COP21 : les interviews des « acteurs » de la Conférence de Paris

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Négociations à la COP21

©flickr-UNclimatechange

La rédaction de Connaissance des Énergies était présente à la COP21 au Bourget. Retrouvez ci-après les interviews réalisées à cette occasion. Un autre article (accessible en cliquant ici) présente l'évolution au jour le jour de la Conférence Climat, avec des « moments de COP ».

L'organisation de la COP21 en 5 questions à Pierre-Henri Guignard (30 octobre 2015)

Pierre-Henri Guignard

Pierre-Henri Guignard a coordonné toute l'organisation de la COP21. En arrière-plan, le montage de la salle plénière de la Conférence Climat au Bourget. (©SG COP21)

À un mois du début de la COP21 (30 novembre-11 décembre 2015), nous avions interrogé le secrétaire général chargé de la préparation et de l’organisation de la Conférence Climat, Pierre-Henri Guignard, sur cet événement d'une ampleur inédite en France depuis 1948.

1) Qui est concrètement en charge de l’organisation de la COP21 ?

Un Comité de pilotage ministériel, présidé par le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, a été mis en place pour cette occasion.

Je suis à la tête du Secrétariat général en charge de la préparation et de l’organisation de la COP21. Il s’agit d’une équipe d’une cinquantaine de personnes détachées, essentiellement des ministères des Affaires étrangères, de l’Écologie, de l’Intérieur pour la sécurité et de l'Education Nationale pour les relations avec la société civile et notamment avec les jeunes.

Nous travaillons en étroite association avec l’équipe de négociation qui est dirigée par Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur les changements climatiques.

Nous avons signé avec la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCCC) un « accord de siège »(1) qui détaille les conditions d'organisation de la COP.

2) Où a lieu la COP21 et comment le site est-il organisé ?

L'ensemble de la Conférence se tiendra au Bourget. Ce site a été choisi parce qu'il présente, sur le plan logistique, la meilleure capacité d'accueil et d'accessibilité pour les délégations officielles mais aussi pour la société civile et les médias.

Le Centre de conférence où se tiendront les négociations, aussi appelée « zone bleue », sera géré par les Nations Unies et sera accessible uniquement aux personnes accréditées. Toutes les délégations seront regroupées au cœur de ce Centre de conférence. Deux salles plénières et 32 salles de négociations sont aménagées pour l'événement.

Le Président de la République et le ministre des Affaires étrangères ont exprimé le souhait d'associer largement la société civile (collectivités, associations, entreprises, visiteurs particuliers, etc.) à cet événement. C'est pourquoi, nous avons décidé de créer un espace de 20 000 m²  baptisé « Espaces Générations Climat » qui leur est dédié à quelques mètres seulement de la zone bleue. Ils seront ouverts gratuitement au public, ce qui constitue une première dans l'histoire des COP.

Enfin, la Galerie est un espace d’exposition exclusivement réservé aux professionnels qui a vocation à offrir un panorama des solutions développées par les entreprises pour faire face aux changements climatiques.

Plan du site de la COP21
Plan du site de la Conférence Climat (©SG COP21)

3) Combien de personnes sont attendues lors de la COP21 ?

Près de 40 000 personnes sont attendues lors de cette Conférence dont 10 000 délégués de 195 pays, des représentants de 2 000 organisations non gouvernementales et près de 3 000 journalistes.

Le dernier év2nement diplomatique international d'une telle ampleur en France est la Conférence de Paris en 1948 qui a donné lieu à l'adoption de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Nous devons faire de Paris 2015 une réussite à la hauteur de ce précédent.

4) Quel est le coût de cet événement et comment est-il financé ?

Le budget de la COP21 est de 170 millions d'euros. Il a été voté par le Parlement sur les années budgétaires 2015-2016. Parmi les principaux coûts figurent la logistique de la conférence (75%), les frais de mission du personnel des Nations Unies, de communication et de compensation carbone. 

L'objectif fixé par Laurent Fabius est de rester dans cette enveloppe budgétaire. Près de 20% des frais devraient être couverts par des mécènes privés (parmi lesquels EDF, Engie, La Poste, Ikea, etc.). L'office de Tourisme et des Congrès de Paris considère que la COP devrait rapporter environ 100 millions d’euros à la région Île de-France, du fait des dépenses diverses des participants (hébergement, restauration, achats, etc.).

5) Quelles sont les prochaines grandes échéances d’ici à la COP21 ?

Le chantier du site de la COP21, d’une superficie de 180 000 m², a commencé le 5 octobre. Près de 50 prestataires (environ 3 000 personnes) travaillent d'arrache-pied pour créer une véritable ville éphémère et accueillir dans les meilleures conditions cette Conférence. Sachant que nous devons remettre les clés du centre de Conférence le 28 novembre.

La France organise du 8 au 10 novembre une large consultation ministérielle informelle, la pré-COP, pour avancer sur les négociations alors qu’il reste peu de temps. Il reviendra ensuite à Laurent Fabius, de conclure cette négociation lors de la COP. La COP21 débutera le 30 novembre avec la journée des chefs d'Etat. Les ministres des 195 pays sont attendus dès le lundi 7 décembre.

Patrice Criqui, directeur de recherche au CNRS et responsable de l'équipe économie du développement durable et de l’énergie de l'Université de Grenoble Alpes (2 décembre 2015)

Patrice Criqui

Le deuxième rapport du « Deep Decarbonization Pathways Project » (DDPP) portant sur les émissions de CO2 liées à l’énergie de 16 pays doit être rendu public le 3 décembre 2015. Nous avons interrogé sur ce sujet Patrick Criqui, directeur de recherche au CNRS qui travaille notamment sur la modélisation de scénarios énergétiques et des trajectoires d’émissions associées.

1) En quoi consiste le projet « Deep Decarbonization Pathways Project » ?

C’est un projet qui a été lancé fin 2013 par Jeffrey Sachs qui est l’un des conseillers économiques de Ban Ki-moon et par Laurence Tubiana qui joue un rôle particulièrement important à la COP21. Ils ont convenu qu’il était crucial de disposer, dans chacun des grands pays émetteurs, de scénarios indiquant comment réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 et au-delà afin de converger vers la trajectoire des 2°C.

Dans 16 pays représentant les trois quarts des émissions mondiales de gaz à effet de serre, des équipes de recherche réunissant scientifiques et économistes ayant l’écoute de leurs gouvernements ont effectué ces travaux. Elles ont travaillé durant une année avant de rendre les premiers rapports nationaux présentant une vision du futur énergétique décarboné de leurs pays respectifs. La deuxième version du rapport global, plus élaborée et détaillée que la précédente, sera rendu publique demain.

2) Quels sont les objectifs que vous jugez nécessaires pour atteindre la cible des 2°C ?

