• Source : Jean-Claude Lehmann

La thermodynamique est la branche de la physique qui étudie les échanges d’énergie, notamment sous forme de chaleur, et les transformations de cette énergie dans les systèmes. Elle repose sur des principes fondamentaux, comme la conservation de l’énergie et l’irréversibilité des processus, pour expliquer le comportement des systèmes à l’échelle macroscopique.

Quelques généralités

L’énergie est une notion familière, mais elle peut se rencontrer sous des formes extrêmement variées. Certaines formes sont immédiatement accessibles à nos sens, comme la chaleur (appelée aussi énergie thermique) ou l’énergie liée au mouvement d’un objet, son énergie cinétique. La lumière, et de façon plus générale le rayonnement (visible mais aussi infrarouge, ultraviolet, X ou γ) contient également de l’énergie. D’autres formes d’énergies sont potentielles, c’est-à-dire qu’elles n’apparaissent pas explicitement, mais peuvent être récupérées par transformation en une forme d’énergie accessible. C’est le cas par exemple de l’énergie chimique contenue dans un carburant, de l’énergie d’une masse d’eau accumulée derrière un barrage, de l’énergie électrique contenue dans une pile ou une batterie, ou même de l’énergie chimique contenue dans les aliments que nous consommons.

Jusqu’au XVIIIe siècle, l’énergie utilisée par l’homme était principalement celle de ses bras et de ses jambes, donc celle que lui procure la nourriture qu’il consomme et l’oxygène qu’il respire. Cette énergie provient du soleil, qui fait pousser les plantes et leur donne un contenu énergétique de nature chimique. L’homme a domestiqué le feu pour se chauffer et cuire ses aliments, transformant ainsi le bois, qui puise son potentiel énergétique dans l’énergie solaire, en énergie thermique par combustion. Au Moyen Âge, les hommes ont aussi domestiqué l’énergie du vent et celle des cours d’eau en construisant des moulins à vent ou à eau, voire à marée.

Cependant, deux innovations majeures ont plus récemment bouleversé la gestion de l’énergie et les activités humaines : la machine à vapeur à la fin du XVIIIe siècle et l’électricité à la fin du XIXe siècle. Ces découvertes ont initié de nouvelles révolutions industrielles et sociales, transformant notre approche de l’énergie.

Tout d’abord à la fin du XVIIIe siècle la machine à vapeur, alimentée par du charbon, un combustible fossile, résidus de forêts accumulés pendant des millions d’années. Elle produit une énergie mécanique importante permettant de faire fonctionner toute sorte d’usines, des pompes pour assécher les galeries de mines, les chemins de fer, etc.

Puis à la fin du XIXe siècle, c’est l’électricité, qui permet d’apporter l’énergie partout où on en a besoin et est de ce fait à l’origine d’une nouvelle révolution industrielle et sociale.

La fin du XXe siècle a vu quand à elle une troisième révolution s’amorcer, celle de la communication, mais c’est une autre histoire.

Ainsi l’énergie existe sous des formes variées, soit immédiatement utilisables comme les énergies mécanique et thermique, soit potentielles comme l’énergie chimique contenue dans le charbon, le pétrole, l’eau retenue derrière un barrage, les aliments ou l’énergie électrique contenue dans une batterie. On peut verser de l’essence dans un réservoir, c’est donc une énergie facilement embarquable, mais le meilleur vecteur d’énergie, permettant de la distribuer dans les meilleures conditions, reste l’électricité.

Il est donc possible de transformer une forme d’énergie en une autre. Par exemple, l’énergie chimique contenue dans un litre d’essence peut être transformée en énergie mécanique par un moteur de voiture. L’énergie apportée par le rayonnement peut être transformée en chaleur (il suffit de mettre la main au soleil pour s’en rendre compte), la chaleur d’une chaudière peut être transformée en énergie mécanique par une machine à vapeur, toutes les formes d’énergie peuvent être transformées en électricité. L’énergie chimique contenue dans nos aliments et dans l’oxygène que l’on respire permet de faire fonctionner nos muscles, mais également notre cerveau. De même l’énergie électrique qui arrive dans nos appartements permet de nous chauffer et de nous éclairer, mais aussi de faire fonctionner nos ordinateurs. Il est intéressant de noter que le traitement de l’information, que ce soit dans notre cerveau ou dans nos ordinateurs nécessite pas mal d’énergie.

