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Les pêcheurs sont prêts à l'affrontement, la Marine nationale déploie ses bâtiments : en cette fin de semaine, c'est veillée d'armes en baie de Saint-Brieuc, où doit débuter lundi le chantier de construction d'un parc éolien, vivement contesté par les pêcheurs. Après plus de dix ans de concertations inabouties, le premier coup de pioche de cet énorme chantier, pour une mise en service du parc prévue fin 2023, se profile dans un climat délétère.
"L'État joue avec le feu", résume Alain Coudray, président du Comité des pêches, qui regroupe les 800 marins-pêcheurs des Côtes d'Armor, déjà préoccupés par les conséquences du Brexit. Ceux-ci réclament l'annulation du projet, faute de garanties sur la préservation des ressources halieutiques, dont la précieuse coquille Saint-Jacques de la baie, qu'ils gèrent de manière durable depuis plusieurs décennies avec l'Ifremer.
Fixé sur les fonds marins, ce parc est l'un des sept attribués par l'État depuis 2012, dans le cadre du développement des Energies marines renouvelables (EMR). Il doit être érigé à 16,3 kilomètres des côtes les plus proches, le Cap Fréhel et le port de pêche d'Erquy, une petite station balnéaire, deux secteurs classés.
« Défendre les ressources marines »
D'une capacité de 496 MW, avec 62 éoliennes de plus de 200 m de haut et 30 à 42 m sous l'eau, il est censé produire 1 820 GWh par an, l'équivalent, selon son promoteur, de la consommation électrique annuelle de 835 000 habitants.
Outre les 800 emplois en mer, la pêche génère environ 2 400 emplois à terre, selon le Comité départemental. Le parc éolien, lui, devrait créer sur le territoire une centaine d'emplois de maintenance, selon son promoteur, Ailes Marines, qui appartient à 100% au groupe espagnol Iberdrola. "On avait proposé des mesures correctives pour le projet, mais on n'a pas été entendus par le préfet", déplore le président du Comité des pêches. En conséquence, les marins-pêcheurs "se préparent à défendre en toute légitimité les ressources marines et leur métier", selon les termes du Comité.
Soucieux d'apaisement, Ailes Marines s'est engagé, durant la première phase des travaux de forage, à "des mesures renforcées de suivi en temps réel sur le bruit et la turbidité" (état trouble de l'eau). "Le choix d'intensifier ces mesures résulte des concertations menées ces dernières semaines entre l'ensemble des usagers de la mer, la préfecture des Côtes d'Armor et la préfecture maritime", fait valoir Ailes Marines.
Mais selon les pêcheurs, "des engagements écrits" pris par Ailes Marines n'ont pas été respectés, sans que les structures de contrôle mises en place par l'Etat ne rappellent l'opérateur à l'ordre. Les pêcheurs réclament que le calendrier du chantier soit compatible avec la saisonnalité des espèces et des périodes de pêche.
« Acceptabilité sociale »
Le Comité des pêches rappelle qu'il est prêt à accompagner la transition énergétique à travers les EMR, à condition de "construire un parc avec les pêcheurs", un préalable à ses yeux pour "améliorer l'acceptabilité sociale". Il considère par ailleurs que "l'éolien posé" au sol, le choix retenu par l'État pour ce parc, contrairement au projet éolien flottant envisagé en Bretagne-Sud, "n'est pas compatible" avec le territoire de la baie de Saint-Brieuc.
Pour le gouvernement, les pêcheurs ont été entendus. "La localisation a évolué, suite à des échanges avec les pêcheurs pour faire en sorte de limiter au maximum l'impact sur leurs activités. À terme, beaucoup d'inquiétudes vont se dissiper, car on se rendra compte que ce n'est pas si impactant que cela", assure vendredi, dans Le Télégramme, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique.
Preuve de la tension sur le terrain, en fin de semaine dernière, un cocktail molotov, qui n'a pas fait de blessé, a été lancé à Erquy contre le chantier de RTE (Réseau de transport d'électricité) en charge de l'atterrage des câbles du futur parc. Jeudi à Saint-Brieuc, un vigile chargé de surveiller une barge du chantier a été jeté à l'eau.
Élu l'an dernier avec une majorité opposée au projet, le maire d'Erquy, Henri Labbé, est inquiet. La commune de 4 000 habitants a été contrainte d'accepter le chantier de RTE sous le coup d'une décision de justice. "Certains nous traitent de vendus, nous accusant d'avoir cédé à RTE. Mais on n'avait pas le choix !", rappelle-t-il.