Le point focal qui a été retenu pour l’ensemble des 16 pays est de ramener les émissions de gaz à effet de serre liés à l’énergie à près de 1,7 tonne de CO2 par habitant par an à l’horizon 2050. Parmi les 16 pays figurent des pays en voie de développement aux faibles émissions par tête comme l’Inde, le Mexique, le Brésil et l’Indonésie ou aux émissions « moyennes » comme la Chine et l’Afrique du Sud, des pays industrialisés avec des émissions « moyennes » comme les pays européens, le Japon et la Corée du Sud ou encore des pays industrialisés aux fortes émissions comme les États-Unis, le Canada et l’Australie.

Les États-Unis émettent par exemple près de dix fois plus (16,2 tonnes de CO2 par habitant en 2013 selon l’AIE) que la cible envisagée en 2050 tandis que d’autres pays se trouvent aux environs de cette cible et devront réussir à stabiliser leurs émissions. Les situations sont extrêmement variées et le but est de faire converger tous ces pays d’ici à 2050. A cet horizon, la population mondiale devrait atteindre 9 à 10 milliards d’habitants selon les projections démographiques des Nations Unies.

Au total, les scénarios centraux du DDPP envisagent une réduction des émissions de CO2 liées à l’énergie de 56% en moyenne pour respecter la trajectoire des 2°C.

3) Quelles sont les trajectoires énergétiques retenues dans ces scénarios ?

Chaque pays a produit différents scénarios. La première des solutions reste l’efficacité et la sobriété énergétiques : près de 50% de l’objectif final pourra être atteint grâce à la réduction des consommations d’énergie. Le reste du résultat sera obtenu grâce à une décarbonisation du mix énergétique. Il n’y a alors pas 36 solutions : les différentes énergies renouvelables, éventuellement l’énergie nucléaire et la capture et le stockage de CO2, le recours à ces 3 catégories d’options variant selon les pays et les scénarios.

Une série d’actions peut être mise en œuvre en priorité dans les transports, à travers des problématiques d’aménagement urbain de façon à diminuer les besoins de transports et favoriser les transports en commun ou à travers de nouvelles motorisations avec le développement des véhicules électriques ou à hydrogène.

Dans le secteur de l’industrie, l’exemple de la Chine est intéressant : sa transition vers des industries légères a des conséquences considérables sur la consommation d’énergie du pays et ses émissions liées alors que l’économie reposait dans les passé sur les industries lourdes (facteur décisif dans l’envolée de leurs émissions de gaz à effet de serre lors des 20 dernières années).

Dans le bâtiment, les réalités sont très contrastées entre les différents pays : il s’agit d’un des chantiers les importants de la transition énergétique en Europe - c’est très net en France - et au Japon. Dans les pays en voie de développement, il peut y avoir des gains d’efficacité importants mais il y a une tendance à l’augmentation des besoins pour les populations n’ayant pas accès à l’énergie.

4) Quels sont les pays sur la voie d’une «  décarbonisation profonde » et ceux qui en sont éloignés ? Comment situez-vous la trajectoire de la France ?

Il est aujourd’hui difficile de juger l’ambition des différentes INDC (contributions nationales déposées auprès des Nations Unies) qui sont des objectifs très difficiles à manier techniquement : certaines portent sur 2025, d’autres sur 2030, certaines sont formulées en valeur absolu tandis que la Chine a par exemple annoncé sa contribution en intensité carbone (émissions par point de PIB), ce qui nécessite de faire des projections en matière de croissance. Dans ce premier « round », rares sont les pays qui proposent des objectifs très ambitieux et il faudra donc revoir ces contributions dans le futur.

Avec la loi de transition énergétique, la France est assez avancée dans l’identification de sa feuille de route : les objectifs sont bien calés et ne sont d’ailleurs pas nouveaux. En 2003, Dominique Dron, présidente de la Mission interministérielle pour l’effet de serre, a été la première à indiquer que le point focal pour la France devait être le facteur 4 (réduction par 4 des émissions d’ici à 2050 par rapport au niveau de 1990). La loi de transition se cale sur cet objectif.  Avoir une feuille de route est une bonne chose mais il reste à passer à l’acte. Les autres pays doivent eux aussi mettre en œuvre ces politiques de transition.

5) Quel sera le coût de la « décarbonisation profonde » de tous ces pays ?

C’est une question extraordinairement complexe. En gros, l’ordre de grandeur à atteindre pour les investissements dans les technologies bas carbone est estimé à 1 000 milliards de dollars dans le monde par an à l’horizon 2030. Mais il ne s’agit pas d’investissements supplémentaires car l’enjeu est de rediriger vers ces nouvelles technologies les investissements aujourd’hui consacrés aux énergies fossiles.

On ne sait même pas s’il va y avoir un coût puisqu’il est possible que cela déclenche une phase de croissance ou plutôt de développement. Je ne pense pas que l’on retrouve une croissance forte avec la transition énergétique mais cela peut constituer un ballon d’oxygène pour l’économie avec l’émergence de nouveaux produits, de nouveaux services ou encore de nouveaux projets d’aménagements urbains.

Le rapport « New Climate Economy » piloté par Nicholas Stern et Felipe Calderon complète nos travaux. Il dévoile des grands axes stratégiques pour l’agriculture, la ville ou encore l’industrie et regarde l’investissement nécessaire en matière d’infrastructures. Il donne ainsi une bonne idée de ce que pourrait être cette nouvelle croissance.

6) Quelles seront selon vous les conditions d’une COP21 « réussie » ?

Les planètes sont alignées aujourd’hui, un grand nombre d’acteurs jouent le jeu même s’ils ne sont peut-être pas encore prêts à prendre des engagements extraordinairement ambitieux. Toutes les analyses, notamment au sein du GICN piloté par Hervé Le Treut, montrent que les INDC constituent un premier pas mais qu’il faudra accélérer la marche avant 2030.

Pour que les négociations soient bien abouties, il faudrait que les INDC soient actées mais surtout que l’on prévoit qu’elles seront bien révisées dans le futur et que cela ne puisse être qu’à la hausse afin de créer un « effet cliquet ».

La question du financement est également tout à fait essentielle pour attirer l’adhésion des pays en développement. Enfin, il faudra que la question des prix du carbone, et non pas du prix du carbone, soit bien abordée. Dans un premier temps, il faudra accepter que chaque pays ou région ait son système de tarification du carbone. Il n’est aujourd’hui pas possible de négocier un prix unique du carbone mais il est important que les différentes « Parties » indiquent qu’elles s’apprêtent à mettre en place des systèmes de tarification du carbone, soit par des taxes, soit par des systèmes de quotas.

Pascal Canfin, conseiller principal sur le climat du World Resources Institute et ancien ministre français chargé du développement (3 décembre 2015)

L’ONG 350 a annoncé le 2 décembre 2015 à la COP21 que plus de 500 institutions disposant de 3 400 milliards de dollars d’actifs avaient déjà renoncé à certains investissements dans les énergies fossiles. Nous avons interrogé sur ce sujet Pascal Canfin.

