Hydrogène vert issu d'énergies renouvelables : quelles perspectives ?

Le potentiel du vecteur hydrogène pour décarboner certains usages dépend au préalable de la manière dont il est produit.

L'hydrogène dit "vert" est produit en décomposant les molécules de l'eau à l'aide d'un courant électrique - ce qu'on appelle l'"électrolyse de l'eau" - provenant de sources d'énergie renouvelables. À la différence des carburants fossiles, il ne libère, en brûlant, que de la vapeur d'eau. Ce gaz peut être utilisé pour remplacer le charbon dans les industries ayant besoin de beaucoup de chaleur, comme la sidérurgie. Il peut aussi servir à fabriquer de l'engrais et est perçu comme une solution d'avenir pour faire marcher les bus, les trains et même les avions.

Définition

La production d’hydrogène dit « vert » est produit par électrolyse en utilisant de l’électricité d’origine renouvelable : éolien, solaire, hydraulique, etc.

Le fait de ne pas émettre de CO2 dans l'atmosphère ne suffit pas, ainsi :

Intensité carbone de la production d'hydrogène

L'hydrogène renouvelable ou décarboné est souvent désigné comme "le chaînon manquant" de la transition énergétique de l'industrie et des transports. La France insiste sur la reconnaissance du nucléaire comme moyen de production d'hydrogène bas carbone, alors que l'Allemagne est contre.

La production d’hydrogène « bleu » peut également jouer un rôle dans la transition énergétique, dans les zones disposant de réserves de combustibles fossiles à bas prix, de sites de stockage pour le CO2 et de gazoducs pouvant être convertis pour le transport d’hydrogène.

Des coûts plus élevés aujourd'hui, moins chers demain ?

La filière de l’hydrogène « vert » reste confrontée à de nombreux défis pour participer à la transition énergétique mondiale, à commencer par ses coûts de production élevés (par rapport au procédé de vaporeformage de combustibles fossiles) et les besoins d’infrastructures associés. À l'heure actuelle, près de 95% de la production mondiale d'hydrogène est issue de la transformation d'énergies fossiles (l’hydrogène est dans ce cas souvent dit « gris »). Les émissions de CO2 associées à cette production équivaudraient à celles de l’Indonésie et du Royaume-Uni combinées selon l’Irena (International Renewable Energy Agency)(1).

Selon l'Irena, l'hydrogène « vert » est « actuellement deux à trois fois plus coûteux que l'hydrogène bleu » (c'est à dire produit à partir d'énergies fossiles mais avec capture et stockage du CO2 émis), lui-même plus cher que le gris.

Coûts de production de l'hydrogène

Les coûts de production de l'hydrogène « vert » pourraient être divisés par 3 entre 2018 et 2050. (©Connaissance des Énergies, d'après Irena)

Selon l’Agence, l’hydrogène vert devrait ainsi jouer « un rôle modeste dans la prochaine décennie […] mais apporter une contribution substantielle à l’horizon 2050 », grâce aux futures réductions de coûts attendues pour la production par électrolyse et aux progrès d’efficacité des électrolyseurs.

L'Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena) estime que l'électrolyse à partir d'électricité d'origine renouvelable pourrait être compétitive avec le vaporeformage de combustibles fossiles à l'horizon 2030.

Des doutes qui subsistent

Toutefois, chez Engie, on expliquait encore en février 2024 que ce marché met plus de temps à murir qu'initialement espéré et qu'il est encore difficile de trouver des clients pour acheter de l'hydrogène vert, car encore très cher à générer. Le géant énergétique a reculé de 2030 à 2035 son objectif de production.

Développement « embryonnaire », « marché de niche », le patron de TotalEnergies Patrick Pouyanné est quant à lui sceptique sur l'essor rapide de l'hydrogène vert. "Si nous n'avons pas de marché (...) pour les transports, il sera très difficile de faire baisser les coûts", selon lui. Pour le patron de la major française, "la meilleure façon de produire des molécules vertes est aujourd'hui le biocarburant", issu de la biomasse (matières premières d'origine végétale, animale ou issues de déchets).