Cependant, ces transformations répondent à deux règles extrêmement importantes, énoncées dans le cadre de la théorie générale traitant de l’énergie, la thermodynamique.

Le premier principe de la thermodynamique

Il stipule que quelle que soit les transformations considérées, l’énergie totale est conservée. En d’autres termes on ne peut pas créer d’énergie à partir de rien. On a vu ci-dessus plusieurs exemples de telles transformations. Rajoutons-en un : les frottements transforment de l’énergie mécanique en énergie thermique.

Pour appliquer correctement ce premier principe, il est bon de connaître l’énergie potentielle susceptible d’être convertie, par exemple en chaleur ou en énergie mécanique. Ceci est relativement facile lorsqu’il s’agit de l’énergie potentielle dans un champ de pesanteur : une masse d’eau M située à une altitude H a une énergie potentielle égale à MgH où g est l’accélération de la pesanteur (environ 9,8 m/s²). C’est un peu plus compliqué pour un gaz à la température T et sous la pression P, et encore un peu plus pour l’énergie potentielle d’origine chimique d’un litre d’essence, mais la thermodynamique s’applique à tous les systèmes. Sans entrer dans les détails on définit pour un gaz son énergie interne U, et pour un produit chimique son enthalpie H. L’un et l’autre permettent de prévoir l’énergie éventuellement récupérable. Par exemple, la somme des enthalpies de deux espèces moléculaires entrant en réaction permet de prévoir si cette réaction fournira de la chaleur (réaction exothermique) ou en absorbera (réaction endothermique). C’est ainsi que l’on montre que si l’essence permet par combustion de produire de la chaleur donc éventuellement de l’énergie mécanique, l’eau ne permet aucun espoir de ce côté : le moteur à eau est une vue de l’esprit !

Cependant ceci ne permet pas de prévoir ce qui va se passer réellement. Ainsi une réaction endothermique peut très bien se déclencher spontanément en allant chercher la chaleur dont elle a besoin dans le milieu ambiant. Pour en savoir plus, il faut faire aller plus loin.

Le second principe de la thermodynamique

Énoncé pour la première fois par le physicien Sadi Carnot, pour expliquer le rendement de la machine à vapeur, ce second principe énonce le fait que, lors de ces transformations d’une forme d’énergie dans une autre, il existe une certaine part d’irréversibilité. Ceci est important car autrement, on pourrait imaginer de ne faire que transformer les énergies les unes dans les autres sans jamais les épuiser. Ainsi si on prend un litre d’essence que l’on brûle dans un moteur de voiture pour la faire avancer, peut-on récupérer cette énergie lors du freinage et la retransformer en un litre de carburant ? La réponse est que l’on peut en effet en récupérer une partie, ce qui est un facteur possible d’économie d’énergie, mais qu’il est physiquement impossible de la récupérer en totalité. Ceci est lié au fait que certaines formes d’énergie sont plus nobles que d’autres, la chaleur étant la forme la plus dégradée. Au fil des transformations, l’énergie finit par se dégrader en une chaleur irrécupérable. Celle-ci, sans disparaître du fait du premier principe, se perd en quelque sorte dans l’espace environnant. Les physiciens ont traduit mathématiquement cette dégradation en définissant une fonction S, appelée entropie, que l’on peut calculer pour tout état d’un système quelconque. Le second principe se traduit par le fait que pour un système isolé considéré dans son ensemble, l’entropie ne peut que, soit rester constante, soit augmenter, mais jamais diminuer. Ce second principe a tout d’abord été appliqué aux machines thermiques, celles qui transforment de la chaleur en énergie mécanique. Il montre que de telles machines ne peuvent fonctionner qu’en présence de deux sources de chaleur de températures différentes, et que le rendement de la transformation de chaleur en énergie mécanique augmente avec la différence de température entre ces sources. Ainsi par exemple on ne peut pas prendre de l’eau à la mer, en extraire de la chaleur, que l’on transformerait en énergie mécanique, ce qui aurait pour effet de transformer cette eau en glace, puis rejeter cette glace à la mer. En effet dans ce cas il n’y a qu’une seule source de chaleur, la mer. Ce principe permet également de bien comprendre le fonctionnement des machines qui utilisent de l’énergie mécanique pour déplacer de la chaleur, comme les pompes à chaleur ou les réfrigérateurs.