1) L’ONG 350 indique le nombre d’institutions ayant « désinvesti » dans les énergies fossiles mais a-t-on une évaluation du montant de ces désinvestissements ?

Non. Les institutions financières qui font état de leur volonté de désinvestir ne disent pas nécessairement sur quelle part de leur portefeuille porte ce désinvestissement. Elles annoncent la « décarbonation » partielle ou complète de leurs portefeuilles. Reste à savoir dans quoi ces institutions réinvestissent mais ces dernières ne communiquent pas forcément cette information et mettent en place leurs stratégies au fur et à mesure.

Auparavant, ces engagements provenaient d’institutions philanthropiques ou concernaient des niches, une petite partie des portefeuilles. Ce qui est vraiment nouveau aujourd’hui, c’est que de plus en plus d’investisseurs « mainstream » comme des fonds de pension ou des compagnies d’assurances prennent des décisions de « décarbonation » sur la totalité de leur portefeuille d’actions. C’est par exemple le cas de la Caisse des Dépôts dont le portefeuille d’actions s’élève à 55 milliards d’euros et d’ABP, le premier fonds de pension néerlandais (100 milliards d’euros).

On est clairement en train de changer d’échelle. La Portfolio Decarbonization Coalition, groupe d’investisseurs qui visait à superviser la décarbonation de 100 milliards de dollars d’actifs va finalement annoncer cette semaine que cette décarbonation concerne un montant 6 fois plus élevé, soit 600 milliards de dollars.

2) Depuis quand ces acteurs se sont-ils engagés dans un mouvement de « décarbonation » de leurs actifs et pour quelles raisons ?

Lorsque j’étais au Parlement européen dans la commission « affaires économiques et monétaires » entre 2009 et 2012, ce sujet n’existait pas. C’est vraiment récent et le point de départ le plus visible est le sommet de Ban Ki-moon sur le climat en septembre 2014. Depuis lors, le mouvement n’a fait que s’accélérer pour 3 raisons.

La première est l’éthique, ce qui constitue la principale motivation des institutions de philanthropie ou des collectivités. La deuxième raison est financière : les indices boursiers bas-carbone surperforment depuis 5 ans, ce qui n’est donc pas simplement lié au cycle baissier du pétrole depuis l’été 2014. La tendance est assez claire lorsque l’on voit que les cours des charbonniers australiens ont perdu 95% de leur valeur sur les trois dernières années.

La troisième raison, plus récente, est réglementaire. La première étape a eu lieu en avril 2015 avec le mandat donné par le G20 au FSB (Conseil de stabilité financière qui regroupe les Banques centrales) d’étudier le lien entre climat et risques financiers. Depuis, Mark Carney, qui est à la fois gouverneur de la Banque d’Angleterre et directeur du FSB, a expliqué qu’il existait un risque qu’il fallait intégrer dans les stratégies d’investissements et dans les informations données aux investisseurs. Suite à la réunion du G20 de mi-novembre, une « task force » sera lancée ce vendredi pour travailler sur la mise en place de standards internationaux concernant la publication par les gestionnaires d’actifs d’informations en matière d’exposition au risque climat. C’est une étape très importante car vous pouvez aujourd’hui vous cacher derrière le fait que les informations ne sont pas disponibles mais ce ne sera plus le cas demain.

Lorsque l’on additionne ces trois leviers – éthique, intérêt financier et règles – cela crée un écosystème qui va faire bouger tout le monde.

3) Quels sont les principaux acteurs ayant « désinvesti » dans les énergies fossiles et comment envisagez-vous l’évolution de ce mouvement ?

Les désinvestissements peuvent être complets ou partiels. Un fonds de pension, une compagnie d’assurance et une banque ne sont pas soumis aux mêmes contraintes qu’une université ou une fondation. La logique de désinvestissements prend nécessairement des formes différentes.

Les exemples d’acteurs financiers impliqués sont toutefois de plus en plus frappants. Quand Allianz, le plus gros assureur allemand se détourne des charbonniers de son pays, c’est un signal très fort compte tenu de l’écosystème culturel et de l’histoire du charbon en Allemagne. Quand la Caisse des Dépôts prend des engagements sur la totalité de son portefeuille, c’est aussi une décision majeure. Ces deux exemples illustrent un changement culturel, profondément stratégique.

L’évolution de cette dynamique dans le futur dépend en partie de la COP21. Si la Conférence Climat permet d’aboutir au premier accord universel sur le climat, cela va permettre d’accélérer le processus. Si on ne trouve pas cet accord, cela va le freiner. C’est une question de dynamique politique.

4) Les désinvestissements touchent aujourd’hui principalement le charbon. Quelles tendances observez-vous sur les différentes énergies fossiles ?

La rationalité financière doit être bien différenciée pour le charbon, le pétrole et le gaz. Le charbon sert essentiellement à la production d’électricité, le pétrole à la mobilité. Le modèle économique du charbon connaît le début de la fin car les énergies alternatives sont de moins en moins chères et n’ont pas d’importantes externalités négatives comme la pollution de l’air. Depuis 2013, plus de la moitié des nouvelles capacités installées sont renouvelables. Le point de bascule a eu lieu très récemment, on est dans la décennie où ça bouge.

Sur la mobilité, on n’y est pas encore, le gros enjeu étant l’électrification de cette mobilité. Le point de bascule se fera plutôt durant les décennies 2020 et 2030. Si l’on avait une mobilité électrique aujourd’hui, ce serait une mobilité « charbon » dans de nombreux pays, il faut donc que la mobilité électrique se développe au fur et à mesure comme la part des énergies renouvelables(4) dans les mix électriques. Il s’agit de deux tendances différentes qui vont à un moment se rejoindre et faire système.

Dans une certaine proportion, le gaz fait partie de la transition énergétique pour accompagner la montée des énergies renouvelables, cette énergie étant moins émettrice que le pétrole et le charbon.

5) Quelles seront selon vous les conditions d’une COP21 « réussie » ?

Il faudra d’abord parvenir au premier accord universel sur le climat. Sans accord, ça sera un échec. On sait que l’accord lui-même ne sera pas un accord « 2°C » mais il faut qu’il rende crédible le retour vers cette cible. Les INDC (contributions nationales déposées auprès des Nations Unies) permettent déjà de passer d’une trajectoire de 4°C à une trajectoire de 3°C et elles seront mises en œuvre s’il y a un accord. Si ce dernier prévoit une révision tous les 5 ans des engagements et que cette révision commence avant 2020, alors on pourra dire que l’accord de Paris est à la hauteur des enjeux. Enfin, cet accord aura une date de début – 2020 – mais n’aura pas de date de fin. Il va nous accompagner tout le siècle, ce qui donne une idée de l’importance historique de cette COP21.

Il faut enfin avoir une vision plus large et je crois à un « pacte 2°C » qui intègre l’accord de la COP mais va au-delà puisqu’il repose également sur les milliers d’engagements qui sont pris à côté et qui ne seront pas dans l’accord. Il s’agit ici de la dynamique politique autour de l’accord mais pas de l’accord lui-même. Si ce pacte de Paris est atteint, on aura réellement fait de la COP21 un événement historique.