"Il y a eu un coup de froid" admettait le directeur-général de McPhy Jean-Baptiste Lucas en juin 2024, "mais pas structurel, conjoncturel", selon lui. "Il est lié à une maturation technologique et à une courbe d'apprentissage un peu plus compliquée que ce qu'on attendait il y a 4 ou 5 ans".

En juillet 2024, la Cour des comptes européenne jugeait les objectifs européens du plan REPowerEU de production de 10 millions de tonnes pour 2030 « irréalistes ».

Une solution à l'intermittence des renouvelables ?

L’IRENA fait état de « synergies importantes » existant entre la production électrique intermittente d’unités de productions renouvelables et l’hydrogène en raison de la capacité de ce dernier à stocker l'électricité excédentaire.

Lorsque les unités de production d'énergie renouvelable, comme l'éolien ou le solaire, produisent plus d'électricité que nécessaire, ce surplus peut être utilisé pour produire de l'hydrogène par électrolyse. Cet hydrogène peut ensuite être stocké et reconverti en électricité lorsque la demande est plus élevée ou lorsque les sources renouvelables ne produisent pas suffisamment d'énergie.

Cette flexibilité offre une solution potentiellement moins coûteuse pour le stockage à long terme de l'électricité, contribuant ainsi à stabiliser les réseaux électriques et à intégrer davantage d'énergie renouvelable dans le mix énergétique.

Ce vecteur « semble sur le point de devenir la solution la moins coûteuse pour stocker de grandes quantités d’électricité durant des jours, des semaines ou même des mois. »(2)

Où en est-on en France ?

En France, la Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné présentée en septembre 2020(3) entend faire « émerger une filière française de l'électrolyse ». Le plan Hydrogène en France vise l'installation de 6,5 GW d'électrolyseurs d'ici à 2030, au sein sept bassins industriels, grâce à 7 milliards d'euros d'investissements. Ces bassins à moyen terme pourraient être interconnectés grâce à des infrastructures de transport.

Une dizaine de projets de giga-usines d'électrolyseurs, d'usines de piles à combustibles, de réservoirs à hydrogène ou de membranes d'électrolyseurs sont annoncés et ont reçu des aides validées par Bruxelles: McPhy à Belfort, Elogen à Vendôme, John Cockrill en Alsace, Genvia à Béziers, Alstom à Aix en Provence (piles à combustible) Forvia dans le Jura, Plastic Omnium à Compiègne, Symbio à Saint-Fons avec Michelin et Stellantis, Hyvia dans les Yvelines (Renault et Plug Power) et Arkema pour des membranes d'électrolyseurs. La filière cherche surtout à acquérir une souveraineté sur l'amont de la chaîne, c'est-à-dire la fabrication des machines qui produiront l'hydrogène ou le stockeront.

Selon l'association France Hydrogène, la France a atteint des capacités de production d'hydrogène dit "renouvelable et bas carbone" de 13 MW en 2022. Au rythme actuel des projets déclarés, le potentiel de production d'environ 1,07 million de tonnes. Au total, la filière devrait compter 100 000 personnes d'ici 2030, contre 6 000 actuellement.

Gigafactories d'électrolyseurs

En octobre 2021, l'implantation de deux premières usines d'électrolyseurs ont été annoncées par Emmanuel Macron : l'une sera dirigée par McPhy à Belfort, et l'autre par John Cockerill en Alsace.

En février 2022, le fonds d'investissement Hy24, créé par Air Liquide, TotalEnergies et Vinci, a annoncé un premier investissement de 200 millions d'euros dans six projets d'hydrogène vert en Europe et au Canada, visant notamment la production de carburants de synthèse pour le transport maritime, l'aviation, et l'industrie. Parmi les projets en France, Sunrhyse dans le Var produira 12 tonnes d'hydrogène par jour pour des usages maritimes et routiers, tandis que Hynovera en PACA transformera de la biomasse en e-kérosène sur l'ancienne centrale à charbon de Gardanne, réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre.

