Fiscalité de l'énergie : la Cour des comptes alerte sur les « choix structurants à faire »

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Fiscalité énergétique en France

À l'horizon 2030, « il est attendu, d’après le ministère de la transition énergétique, une baisse de consommation de gaz de 22% dans le secteur du logement, et une baisse de 39% pour le fioul dans le même secteur, induisant des baisses significatives de rendement de la fiscalité énergétique », souligne la Cour des comptes. (©Pixabay)

La Cour des comptes appelle à « une réflexion structurante sur la fiscalité de l’énergie » dans un nouveau rapport publié ce 6 septembre. Cette fiscalité de l’énergie(1) est marquée en France « par une hétérogénéité des impositions pesant sur les différentes énergies et secteurs »(2). Elle est issue d'une somme de décisions historiques et manque toujours de clarté(3), a fortiori pour les particuliers.

La place de la fiscalité de l'énergie dans la politique énergétique et climatique française (Cour des Comptes, septembre 2024)

Les ménages français face à la fiscalité de l'énergie

En 2022, l'énergie comptait pour 9,5% des dépenses des ménages(4), selon les dernières données ministérielles(5) : un ménage français a en moyenne consacré 3 551 € à ses dépenses énergétiques cette année-là (dont 1 744 € imputables à l’énergie dans le logement et 1 808 € aux achats de carburants). 

Pour les particuliers, « les taxes (TVA incluse) ont représenté 43% du prix hors taxes des énergies pour le logement et 140% pour les transports », souligne la Cour des comptes pour témoigner du poids de cette fiscalité (donnée portant sur l'année 2021).

En outre, l'effet de cette fiscalité de l'énergie sur les revenus des Français est régressif : elle équivaut à « 3,9 % du revenu moyen des ménages appartenant au premier quintile de la distribution des revenus, tandis que ceux faisant partie des 20% les plus aisés acquittent des taxes sur l’énergie représentant en moyenne 1,1% de leurs revenus ». Autrement dit, les taxes sur l'énergie « pèsent davantage sur les plus modestes ».

D'un outil de rendement à une « finalité comportementale »

Suite au mouvement des « gilets jaunes » , qui a bloqué depuis 2018 la hausse de la « composante carbone », les pouvoirs publics ont changé de discours, avec la promesse d'une plus grande « transparence dans l’utilisation des ressources dégagées, devant servir à la transition écologique ». Peine perdue pour la Cour des comptes qui indique que le déficit d'acceptabilité des taxes sur l'énergie n'a été que « faiblement réduit » depuis(6).

Ces difficultés s'expliquent en partie par la finalité initiale de la fiscalité de l'énergie qui est une logique de rendement : cette fiscalité a d'ailleurs rapporté près de 60 milliards d'euros en 2021 (TVA incluse) et les recettes fiscales liées à l'énergies de la France (hors TVA) avoisinent 1,82% du PIB national.

Avec la mise en place de la composante carbone (composante intégrée dans l'accise de l'énergie à partir de 2014), un rôle incitatif, comportemental, a été conférée à la fiscalité de l'énergie en France. Mais « sa place comme outil de la politique énergétique et climatique n’est pourtant pas clairement définie dans les documents stratégiques censés placer la France sur la trajectoire de la neutralité carbone d’ici 2050 ».

Adapter les normes fiscales françaises au droit européen

La Cour des comptes appelle à une plus grande lisibilité de la fiscalité au sein de la politique énergie-climat de la France : cela implique de suivre une orientation claire. Dans le cas d'une orientation « carbone » par exemple, la fiscalité devrait être réajustée de façon à être « mieux alignée sur le contenu carbone des différentes énergies », avec une prise en compte des externalités pour l'environnement et une reprise ambitieuse de la trajectoire de la composante carbone.

Outre l'effort de lisibilité nécessaire, la Cour note que la fiscalité de l'énergie devra évoluer de fait pour prendre en compte les évolutions réglementaires au niveau de l'Union européenne. Ainsi, la révision de la directive européenne « taxation de l'énergie » ainsi que d'autres textes « peuvent conduire à revoir significativement la structure de la fiscalité énergétique en France, et forceraient la sortie de nombreux tarifs réduits ou particuliers », prévient la Cour des comptes.

Les magistrats financiers soulignent notamment la nécessité, pour éviter un contentieux avec le droit européen, de sortir du système dual de TVA sur l’énergie en France (pour rappel, le taux de TVA sur l’abonnement aux offres de produits énergétiques est de 5,5% tandis que celui portant sur la consommation de ces produits est de 20%).

Érosion des bases taxables pour l'État

Autre sujet « peu documenté et débattu » : la création d’un nouveau système européen d’échange de quotas d’émissions de CO2 pour les secteurs des transports et du bâtiment à partir de 2027, qui pourrait, selon la Cour, entraîner une hausse des prix « de 11 à 13% pour le gaz et de 10 à 11% pour le carburant à court terme, remettant en cause les équilibres préexistants sur le niveau des accises de l’énergie ».

Le tout dans un contexte d'érosion des bases taxables pour l'État français : la DG Trésor évalue que les recettes de l'État liées à la fiscalité de l'énergie pourraient baisser de 13 milliards d'euros d'ici à 2030 (soit une baisse de 30% par rapport à 2019), notamment en raison de la baisse attendue des consommations de carburants fortement taxés, dans le contexte du développement des véhicules électriques.

Sources / Notes

  1. « Les objectifs qui lui sont assignés sont difficilement lisibles et le pilotage de son évolution est peu formalisé », souligne entre autres la Cour des comptes.
  2.  « si bien qu’il faudrait plus justement parler de la fiscalité des énergies », souligne la Cour des comptes.
  3. La fiscalité de l'énergie est définie par la Cour des comptes comme « un ensemble composite rassemblant des taxes pesant sur la consommation ou la production d’énergie et ayant donc une incidence sur son prix ».
  4. Pour rappel, les dépenses énergétiques des ménages, « qui ont représenté jusqu’à 12% des dépenses des ménages au milieu des années 1980, tendent à se stabiliser depuis 2012, à environ 9% du budget des ménages », rappelle la Cour des comptes en introduction de son rapport.
  5. Bilan énergétique de la France pour 2022, Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, mai 2024.
    En 2022, la facture moyenne en énergie des ménages français a augmenté de 10% par rapport à 2021 (euros constants) : « les dépenses énergétiques moyennes liées au logement stagnent alors que la dépense liée aux carburants augmente de 23% ».
  6. « tant les déclarations qui ont pu être faites sur le sujet que les efforts de transparence, concrétisés notamment par la publication des rapports sur l’impact environnemental du budget de l’État, n’ont que faiblement réduit le déficit d’acceptabilité des taxes sur l’énergie, et n’ont eu qu’un effet limité sur la lisibilité de la contribution de la fiscalité énergétique à la transition écologique ».

 

 

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