Sandrine Dixson-Declève, directrice du Prince of Wales’s Corporate Leaders Group (4 décembre 2015)

Sandrine Dixson-Declève

Les entreprises sont de plus impliquées dans la lutte contre le changement climatique, notamment par le biais de certaines organisations comme le Prince of Wales’s Corporate Leaders Group (CLG) qui regroupe 23 entreprises employant 2 millions de personnes dans 170 pays. Nous avons interrogé Sandrine Dixson-Declève, directrice de ce groupe qui a participé le 30 novembre 2015 à l’appel lancé à la COP21 pour cesser les subventions aux énergies fossiles.

1) Qu’est-ce que le Prince of Wales’s Corporate Leaders Group et pourquoi est-il présent à la COP21 ?

Le Prince of Wales’s Corporate Leaders Group (CLG) a été établi il y a 10 ans en Europe et est placé sous le patronage du Prince de Galles. Il réunit des leaders industriels de différents secteurs souhaitant trouver des solutions concrètes dans la lutte contre le changement climatique. Ces acteurs sont progressistes de nature et appartiennent pour certains à des secteurs comme la construction et l’automobile qui mènent leurs propres combats. L’action n’y est pas facile et nos entreprises veulent pourtant aller vers une « décarbonation » économique.

L’Institut sur le développement durable de l’université de Cambridge (Cambridge Institute for Sustainability Leadership) assure le secrétariat de ce groupe. Notre action porte principalement sur deux points : nous montrons qu’il existe depuis 10 ans une aspiration très nette du monde du « business » à assumer une transition énergétique et un mouvement de « décarbonation ». Nous travaillons à ce titre avec les gouvernements et sommes invités à très haut niveau car ce sont les PDG des entreprises qui nous représentent. Nous qualifions ces travaux de « discussions difficiles » car elles amènent des producteurs d’énergie, des consommateurs « intensifs » et les gouvernements à trouver des solutions ensemble.

Parallèlement à ces travaux, nous réalisons des initiatives très concrètes, notamment autour de l’élimination des subventions aux énergies fossiles, du prix du carbone ou de l’efficacité énergétique dans les bâtiments. Nous regardons les outils et technologies disponibles sur le marché pour aider les différents secteurs à se transformer. Dans le domaine de l’énergie, nous travaillons avec de gros énergéticiens comme EDF et Iberdrola mais également des sociétés pour lesquelles ces problématiques sont cruciales comme Acciona ou le groupe de BTP sud-coréen Doosan.

2) Quelles actions menez-vous pour inciter à mettre un terme aux subventions aux énergies fossiles ?

Nous avons lancé lundi dernier un appel à cesser les subventions aux énergies fossiles avec les Amis de la réforme des subventions aux énergies fossiles (FFFSR). Notre communiqué a déjà été signé par près de 40 pays sous le leadership du gouvernement néo-zélandais. Aucune date n’est pour l’instant prévue pour cesser ces subventions car nous comprenons que cela soit difficile pour certains pays et il faut en particulier travailler avec les pays en développement.

A partir de 2016, nous allons constituer un plan d’actions pour essayer d’éliminer ces subventions le plus vite possible. Le G8 et le G20 ont déjà fait des déclarations allant dans ce sens. Il faut maintenant travailler avec les pays les plus en difficulté sur ce sujet et leur faire comprendre que les subventions ne les aident pas. Elles mobilisent des ressources qu’ils pourraient réinvestir dans les énergies décarbonées ou pour s’occuper des impacts de santé sur la société civile.

3) Que préconisez-vous pour fixer un prix au carbone ?

Avec notre communiqué « Carbon Pricing » rédigé il y a 4 ans, nous étions les premiers à demander un prix du carbone. Nous travaillons actuellement avec différentes sociétés et la Banque mondiale pour établir une coalition sur le prix du carbone. Nous essayons d’effectuer des scénarios assez précis sur les timings adéquats et sur le montant de la tonne de CO2 qui constitue aujourd’hui la principale question.

Après avoir effectué un rapport au niveau européen, nous avons conclu que même avec un prix bas, de 6 euros jusqu’à 20 euros la tonne, une transition énergétique s’est opérée dans différentes compagnies, qu’il s’agisse de producteurs d’énergie ou d’entreprises intensives en énergie. Ces dernières avaient déjà établi le prix du carbone dans leurs stratégies.

Si l’on veut toutefois une transformation significative vers les énergies décarbonées, nous préconisons un prix aux alentours de 50 euros la tonne de CO2.

4) Quelles sont vos autres actions prévues en matière d’énergie ?

Outre nos efforts concernant le prix du carbone et l’élimination des subventions aux fossiles, nous essayons de porter les débats sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Nous ne prenons pas position sur l’énergie nucléaire, les enjeux sont tellement gros qu’il faut avoir un mix qui soit ouvert avec toutes les solutions possibles.

Sur l’efficacité énergétique, nous souhaitons fixer un nouvel objectif avec le Prince of Wales’s Corporate Leaders Group et d’autres compagnies : des bâtiments aux émissions nettes presque neutres pour les nouvelles constructions à l’horizon 2020 en Europe.

Nous avons par ailleurs établi il y a 2 ans une plateforme pour la croissance verte avec 15 ministres européens, des parlementaires, des entreprises, des économistes… Cette plateforme constitue désormais un modèle qui va être reproduit au niveau de l’Alliance des Pays du Pacifique (Chili, Colombie, Mexique, Pérou). Nous allons ainsi travailler avec ces pays d’Amérique latine et notamment avec la présidence de la COP20 (qui a eu lieu l’an dernier à Lima) sur le développement de marchés d’émissions du carbone à l’image du marché européen et sur les collaborations possibles en matière de technologies bas-carbone.

5) Quelles seront selon vous les conditions d’une COP21 « réussie » ?

Depuis la Conférence de Bali en 2007 (COP13) où nous étions les seuls à porter ce message de « décarbonation » du monde économique, nous nous adressons chaque année lors des COP aux gouvernements pour leur demander davantage de clarté et de visibilité sur leurs plans d’actions contre le changement climatique. Cette année est toutefois différente.

Nous attendons ici un objectif à long terme qui nous amène vraiment vers des émissions nettes nulles à la fin du siècle. Nous souhaitons également la mise en place de cycles de révision tous les 5 ans afin d’être sûrs d’atteindre l’objectif des 2°C. Il faut également veiller à régler la question des financements afin que les pays en voie de développement soient en confiance et travaillent sur la voie de la « décarbonation ».

Nous attendons enfin une prise de conscience sur la nécessité de l’élimination des subventions aux énergies fossiles et de la mise en place de prix du carbone même si nous comprenons qu’il sera trop compliqué d’intégrer ces questions dans le texte de l’accord.