On fait venir de la biomasse sous forme de plaquettes forestières: du bois déchiqueté, que l'on utilise en combustion pour produire du monoxyde de carbone, auquel on rajoute de l'hydrogène dans une réaction de synthèse qui produit un e-carburant [...] et ainsi on produit une molécule qui dans son usage va éviter les émissions de gaz à effet de serre. M. Dufau-Sansot, Pdg d'Hy2gen.

Production éolienne offshore

La société française Lhyfe a inauguré le 22 septembre 2022 à Saint-Nazaire son démonstrateur « Sealhyfe » pour la production d’hydrogène vert renouvelable offshore. Installée à moins d'un kilomètre de l'éolienne flottante Floatgen, qui fournit l'électricité nécessaire, cette installation devrait produire 400 kg d'hydrogène par jour. Le projet est une première mondiale.

Projet d'Engie pour décarboner les mines

Dans le secteur de la mobilité lourde, son projet le plus avancé est situé en Afrique du Sud, dans les mines d'Anglo Americain pour lequel Engie a conçu un démonstrateur mêlant panneaux solaires, électrolyseur, d'une capacité de 3,5 MW permettant d'électrifier un camion de la mine. 

L'idée est de développer ce système dans toutes ses mines dans le monde, c'est le seul moyen de décarboner le secteur minier.

Piles à combustible

L'électrolyseur "vert" du barrage de Pierre-Bénite, près de Lyon, fournit de l'hydrogène à la nouvelle usine de piles à combustible de Symbio, située à Saint-Fons. Cette usine, fruit d'une coentreprise entre Faurecia et Michelin, produira des piles pour véhicules à hydrogène, comme les utilitaires de Stellantis déjà livrés en 2021.

Symbio a signé un accord avec la Compagnie nationale du Rhône et Engie pour la fourniture de 3 à 4 tonnes d'hydrogène par jour dès 2025. L'entreprise prévoit de produire 10 000 systèmes en 2024 et jusqu'à 200 000 par an d'ici 2030, avec la création de 1 000 emplois et la possible ouverture d'une deuxième usine en France, soutenue par un financement européen attendu.

Hydrogène de France (HDF Energy) a ouvert la première usine au monde de piles à combustible de forte puissance, destinées à produire de l'électricité à partir d'hydrogène vert, sur un site symbole de la désindustrialisation, l'ancienne usine Ford de Blanquefort en Gironde.

Bioraffinerie

TotalEnergies et Engie, ayant signé un accord en début 2021, développeront et exploiteront le projet "Masshylia", le plus grand site de production d'hydrogène en France à partir d'électricité photovoltaïque. Initialement prévu pour produire 5 à 15 tonnes d'hydrogène par jour, le projet a été redimensionné pour atteindre 50 tonnes par jour d'hydrogène renouvelable et bas carbone.

Cet hydrogène sera principalement utilisé pour alimenter le processus de production d'agrocarburants à La Mède, permettant ainsi d'éviter plus de 100 000 tonnes d'émissions de carbone par an. Une petite partie sera également destinée à des usages comme le carburant pour camions, bus et transport maritime.

En septembre 2023, TotalEnergies a lancé un appel d'offres d'une ampleur sans précédent pour l'achat de 500 000 tonnes par an d'hydrogène vert, dans le but de décarboner ses activités de raffinage en Europe. Aucun électrolyseur de grande taille capable de produire de telles quantités n'est encore opérationnel dans le monde. En juin 2024, TotalEnergies a décidé de s'approvisionner auprès d'Air Products, qui fournira 70 000 tonnes d'hydrogène vert par an à partir de 2030, pour une durée de 15 ans. Ce contrat est considéré comme une première étape.

