L’AIE a préconisé une plus grande intégration du gaz dans le mix électrique allemand durant l’Energiewende. (©photo)
Le développement massif des énergies renouvelables intermittentes en Allemagne s’accompagne de nouvelles contraintes économiques, techniques et environnementales. A 4 mois des élections législatives, les effets pervers et le rythme de la transition énergétique allemande (Energiewende) sont pointés du doigt par de nombreux analystes.
L’Energiewende : des objectifs très ambitieux
Dès septembre 2010, le gouvernement allemand a publié une feuille de route énergétique pour le pays à l’horizon 2050 (« Energiekonzept »). Déclinée en près de 140 mesures, celle-ci reposait entre autres sur trois grands objectifs particulièrement ambitieux :
- une réduction de 50% de la consommation d’énergie primaire d’ici à 2050 (par rapport au niveau de 2008) ;
- une part des énergies renouvelables atteignant 60% dans la consommation d’énergie finale de l’Allemagne en 2050 et 80% dans la production électrique à cet horizon ;
- une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2020, de 55% d’ici à 2030 et de 80% à 95% d’ici 2050 (par rapport au niveau de 1990).
Dans cette feuille de route, il était prévu d’exploiter les centrales nucléaires actuelles jusqu’en 2036. Près de 3 mois après l’accident de Fukushima, l’Allemagne a modifié cette trajectoire en décidant une sortie définitive du nucléaire (« phase-out ») d’ici à 2022, alors que près de 22% de l’électricité produite dans le pays était générée par cette énergie. Pour accélérer sa transition énergétique, le gouvernement a parallèlement pris une série de mesures privilégiant l’essor des renouvelables, soutenues par des tarifs de rachat garantis.
La production d’énergie renouvelable : de nombreux défis
En 2011, les sources d’énergie renouvelable représentaient 40% des capacités de production maximum électrique de l’Allemagne. Cependant, elles ne généraient que 20% de la production électrique allemande en raison de leur intermittence. Depuis, l’Allemagne a encore augmenté la puissance de son parc renouvelable. En mars dernier, le pays a même réussi à couvrir durant une journée les deux tiers de sa demande intérieure d’électricité à partir de photovoltaïque, d’éolien et de biomasse. Cet essor est toutefois confronté à plusieurs contraintes d’ordre économique, environnemental et spatial.
Face à la diminution progressive de la production nucléaire, une autre source d’énergie doit pouvoir assurer un approvisionnement d’électricité stable palliant l’intermittence des énergies renouvelables, en l’absence de systèmes de stockage de grande capacité. Or, l’option la plus économique reste à ce jour le charbon. L’an dernier, l’Allemagne a encore produit 44,7% de son électricité à partir de lignite et de houille (contre 41,8% en 2010). Cette prépondérance du charbon présente un inconvénient en termes d’émissions de CO2 : 1 MW électrique généré à partir de lignite émettrait près de 1,1 kg de CO2, contre 0,4 kg pour les centrales à gaz actuellement installées (pour rappel, les énergies renouvelables et nucléaire n’émettent pas de CO2 en cours d’exploitation). En 2012, les émissions de CO2 de l’Allemagne ont augmenté de 1,6% par rapport à 2011 alors qu’elles avaient baissé lors des deux décennies précédentes (-25% entre 1990 et 2011).
Toutefois, le critère « CO2 » est pour l’instant relayé au second plan face au coût très faible de la production électrique allemande à partir de lignite, de l’ordre de 30 €/MWh, soit près de deux fois moins que la production d’électricité à partir de gaz. En 2012, l’Allemagne a augmenté de plus de 20% ses importations de charbon américain dont le prix a fortement diminué, sous l’effet de l’exploitation des gaz de schiste(1).
L’énergie éolienne est la principale énergie renouvelable dans le mix électrique allemand (7,3% de l’électricité produite en 2012). Les sites les plus favorables à l’implantation de parcs éoliens terrestres étant désormais équipés, l’Allemagne mise désormais sur l’éolien en mer. A l’horizon 2020, le pays prévoit d’installer 10 GW d’éoliennes offshore (près de 2 000 éoliennes géantes de 5 MW). Cette option va renforcer outre-Rhin le problème sensible du raccordement : près de 4 500 km de lignes à très haute tension devraient ainsi être construites d’ici à 2020 pour raccorder le nord du pays « producteur » et le sud « consommateur »(2). L’investissement nécessaire pour ces seules infrastructures de transport de l’électricité (hors réseaux de distribution jusqu’aux particuliers) atteindrait près de 20 milliards d’euros.
La limite de l’acceptabilité : une contribution trop lourde des particuliers
Le soutien au développement rapide des énergies renouvelables, à travers le système de tarifs de rachat, a un coût important pour l’Allemagne : 17 milliards d’euros en 2012, contre 2,2 milliards en France. Le pays a choisi de faire peser cette charge principalement sur les particuliers, sous la forme de l’EEG, une contribution incluse dans le prix payé par les consommateurs (équivalent allemand de la CSPE française)(3). Au 2e semestre 2012, les ménages allemands ont payé leur électricité près de 85% plus cher que les ménages français (267,6 €/MWh contre 145 €/MWh en moyenne)(4).
Si les sondages révèlent que les Allemands sont encore majoritairement favorables à l’Energiewende, la question du poids que ceux-ci peuvent encore supporter se pose, qui plus est à l’approche des élections législatives de septembre 2013. Le gouvernement a promis de nouvelles mesures après ces élections(5). Le nouveau tournant qui pourrait s’amorcer devra également tenir compte des deux géants énergétiques allemands, E.ON et RWE, qui ont respectivement principalement misé sur le gaz et le charbon. Au-delà des objectifs ambitieux annoncés, l’équation de la transition énergétique allemande reste ainsi délicate.
En 2012, les énergies renouvelables occupaient une part près de deux fois moins importante que le charbon dans le mix de production électrique de l'Allemagne. (©DR)