Alassane Tiemtore, membre de la délégation du Burkina Faso et directeur des services techniques et de la régulation de l’ARSE (Autorité de Régulation du sous-Secteur de l’Électricité) dans ce pays (8 décembre 2015)

Alassane Tiemtore

Alassane Tiemtore fait partie de la vingtaine de membres de la délégation burkinabè à la COP21. (©photo)

Le Burkina Faso, pays d’Afrique de l’Ouest encore très peu développé, fait partie des membres de l’Alliance solaire internationale lancée en ouverture de la COP21. Nous avons interrogé Alassane Tiemtore sur les enjeux électriques de ce pays.

1) Quelle est la situation électrique du Burkina Faso ?

Au Burkina Faso, nous utilisons principalement trois sources d’électricité : l’énergie hydraulique dont la part reste assez faible, de 10% à 15% de notre consommation d’électricité, la production thermique à partir de fioul dont la part avoisine 45% à 50% et enfin les importations depuis les pays voisins, principalement la Côte d’Ivoire. L’électricité importée est aujourd’hui relativement moins chère que celle produite au Burkina Faso et nous avons l’objectif de connecter notre réseau à l’ensemble des pays voisins pour en profiter.

Les énergies renouvelables sont en cours de développement mais il n’existe à l’heure actuelle aucune centrale de grande envergure. Nous sommes en particulier un peu en retard au niveau du développement du solaire. Certains pays africains bénéficient d’un potentiel solaire plus faible que le Burkina Faso mais ont déjà développé des projets de grande envergure. Dans notre pays, des projets de centrales solaires d’une puissance cumulée de 100 MW, sont actuellement en cours de validation ou en négociations mais ils ne pourront pas être réalisés avant 2017. La biomasse est enfin très faible avec seulement un projet de centrale de 2 MW développé par l’Office national des eaux.

Le taux d’électrification du Burkina Faso atteint enfin près de 18% en 2014 (le taux d’électrification moyen en Afrique subsaharienne est de 31% et près de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité). C’est un taux qui est très faible et nous souhaitons le porter à 60% à l’horizon 2020.

2) Quelles sont les principales ressources dont le pays pourrait tirer profit dans le futur ?

L’énergie solaire est notre principale ressource. Nous disposons au Burkina Faso de près de 3 000 h de rayonnement solaire par an et nous estimons ce gisement à 5,6 à 6 kWh par m2 par jour (soit presque deux fois plus qu’en France). Des études ont également porté sur l’éolien mais nous ne pourrions en tirer que de très faibles quantités d’électricité.

L’énergie hydraulique est aussi très peu développée au Burkina Faso. Nous disposons de 5 à 6 sites hydroélectriques mais de faible puissance, de 3 à 10 MW. Il était prévu de construire une centrale hydraulique de près de 60 MW à cheval entre le Burkina Faso et le Ghana dans le Bassin de la Volta. Celle-ci pourrait néanmoins avoir de petites répercussions sur les centrales en aval au Ghana et le projet, initié en 1996/1997, est aujourd’hui à l’arrêt. Il s’agit du plus grand projet électrique aujourd’hui réalisable au Burkina Faso mais cela a beaucoup d’implications politiques qu’il faudrait régler.

3) Quels sont les freins actuels au développement de l’énergie solaire au Burkina Faso ?

C’était jusqu’ici une question de décision politique et de coût. Le MW photovoltaïque était deux à trois fois plus cher que le MW thermique dans le passé et nous misions donc sur le thermique en raison du manque de moyens et de la nécessité de développer notre parc électrique. Aujourd’hui, la tendance est inversée, le solaire devient même plus compétitif que le thermique en termes de coûts.

Le kWh thermique est à plus de 100  francs CFA (soit 15 à 17 centimes d’euro) avec subventions tandis que les promoteurs du solaire photovoltaïque nous proposent aujourd’hui des coûts moins élevés. Nous sommes un des rares pays dans cette situation où les projets solaires sont plus compétitifs que les projets thermiques. Dans d’autres pays, le solaire requiert des subventions alors qu’il reste compétitif sans ces subventions au Burkina Faso. Reste à bien négocier les contrats avec les producteurs indépendants.

La seule réelle difficulté aujourd’hui est donc l’intermittence du solaire photovoltaïque. Sans stockage, nous entrevoyons aujourd’hui un déploiement du photovoltaïque à hauteur de 30% de la consommation électrique burkinabè à l’horizon 2025-2030. Ce taux de pénétration maximal de 30% est nécessaire pour maintenir la stabilité du réseau selon nos projections actuelles. Tous nos projets photovoltaïques n’intègrent actuellement pas de stockage car le coût de ce dernier compterait pour plus de 40% du coût total. Dans les années à venir, le coût du stockage devrait toutefois baisser et nous pourrons augmenter la pat du photovoltaïque dans notre mix électrique au-delà de 30%.

Nous allons nous fixer ponctuellement de nouveaux objectifs avec la hausse de compétitivité du solaire. Des études sont notamment en cours pour encourager l’autoproduction de petits producteurs et augmenter l’électricité qui pourrait être injectée sur le réseau.

Des projets de solaire thermodynamique sont également à l’étude. Ils ne présentent pas d’inconvénients en matière d’intermittence mais nécessitent beaucoup plus d’argent que les projets photovoltaïques. L’Institut international d'ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE) expérimente un projet de mini-centrale solaire thermodynamique de 10 kW. Des Italiens sont également intéressés et voudraient tester un projet thermodynamique de 1 MW au Burkina Faso. C’est une ressource qui permettrait de stabiliser le réseau alors que le photovoltaïque est intéressant mais présente encore des contraintes en raison de ses fluctuations.

4) De quels financements avez-vous besoin en matière d'énergie et qu’attendez-vous de la COP21 ?

Pour développer un parc solaire photovoltaïque d’une puissance de 120 à 150 MW, le coût associé serait légèrement inférieur à 100 milliards de francs CFA (soit 150 millions d’euros). De nombreux producteurs viennent frapper à la porte et tous les financements viendront d’eux, de l’extérieur du Burkina Faso. Il restera uniquement des questions de garantie qui vont amener l’Etat à mettre des ressources de côté.

En plus du développement de la production, il est nécessaire d’investir dans l’extension des réseaux de transport et de distribution. Et cela demande beaucoup d’argent. Une dernière étude réalisée fin 2014 pour l’initiative SE4ALL (Sustainable Energy for All) a estimé les investissements nécessaires d’ici à 2030 à 1 760 milliards de francs CFA (soit l’équivalent de 2,69 milliards d’euros).

Initiative SE4All au Burkina Faso

Détail des investissements nécessaires au Burkina Faso dans le cadre de l'initiative SE4All

Au niveau du Burkina Faso, nous souhaitons que le développement de prix du carbone stimule le développement de l’énergie solaire, ce qui permettrait de réduire encore fortement son coût. Nous partageons cette ambition du développement de l’énergie solaire avec tous les pays subsahariens comme le Mali, la Côte-d’Ivoire, le Niger, le Sénégal ou encore le Tchad.

