaire

Grégoire Couplet
Cher M. Furfari, Que votre analyse de la géopolitique soit malheureusement pertinente, j'en conviens. C'est d'ailleurs dommage qu'un (sensuré) comme le président des états unis s'appuie sur ses immenses ressources énergétiques aussi fossiles que lui pour tenter de mener une politique énergétique complètement surannée. Ce qui me désole, c'est que depuis des années VOUS martelez un message expliquant qu'on peut continuer à vivre en produisant du CO2 indéfiniment. Est-ce qu'un jour vous allez un jour vous préoccuper de l'avenir de la planète? Comme vous, je pourrais vivre jusqu'à la fin de ma vie dans mon univers doré. Mais si j'essaie de réduire mon impact c'est parce que je pense à mes enfants, mes futurs petits-enfants, etc... Vous vous dites expert en géopolitique de l’énergie? Sans être expert, je peux vous affirmer que les problèmes géopolitiques de déplacement de population qu'on appelle modestement immigration sont causés par notre folie d'auto-destruction de la planète. Cette folie impacte principalement les pays du sud. Le scénario est toujours le même. Changements climatiques, sécheresses, famines, conflits puis fuite des populations. En suivant ce que prônez, ce phénomène ne peut que s'aggraver.
Iannis Solonakis
Monsieur Couplet, je constate sans surprise que vous parlez de CO2, malheureusement, vous parlez d'une chose que vous ne connaissez manifestement pas. Le CO2 n'a rien à avoir avec les variations climatique. Les pollutions sont d'une toute autre nature. Toutes les études sur les climats démontrent que le CO2 suit les variations de températures et jamais l'inverse, de plus le taux CO2 dans l'atmosphère est de 0,04% soit 1 part pour 10.000, je vous invite donc a prendre 10.000 grains de sel et à les goûter puis vous faite la même chose en y ajoutant 4 grains de sucre et vous nous direz si vous avez senti la différence. M Furfari parle de géopolitique de l'énergie, ce sujet vous dépasse mais pour votre information il y a au moins deux pays en Europe qui ont d'énormes réserves d'hydrocarbure et il est plus que temps qu'ils les exploitent n'en déplaise aux gens comme vous!!!
Michel CHENEBEAU
Bravo pour votre réponse à cette éminente personne qui ne semble pas connaitre les études du GIEC, et l'alerte de 15 000 scientifique. Il est temps qu'elle retourne à l'école. Michel
RAFAEl Marquez…
Merci Sam pour cette bonne analyse. Comment tous ces critiques expliquent le réchauffement climatique au moyen age sans voitures et avec une consommation bien moindre de charbon et pourtant un réchauffement climatique de plusieurs siècles le CO2 n explique pas tout.
Grégoire Couplet
Pour les 400 ppm de CO2, le petit détail que vous omettez c'est qu'un tel taux n'avait plus été dépassé depuis un millon d'années. Pas besoin d'une démonstration enfantine pour comprendre que l'humanité joue actuellement à l’apprenti sorcier avec son atmosphère. Au fait, 0,04% font 4 part sur 10000 et pas une... C'est certain qu'avec de telles approximations je ne prendrais pas le risque de manger une de vos préparations culinaires, qu'elles soient sucrées ou salées. Pour le futur impact climatique à venir, on ne sera manifestement jamais sur la même longueur d'onde. Donc rendez-vous dans quelques décennies pour analyser les impacts. Cependant, quel intérêt y a-t-il à dilapider l'ensemble des ressources de la planète en quelque siècles à comparer aux 4 milliards d'années d'existence de la planète ou aux 100000 ans de l’existence de l'humanité? Que feront nos descendants dans 50 ou 500 ans lorsque toute ressource sera épuisé? Je résume en quatre mots : Après moi, le déluge!
Iannis Solonakis