Appliqué à des réactions chimiques, qui pour l’essentiel ne se font pas dans le cadre d’un système isolé, mais échangent de l’énergie avec le milieu extérieur, la fonction qui ne peut que varier dans un seul sens n’est plus l’entropie mais une autre fonction appelée enthalpie libre ou fonction de Gibbs G. Sa connaissance permet de prévoir dans quel sens va se produire une réaction chimique et éventuellement à quel état d’équilibre elle conduit.

Quelques considérations supplémentaires

On peut donner une signification physique plus explicite à ces différentes fonctions en tentant d’en interpréter la signification à l’échelle microscopique. C’est ce que fait la thermodynamique statistique.

Ainsi pour un gaz on peut montrer que l’énergie interne U n’est autre que la somme des énergies cinétiques de toutes les molécules qui le composent plus éventuellement les énergies de vibration et de rotation de ces molécules s’il s’agit de molécules à plusieurs atomes.

Quant à l’entropie, elle est directement liée à la probabilité que ce gaz prenne telle ou telle configuration. Par exemple il est très peu probable que le gaz concentre toutes ses molécules dans une seule partie du récipient qui le contient. L’entropie d’une telle situation est très faible. Au contraire la probabilité la plus grande est que les molécules soient réparties de façon homogène dans tout le volume disponible. C’est l’état d’entropie maximum, correspondant bien à l’état d’équilibre réel du gaz. Ces probabilités se calculent exactement, en tenant compte des effets liés à la mécanique quantique, qui sont essentiels à cette échelle. Une autre interprétation de l’entropie est qu’il s’agit d’une mesure du degré d’ordre ou de désordre d’un milieu. Par exemple une troupe militaire en bon ordre qui se déplace au pas cadencé a une entropie plus faible qu’une foule désordonnée. Le second principe dit donc que tout système isolé évolue vers un désordre de plus en plus grand. Ceci peut paraître curieux si l’on considère l’évolution biologique qui semble produire des systèmes de plus en plus organisés, mais il ne faut pas oublier que le second principe s’applique globalement à un système isolé. Or la surface de la terre n’est pas isolée mais reçoit de l’énergie de la part du soleil. Si l’entropie à la surface de la terre augmente cela signifie qu’elle diminue ailleurs.

Cette interprétation statistique de l’entropie conduit à un troisième principe de thermodynamique. Il postule qu’un cristal parfait à la température du zéro degré absolu (environ moins 273 degrés centigrades) a une entropie nulle. À cette température tous ses atomes sont en effet parfaitement ordonnés et immobiles.

Le physicien franco-américain Léon Brillouin, poursuivant dans les années 1940 les travaux du mathématicien américain Claude Shannon, a en outre montré la relation qui existe entre entropie et information : le traitement de l’information consomme de l’entropie.

Enfin, de façon plus métaphysique, le second principe conduit à penser que l’univers tout entier évolue vers un état de désordre maximum dans lequel toute l’énergie serait entraînée vers sa forme la plus dégradée. Cet avenir inquiétant relève cependant pour le moment plus de la métaphysique que de la physique elle-même. On en reparlera dans quelques milliards d’années.

Pour autant, en nous limitant à notre modeste planète, le second principe explique bien la notion d’épuisement des énergies fossiles que sont le charbon, le pétrole et le gaz naturel : Pendant plusieurs dizaines de millions d’années, l’énergie du soleil a fait pousser des plantes qui ont elles-mêmes nourri des animaux, et les résidus de ces espèces organiques se sont accumulés et transformés en combustibles fossiles. Il s’agit donc d’énergie chimique d’origine solaire, mais accumulée pendant des dizaines de millions d’années. Depuis deux siècles nous récupérons cette énergie chimique pour la transformer en énergie mécanique, en chaleur, en électricité, mais l’essentiel finit sous la forme totalement dégradée d’une chaleur devenue inutilisable car elle est à la température moyenne de notre environnement. Elle est alors définitivement non récupérable. On la nomme parfois chaleur fatale.

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