Ismael Bachirou, directeur général de l’Environnement et des Forêts et chef de la délégation techniques des Comores à la COP21 (9 décembre 2015)

Ismael Bachirou

Parmi les pays présents à la COP21 figurent les Comores, petit archipel de 800 000 habitants particulièrement vulnérable face au changement climatique. 

1) Quelles sont les problématiques énergétiques actuelles aux Comores ?

Les Comores sont un petit État insulaire confronté à des multiples problèmes de développement, notamment en matière d’énergie. Le pays dépend énormément du gasoil dont les importations constituent un coût majeur que l’État ne peut pas supporter. Nous dépensons en effet chaque année l’équivalent de 30 millions de dollars US en gasoil (soit l’équivalent de 5% du PIB des Comores) à des fins de transports et de production électrique. Cela constitue un fardeau insupportable pour notre économie.

Le pays est confronté à des problèmes de délestage électrique car il manque énormément de gasoil et la société Mamwe qui est en charge de la production et de la vente d’électricité dans le pays n’arrive pas à faire face à cette situation. Il fut un moment où le taux d’électrification avoisinait 60% aux Comores lorsqu’une grande partie des villages et des villes avait été électrifiée. Avec la crise économique que connaît le pays, ce taux a diminué et ce sont surtout les grandes villes qui sont aujourd’hui alimentées en électricité.

Pour ces raisons, le pays a opté pour le développement des énergies renouvelables. Cette trajectoire est encore en gestation mais le gouvernement est conscient qu’il faut passer par ces énergies pour la survie économique du pays.

2) Quelles sont les principales ressources énergétiques dont le pays pourrait tirer profit dans le futur ?

Les Comores sont un pays volcanique et la géothermie constitue l’énergie appropriée à notre développement. Les premières études ont été réalisées et les résultats sont probants sur l’île de Grande Comore (où est situé le volcan Karthala). L’Union des Comores est accompagnée dans ce processus par l’Union africaine et la Nouvelle-Zélande.

Dans d’autres îles de l’archipel des Comores, l’énergie hydroélectrique pourrait être privilégiée pour tirer profit des rivières qui y coulent. Les études issues de la seconde communication nationale sur le changement climatique ont démontré qu’il y avait également un potentiel de développement des énergies solaire et éolienne dans le pays. En revanche, l’exploitation des énergies marines reste encore trop prématurée même si nous sommes entourés de l’océan.

3) Avez-vous une estimation du potentiel des renouvelables aux Comores et des financements nécessaires à leur développement ?

En ce qui concerne la géothermie, une première phase de prospection a eu lieu. La deuxième phase de prospection très approfondie est en cours et permettra de confirmer notre potentiel. Sur cette base, nous pourrons nous fixer des objectifs chiffrés.

Nos besoins de financement liés à nos engagements (INDC) ont été chiffrés à 675 millions de dollars, dont une partie sera dédiée aux actions d’atténuation et une autre à celles d’adaptation au changement climatique.

Nous avons notamment une stratégie énergétique nationale qui vise entre autres à réhabiliter notre réseau de distribution électrique qui est très ancien et vétuste, ce qui entraîne d’importantes pertes entre le volume d’électricité que nous produisons et celui d’électricité distribuée à nos ménages.

4) Quels objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre se sont fixés les Comores ?

Les actions prévues en matière d’atténuation du changement climatique dans notre INDC concernent les énergies renouvelables et la reforestation. A travers ces deux programmes, nous estimons pouvoir diminuer de plus de moitié les émissions de gaz à effet de serre au niveau des Comores.

Hors électricité et transports, nous utilisons encore du pétrole « lampant » pour les cuissons. Dans le passé, la forêt a été détruite car les gens y cherchaient du charbon pour la cuisson mais aussi du bois de chauffe. Cela constituait une perte énorme de forêts et le gouvernement a donc eu l’idée de diminuer le prix du pétrole afin que les ménages pauvres puissent accéder à ce produit pour les décourager à aller détruire la forêt.

A l’horizon 2030, notre objectif est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 84% par rapport à un scénario de « laisser-faire ». A condition de disposer des financements nécessaires pour appuyer l’économie comorienne et développer les énergies renouvelables, en l’occurrence la géothermie.

5) Quelles seraient selon vous les conditions d’une COP21 « réussie » ?

Une COP21 réussie devra être être inclusive et prendre en compte les préoccupations des uns et des autres, notamment des petits États insulaires et des pays les moins avancés qui sont les plus vulnérables aux impacts du changement climatique. Si l’on arrive à intégrer les « pertes et dommages » liés au changement climatique au sein de l’accord de Paris, ce serait une grande réussite car nous n’arrivons pas à supporter les coûts des événements extrêmes comme les cyclones, les sécheresses ou les inondations. Il faudrait qu’il existe un mécanisme international prenant en charge les conséquences de ces phénomènes.

Au niveau des Comores, nous ressentons déjà les impacts du changement climatique. Parmi les impacts « lents », nous constatons une remontée des eaux marines qui grignotent du terrain sur les régions côtières, ce qui touche plus de 70 000 personnes. Des phénomènes tels que les cyclones et les inondations témoignent des impacts plus immédiats du changement climatique. En 2012, de grandes inondations ont fait des morts aux Comores et engendré un déplacement de la population, ce qui constituait un exemple de migration climatique. 

Tous ces phénomènes sont ainsi déjà ressentis par les Comores et c’est pourquoi nous demandons à intégrer le mécanisme de Varsovie qui vise à prendre en compte les pertes et préjudices liés au changement climatique.

Stéphane Chatelin, directeur de l'association négaWatt (10 décembre 2015)

Les discussions consacrées à l’énergie à la COP21 ont principalement porté sur les désinvestissements des énergies fossiles ainsi que sur les initiatives favorisant le développement des énergies renouvelables. Il n’a en revanche pratiquement pas été question de « sobriété énergétique ». Nous avons interrogé Stéphane Chatelin, directeur de l’association négaWatt qui en fait un outil central de la baisse de nos consommations d’énergie dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

Stéphane Chatelin

1) Vous venez d’actualiser le manifeste négaWatt. Quels en sont les principales conclusions ?

L’objectif de notre scénario est de parvenir en France à un mix énergétique reposant à 100% sur les énergies renouvelables (EnR) en 2050. L’essentiel de ce travail qui repose sur le triptyque sobriété/efficacité/énergies renouvelables est réplicable dans d’autres pays.

Notre manifeste datait d’il y a un peu plus de 3 ans et le contexte énergétique a beaucoup évolué depuis. Les scénarios 100% énergies renouvelables sont aujourd’hui abordés à la COP et dans beaucoup de discussions (l’Ademe a remis en octobre une étude sur un mix électrique 100% renouvelables à l’horizon 2050). L’éolien et le photovoltaïque sont beaucoup plus compétitifs qu’il y a 3/4 ans. Nous avons donc souhaité porté un regard neuf sur ce paysage énergétique et nous actualiserons les chiffres de ce scénario l’an prochain.