Engrais

Un électrolyseur de 100 mégawatts sera utilisé pour produire de l'hydrogène vert destiné à décarboner les processus de l'usine d'engrais azotés Yara, l'un des 50 sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France.

Bourse d'échange de gré à gré

Le producteur français d'hydrogène décarboné Lhyfe a lancé en avril 2024 la première plateforme numérique dédiée aux échanges d'hydrogène de gré à gré entre producteurs et consommateurs à l'échelle européenne. Baptisée Lhyfe heroes, cette plateforme mettra en relation des industriels produisant de l'hydrogène par électrolyse de l'eau avec des clients disposant de leurs propres équipements de transport, souhaitant acheter des volumes d'hydrogène décarboné.

Demain des compléments de rémunération ?

Jusqu'à présent, le gouvernement français a soutenu l'émergence d'une filière hydrogène vert via des aides directes aux producteurs d'électrolyseurs, notamment à travers le plan France 2030 et les programmes européens PIIEC.

Cependant, pour permettre à cette filière de décoller, les consommateurs d'hydrogène vert doivent être soutenus pour compenser les écarts de prix avec l'hydrogène gris, plus polluant mais moins cher, estime Matthieu Guesné, PDG de Lhyfe. Actuellement, l'hydrogène vert coûte entre 5 et 6 euros par kilogramme, contre 3 à 5 euros pour l'hydrogène gris, et entre 10 et 20 euros par kilogramme lorsqu'il est livré par camion.

Guesné plaide pour des compléments de rémunération tant que le marché de l'hydrogène vert n'a pas atteint 10% du marché de ce gaz, soulignant que de tels mécanismes existent déjà dans des pays comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

Et dans le reste du monde ?

Le développement de la filière, en réalité, n'en est qu'à ses débuts. Mais la guerre en Ukraine lui a donné un coup de fouet, en poussant l'UE à doubler ses objectifs de production pour 2030 afin de réduire sa dépendance énergétique à la Russie et d'accélérer sa transition environnementale.

En Europe, l'Espagne et son parc renouvelable dominent. Le pays dispose d'un autre atout : son vaste réseau gazier et ses terminaux de regazéification, qui pourraient être adaptés pour que l'Espagne puisse exporter de l'hydrogène. Pour garantir des débouchés à sa production, Madrid compte notamment sur le futur pipeline sous-marin entre Barcelone et Marseille (H2Med), qui doit permettre de transporter deux millions de tonnes d'hydrogène par an en 2030, soit 10% des besoins estimés en hydrogène de l'Union européenne.

L'Allemagne prévoit de construire jusqu'à quatre centrales électriques à gaz "Hydrogen-ready" d'une capacité de 2,5 gigawatts chacune, conçues pour être converties à l'hydrogène entre 2035 et 2040, avec une date de transition prévue en 2032. Elles sont nécessaires pour compenser l'intermittence des énergies solaire et éolienne, assurant ainsi la stabilité du réseau énergétique, suite à la fermeture des centrales nucléaires et au retrait progressif du charbon. Cependant, le projet suscite des controverses environnementales, techniques, et financières, notamment en raison de l'utilisation continue de gaz fossile pendant plus d'une décennie, ce qui est critiqué par les défenseurs du climat.

Technip Energies, société française d'ingénierie et de services dans l'énergie, et la belge John Cockerill, spécialiste des électrolyseurs, ont crée une co-entreprise belge en mai 2023, Rely, qui ambitionne de devenir un "fournisseur unique" de solutions "compétitives" d'hydrogène vert.

Dans le monde, le plus important électrolyseur a été mis en service par la Chine en juillet 2023, pour une capacité de 260 MW et une production attendue de 20 000 tonnes d'hydrogène bas carbone par an.

Les Etats-Unis concentrent la moitié des projets de production d'hydrogène vert annoncés dans le monde.

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