Monsieur Couplet, je suis au regret de vous dire que ce que vous dites concernant le CO2 est faux, je vous invite à voir les conférence du Prof. Vincent Courtillot ou à lire les textes du Prof Richard Lindzen, le taux de CO2 dans l'atmosphère a été plus important par le passé lorsqu'il n'y avait pas de société industrialisée. Cette affaire de CO2 est une vaste escroquerie qui permet à de grands groupes aidés par des lobbyistes à se faire beaucoup d'argent sur le dos des contribuables. Nous pouvons par contre nous rejoindre sur un point particulier, c'est la bonne gestion des sources d'énergie. Outre les hydrocarbures il est possible d'utiliser rationnellement l'énergie solaire via les centrales solaire, il y a l'énergie hydraulique ou encore l'énergie nucléaire pour éviter la pression sur les hydrocarbures mais pour le siècle à avenir les hydrocarbures représenteront plus de 70% de l'énergie consommée dans le monde. N'oubliez pas que l'Asie est en pleine croissance et que l'Afrique n'a pas encore commencé la sienne. L'Europe ne représente qu'une petite partie et ne pèse pas lourd dans la nouvelle organisation de la géopolitique de l'énergie!
Grégoire Couplet
Il est bien plus confortable de suivre quelques climato-sceptiques qui brodent autour de l'un ou l'autre détail sorti de son contexte. Cela permet de se convaincre qu'on peut continuer à consommer à outrance sans rien changer à notre mode de vie. C'est bien moins marrant d'écouter les jérémiades de milliers de scientifiques qui montrent le grave problème actuel en rassemblant un maximum de données factuelles. Malheureusement à la fin, c'était le prophète qui avait raison... Je vous invite à regarder la vidéo suivante https://www.youtube.com/watch?v=WZb-y_N4ZwY
Iannis Solonakis
Monsieur Couplet, la science n'est pas le fait d'une majorité ou non cependant nous sommes des milliers de scientifiques à être des climato réalistes contrairement aux climato alarmistes qui cherchent à créer la peur et la croyance en une nouvelle religion dont les nouveaux prophètes nous promettent la mort dans d'atroces souffrances si nous ne soumettons pas à ce nouveau dogme climato gauchiste. Le climat sur cette planète dépend des cycles de Milankovitch et des variations du champ magnétique terrestre et en aucune manière d'un quelconque CO2!
Grégoire Couplet
Ah, celle là je ne l'avais pas encore entendue. Comparer des cycles de 100.000 ans avec un phénomène anthropique qui a commencé petitement lors de la révolution industrielle et qui impacte la terre de manière croissante surtout depuis un siècle. Encore un bel amalgame. Bien à vous,
Iannis Solonakis
Manifestement vous avez montré que vous ne maîtrisez pas ces notions, il n'y a aucun phénomène anthropique, puisque ceux-ci sont d'une amplitude tellement négligeable qu'ils ne peuvent avoir aucune influence sur quoi que ce soi. Je vous invite à aller voir les relevés de la NASA ainsi que les études de plusieurs spécialiste du climat dont le Prof Salby de l'Université de Sydney. Je pourrais vous parler de la thermodynamique qui contredit vos affirmations car entre autres la théorie liée au CO2 anthropique contredit le second principe de la thermodynamique!
paul NAA
C'est un vrai plaisir de vous lire Monsieur Solonakis , pour enfoncer le clou , proposez donc aux défenseur des théories du réchauffement climatique causé par l'activité humaine de lire et surtout comprendre cet article récent qui ne laisse plus de place aux théories fumeuses d'un effet de serre radiatif auquel participerait majoritairement le CO². "Unified Theory of Climate" Expanding the Concept of Atmospheric Greenhouse Effect Using Thermodynamic Principles: Implications for Predicting Future Climate Change Ned Nikolov, Ph.D. & Karl Zeller, Ph.D. USFS Rocky Mountain Research Station, Fort Collins CO, USA
CHENEBEAU
Je vais faire un effort, imaginons que la majorité des scientifiques se trompe, pourquoi pas. Où est le problème si nous limitons nos consommations ? Le résultat c'est un mode de vie plus sobre et des réserves plus grandes pour les générations à venir : un beau challenge, et un bel héritage ! Michel
amblard
Une fois de plus on assiste au tournoi "de ceux qui savent". Les points d'interrogation ont disparu de la liste des signes de ponctuation. Curieux quand il s'agit d'étiquetés "scientifiques". Chacun convaincu que c'est lui qui sait (?)....... climato/sceptique ou climato/affirmatif. Une majorité de ces débatteurs n'en sait rien scientifiquement parlant, sinon tous. On "affirme des hypothèses" que chacun présente comme des certitudes. Pas exactement une démarche scientifique... Et moi...et moi... S'il n'y avait que les affirmations relatives au climat/CO2 qui participent de cet enfumage du bon peuple...

Ajouter un commentaire

Sur le même sujet