2) Comment pouvez-vous concrètement parvenir à ce scénario 100% EnR ?

Nous ne pouvons pas rester sur les niveaux de consommation actuels. La loi de transition énergétique en France fixe d’ailleurs un objectif de division par 2 des consommations d’énergie d’ici à 2050. Pour y parvenir, les efforts devraient porter sur la sobriété et l’efficacité énergétique à peu près à parts égales.

Près de 56% de cet objectif pourrait être atteint grâce à la sobriété avec une meilleure intelligence de nos usages énergétiques, ce qui implique de supprimer tous les gaspillages identifiés dans les différents secteurs. Dans un bâtiment de bureaux, 30% de la consommation d’électricité est par exemple gaspillée lorsque personne n’y est présent : la ventilation fonctionne la nuit, des machines à café et distributeurs de boissons fonctionnent 24h sur 24, des ordinateurs restent allumés en permanence…

Dans les transports, les modes « doux » comme le vélo ou la marche à pied sont à privilégier pour les déplacements de moins de 3 km qui constituent la grande majorité de nos déplacements au quotidien. Dans l’industrie, on peut limiter les suremballages et réintroduire une consigne du verre. Au niveau des politiques publiques, il s’agirait notamment de limiter l’étalement urbain qui entraîne une plus grande consommation de ressources et d’énergie. La sobriété énergétique n’implique surtout pas une privation mais une façon plus intelligente de consommer l’énergie.

L’efficacité énergétique a également un rôle très important à jouer avec notamment la rénovation thermique performante de l’ensemble du parc immobilier français, l’amélioration de l’efficacité des appareils électroménagers, des appareils de froid, de l’éclairage ou encore des process industriels, l’amélioration des rendements des véhicules…

En réduisant ces consommations, nous pourrons satisfaire 100% de nos besoins à partir des énergies renouvelables. Dans les bâtiments, il sera par exemple possible de se chauffer davantage à partir de biomasse et de satisfaire les besoins d’électricité à partir de panneaux photovoltaïques sur les toitures ou d’éoliennes à proximité du lieu où l’on habite.

Dans les transports où l’on dépend encore à plus de 90% du pétrole, un report modal vers les transports en commun est nécessaire. Pour la voiture individuelle, nous privilégions dans notre scénario les véhicules électriques en milieu urbain mais nous militons essentiellement pour des véhicules alimentés au biogaz. Notre potentiel de développement de ce gaz d’origine renouvelable est important en France et ce n’est pas du tout une prouesse technologique, des millions de véhicules roulant déjà au biogaz à travers le monde.

3) Quel est le mix de production renouvelable que vous envisagez en 2050 ?

La biomasse restera la première source d’énergie renouvelable en France et aura un rôle très important à jouer. Elle pourrait couvrir près de la moitié de nos besoins d’énergie en 2050, principalement pour les usages de chaleur mais aussi indirectement pour la mobilité avec la production de biogaz. La production d’électricité reposera surtout l’éolien et le photovoltaïque qui ont un fort potentiel de développement, le potentiel hydroélectrique étant déjà bien exploité.

Dans notre scénario, nous avons modélisé heure par heure le système électrique jusqu’à 2050 et nous pensons que nous n’aurons pas besoin d’énormes moyens de stockage. Compte tenu de la réduction de nos consommations d’électricité – qui sera toutefois plus faible (réduction de 25% d’ici à 2050) que celle de nos autres consommations d’énergie compte tenu des nouveaux usages liés à l’électricité (comme le développement des véhicules électriques ou d’autres usages encore non identifiés à l’heure actuelle) - nous pourrons compter sur les capacités hydrauliques de plusieurs gigawatts, facilement pilotables, dont nous disposons déjà. Lorsque nous aurons moins de vent et de soleil, nous pourrons également utiliser en back-up des centrales thermiques qui utilisent aujourd’hui des combustibles fossiles mais qui pourront produire de l’électricité à partir de biogaz dans le futur.

Lors des périodes de surproduction (avec beaucoup de vent et de soleil et des consommations peu élevées), nous pourrons convertir l’électricité excédentaire en gaz via la méthanation et le gaz ainsi produit pourra notamment alimenter des véhicules. Dans notre scénario négaWatt 2011, nous proposions de ne pas mettre en service l’EPR de Flamanville. Nous n’en aurons pas besoin pour répondre à nos besoins électriques selon notre scénario et avoir une seule unité en fonctionnement ne nous paraît pas cohérent dans une logique de fermeture de l’ensemble du parc nucléaire existant à l’horizon 2030/2035. Mettre en route l’EPR pour l’arrêter dans 20 ans n’aurait pas de sens non plus avec le démantèlement nécessaire.

Scénario négaWatt

Scénario négaWatt sur l'évolution de la consommation d'énergie primaire en France d'ici à 2050 (©négaWatt)

4) Quelles seraient les conséquences de ce mix en matière de coûts et d’emprise au sol ?

Au niveau des coûts, nous avons d’abord effectué des études d’impacts en matière d’emplois créés et détruits. A l’horizon 2030, nous envisageons plus de 600 000 créations nettes d’emplois directs ou induits par cette transition énergétique, notamment dans le secteur des bâtiments pour rénover l’ensemble du parc immobilier, dans les énergies renouvelables qui permettront de créer davantage d’emplois que les énergies fossiles que nous importons et enfin dans les transports collectifs.

En regardant l’impact économique global, nous constatons que le retour sur investissement sera plus intéressant à long terme que le scénario de poursuite des tendances actuelles. Les investissements nécessaires avec un mix énergétique pratiquement inchangé sont effectivement moins importants mais nous devons payer une facture énergétique de près de 60 milliards d’euros(1) en raison des importations d’énergies fossiles. Nous pouvons transférer ces dépenses vers des investissements dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Il restera un effort à fournir mais nous allons dans tous les cas arriver à une période d’investissements lourds dans le secteur électrique. Le renouvellement du parc nucléaire serait en effet également coûteux, d’autant plus que les centrales ont été construites en un laps de temps assez court et devraient toutes arriver en fin de vie en 10 à 15 ans.

Pour le solaire photovoltaïque, nous envisageons un parc d’environ 80 GW installés en 2050 (contre 5,3 GW à fin 2014 selon RTE). En termes d’espace, nous avons amplement les surfaces de toitures (bien exposées) nécessaires pour accueillir ces 80 GW. Mais nous ne nous interdisons pas pour autant l'installation de parcs au sol sur des terrains qui n'auraient pas pu accueillir d'autres activités : friches militaires, friches industrielles, etc. On peut même imaginer l'installation de ces parcs sur des terres agricoles destinées à l'élevage, les ovins pouvant tout à fait cohabiter avec les panneaux.

Pour l'éolien, nous envisageons également un parc de près de 80 GW installés en 2050, dont presque 50 GW à terre (contre 9,1 GW à fin 2014). Cela correspond, à terre, à un peu plus de 16 000 éoliennes de 3 MW. Nous estimons la surface au sol associée à environ 16 000 hectares, soit 160 km2. Cette surface doit être comparée à la surface « artificialisée » chaque année en France (près de 900 km2). Dans le scénario négaWatt, couplé au scénario Afterres qui regarde précisément l'évolution des usages des sols en France, nous réduisons fortement l'artificialisation des surfaces agricoles, notamment par une diminution de l'étalement urbain dû aux nouvelles zones pavillonnaires et par une réduction des nouvelles zones commerciales. En matière d'occupation d'espace, le bilan global serait alors très nettement positif.

5) Quel message portez-vous à la COP21 et qu’en attendez-vous ?

Notre message est tourné vers la sobriété énergétique comme pièce indispensable d’un accord climatique. Evidemment, il ne figurera pas dans l’accord de Paris puisque le mot « renouvelables » en est déjà quasiment absent. Nous ne pouvons pas non plus demander aux pays ayant de très faibles consommations d’énergie d’être un peu plus sobres. Eux ont un besoin vital d’accès à l’énergie. Les classes moyennes des pays en développement ont souvent pour modèle les pays riches et pourraient suivre notre voie d’ébriété énergétique. Il faut que nous commencions par montrer l’exemple en supprimant ces gaspillages afin que les pays émergents aillent dès le départ vers une consommation intelligente de l’énergie.

Nous sommes intervenus mardi en séance plénière pour représenter les RINGO, c’est-à-dire les organismes de recherche et d’expertise indépendants en matière d’énergie, pour indiquer aux parties prenantes de la COP que les centres de recherche et d’expertise sont là pour les appuyer dans des politiques énergétiques ambitieuses sans entraîner de restrictions pour les populations. Il ne faut pas qu’ils aient peur de prendre des engagements forts.

Il n’y aura pas un marqueur particulier qui nous fera dire si la COP est « réussie », il faudra voir la globalité de l’accord. L’objectif de long terme sera important – 1,5°C ou 2°C – et surtout les moyens d’y parvenir, notamment sur la révision des INDC.

Bob Perciasepe, président du think tank américain C2ES (10 décembre 2015)

Bob Perciasepe

Le Center for Climate and Energy Solutions (C2ES) fait partie des 5 think tanks environnementaux les plus influents au monde selon l’Université de Pennsylvanie. Nous avons interrogé son président, Bob Perciasepe, sur les enjeux énergétiques des États-Unis et son regard sur la COP21.

1) Quelles sont les principales politiques environnementales liées à l’énergie aux États-Unis ?

Dans le domaine des transports, l’EPA (Environmental Protection Agency) réglemente les émissions de gaz à effet de serre en grammes par mile. Les limites d’émissions peuvent être ensuite traduites en termes de consommation (miles par gallon) afin que cela parle aux consommateurs. Concrètement, les véhicules devront consommer en moyenne 54 miles par gallon d’ici à 2025 (ce qui correspond à une consommation d’environ 4,3 litres aux 100 km), soit une diminution par deux de leur consommation actuelle ainsi que des émissions de gaz à effet de serre associées.

Le Clean Power Plan qui vise à réduire les émissions de CO2 liées à la production d'électricité de 32% d'ici à 2030 (par rapport à 2005) est une autre politique centrale. On peut également citer la lutte contre les fuites de méthane et le développement des énergies renouvelables. La réduction des émissions d’hydrofluorocarbures (HFC), gaz à effet de serre au très fort pouvoir de réchauffement climatique provenant de l’air conditionné et de la réfrigération, est également une politique importante aux États-Unis reposant sur le protocole de Montréal.

2) Les États-Unis sont désormais les premiers producteurs mondiaux de gaz et de pétrole grâce aux hydrocarbures de schiste. Quelle place occuperont ces derniers dans le futur ?

Il faut rappeler que le pétrole est principalement consommé dans les transports tandis que le gaz est utilisé pour chauffer des habitats et l’eau sanitaire, pour la cuisson ou encore pour la production d’électricité. La consommation de gaz est amenée à augmenter mais celle de pétrole devrait rester stable, voire décliner, selon le nombre d’automobilistes dans le futur, en raison des nouveaux standards de consommation.

Nous savions déjà que nous disposions d’importantes réserves de pétrole mais ce sont des technologies comme le forage horizontal et la fracturation hydraulique qui les ont rendues accessibles. Il y a énormément de ressources mais je ne sais pas combien de temps elles seront exploitées. A l’heure actuelle, les Etats-Unis ne peuvent pas exporter de pétrole mais cette interdiction est débattue au Congrès.

3) Sur quelles énergies repose la production américaine d’électricité et comment va évoluer ce mix ?

Il y a quinze ans, le mix électrique des États-Unis reposait environ pour moitié sur le charbon, à 20% sur le nucléaire, le reste étant fourni par les énergies renouvelables et le gaz naturel. Aujourd’hui, la part du charbon avoisine 35%, celle du gaz naturel 33%, celle du nucléaire est toujours d’environ 20% et les énergies renouvelables ont augmenté leur contribution à un peu plus de 10% du mix.

Dans le futur, les parts des énergies renouvelables et du gaz naturel vont continuer à augmenter tandis que celle du charbon va baisser. Les principales énergies renouvelables devraient rester l’éolien, le solaire et l’hydroélectricité.

Il ne devrait pas y avoir d’évolution significative de la part de l’énergie nucléaire d’ici à 2030. Des centrales vont fermer mais 5 nouveaux réacteurs sont en cours de construction. Nous disposons d’un parc d’environ 100 réacteurs nucléaires et une grande partie d’entre eux vont devoir renouveler leur licence d’exploitation. A cette occasion, les réacteurs doivent être modernisés, ce qui peut leur permettre de produire davantage d’électricité par la suite. La durée de vie de certains réacteurs ne sera toutefois pas prolongée pour des raisons économiques.

4) Quelles seront selon vous les conditions d’une COP21 « réussie » ?

Un accord fort mettant en place un système transparent pour les INDC. Un cycle de révisions tous les 5 ans me paraît raisonnable pour évaluer ce que les différents pays font bien qu’un délai de 4, 6 ou 7 ans ne me choquerait pas. Chaque révision aura lieu lors d’une COP, durant laquelle les pays présenteront leurs résultats, ce qui constituera un système de « peer review ». Il faudrait que ce système de révision débute en 2020, soit à peu près à un tiers ou à mi-chemin des engagements de réduction des émissions des pays (objectifs généralement fixés à l’horizon 2025/2030).

Une autre condition de réussite de la Conférence de Paris concerne les financements. L’engagement pris à Copenhague de 100 milliards de dollars par an de financements pour les pays du Sud devrait constituer un montant minimal après 2020. Et les besoins liés aux « pertes et dommages » devront notamment être éligibles à ces fonds.

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