Quand les usines s'arrêtent en raison de coûts énergétiques trop élevés : l'Allemagne angoissée par la désindustrialisation

  • AFP
  • parue le

À Hambourg, l'une des deux cheminées de l'aciérie ArcelorMittal ne crache plus de fumée en raison de coûts énergétiques trop élevés, comme un symbole de la menace existentielle qui pèse sur l'industrie allemande.

La première économie européenne va non seulement entrer en récession, dont l'ampleur attendue sera dévoilée mercredi par le gouvernement, mais elle est confrontée à un risque de plus long terme : voir des pans entiers de son secteur manufacturier asphyxiés par la flambée de prix.

À cause de l'arrêt d'une des unités de production, les 530 salariés de l'aciérie de Hambourg sont en chômage partiel depuis début octobre. Des mesures similaires ont été prises dans plusieurs usines européennes du groupe ArcelorMittal.

"Le gaz est un élément essentiel du processus" menée dans les cuves de l'usine, explique à l'AFP Uwe Braun, le PDG du site. Or la facture a été multipliée "par sept" par rapport à la période précédant l'invasion russe de l'Ukraine.

Impossible, dans ces conditions, de continuer à alimenter l'ensemble de cet ogre énergétique, consommant deux TWh de gaz et un TWh d'électricité par an - l'équivalent d'une ville moyenne.

« Pas d'avenir ici »

Les signaux d'alarme se multiplient dans les entreprises de taille moyenne : le fabricant de papier toilette Hakle et l'équipementier automobile Dr. Schneider ont récemment déposé le bilan. Important producteur d'ammoniac, le fabricant SKW Piesteritz a stoppé sa production durant trois semaines, à cause des prix du gaz, avant de redémarrer.

Dans une Allemagne ayant échappé aux vagues de désindustrialisation qui ont touché l'Europe ces dernières décennies, l'industrie est un pilier de la prospérité du pays, où elle représente encore 22% du PIB, contre 13% en France.

"Le modèle économique de l'Allemagne consistait à acheter de l'énergie peu chère et des produits intermédiaires pour faire des voitures et des machines outils (...) exportés aux Etats-Unis", explique à l'AFP Jens Oliver Niklash, analyste pour la banque LBBW. Or, les "fondations (de ce modèle) craquent", ajoute-t-il.

Les groupes qui en ont les moyens pourraient être tentés de délocaliser. "Beaucoup de PME (...) qui n'ont parfois aucun site de production en dehors d'Allemagne me disent maintenant qu'elles n'ont pas d'avenir ici", a récemment lâché Siegfried Russwurm, président du lobby industriel BDI.

Car les experts préviennent : les prix du gaz dans une Europe sevrée de livraisons russes ne redescendront pas à leur niveau d'avant l'invasion de l'Ukraine et l'industrie doit s'habituer à cette "nouvelle normalité".

Un bouleversement dans un pays comme l'Allemagne, où les secteurs de l'acier, la chimie, le papier, le verre, se découvrent vulnérables. Leur production a chuté de 9% depuis février.

"Dans les mois à venir, nous verrons qui peut encore se permettre de produire en Allemagne", observait dans le magazine Spiegel Arndt Kirchhoff, président du conseil consultatif de l'entreprise du même nom, un sous-traitant automobile dont l'histoire remonte au XVIIIe siècle.

Concurrence américaine

À l'extérieur de l'aciérie d'Arcelormittal, couleur ocre, des milliers de minerais de fer, en forme de boule, s'entassent pour l'instant en pyramide, en attendant la réouverture de l'usine. "Avec les prix de l'énergie que nous anticipons, on peut se demander si l'usine pourra fonctionner l'année prochaine", s'inquiète Juechter Ansgar, directeur de la production.

Auparavant, l'aciérie produisait 1 million de tonnes d'acier par an, à destination notamment de l'automobile, branche phare de l'industrie allemande. Si rien n'est fait "il est clair que certaines parties des productions les plus consommatrices seront délocalisées", selon Uwe Braun. "Il est probable que l'industrie allemande se sépare de ses branches les plus intensives en énergie", abonde Jens Oliver Niklash.

Les États-Unis, où les prix du gaz restent plus faibles grâce à une production domestique abondante, pourraient être une destination de choix, selon l'expert. "Je n'envisage pas de délocalisation générale" car "le prix du gaz devrait se stabiliser à moyen terme, même si le coût restera plus élevé qu'avant la crise", affirme Stefan Kooths, économiste pour l'IFW Kiel.

Pour atténuer le choc sur son économie, le gouvernement allemand a annoncé la semaine dernière un plan à 200 milliards d'euros pour financer un bouclier sur les tarifs de l'énergie bénéficiant aux ménages et aux entreprises.

Commentaires

Serge Rochain
Tandis qu'en France on ne risque pas d'être angoissés par la désindustrialisation que nous avons totalement terminée il y a déjà bien longtemps.
APO
Le "0" a encore parlé. Pour voir entre "0" et "1" il faut rappeler que 2 Usines ArcelorMittal traitent du minerais de Fer à Dunkerque et à Fos sur Mer et que d'autres sites Arcelormittal font des aciers "spéciaux" notamment pour les boites de conserves près de Nantes !!! La France est bien plus désindustrialisée que l'Allemagne mais pas encore totalement désindustrialisé, merci au Nucléaire !? (Arcelor vient de "lancer" son projet de traitement par "réduction" à l'hydrogène du minerais de fer à Dunkerque suite, à peine quelques jours, à l'annonce de la construction d'EPR2 à Gravelines/Dunkerque...). Le Rochain, il a tout d'un Grand Binaire un peu Bipolaire (sa spécialité et ses compétences en Informatique ou il fut exceptionnel et ça c'est réellement vrai durant sa carrière professionnelle, vient du langage "Binaire" "0" ou "1" c'est bien pour l'informatique, un peu moins dans la vraie vie, sauf en régime totalitaire !!!). P.S.: A 100% d'ENRi
APO
à 100% d'ENRi dans le Mix énergétique, quel sera le taux d'industrie en France ??? Notre dette qui se creuse permet à bien du monde de consommer pour le moment, mais plus pour trop longtemps... Sans industrie sérieuse, on va finir comme l'Argentine au mieux, comme des pays du Nord de l'Amérique latine au pire... C'est un Choix ! (je comprends, mais pas aisément ni sans agacement, que certains rêvent de revenir à un monde ou avoir plein de domestiques est aisé pour quelques privilégiés, moi je ne préfère pas trop, ça me dérange. Je préfère penser à une des plus grandes femmes de l'histoire de France et à ses travaux qui ont bien aidé la filière atomique tout en remettant la place potentielle des femmes (et aussi des immigrés) en Haut de l'échelle pour bien des choses : Merci Marie Curie - et Vive l'Atome !!!).
Daphné
Rochain est là, je m'abrite... Oui pour le nucléaire sans aucun doute. Mais quelqu'un peut-il me renseigner? 1)L'utilisation du MOX ( essentiellement dans le nucléaire français) joue-t-il un rôle dans le phénomène de corrosion de nos centrales obligeant à une pause pour une couteuse et indispensable maintenance? Les futurs SMR utiliseront-ils le MOX ? 2) Les qualités de nos anciennes centrales ont fait leurs preuves. Elles ont fonctionné sans incidents , certaines pendant plus de 50 ans. On sait les monter, vite et bien, on sait les faire fonctionner et les entretenir on connait leur coûts réels et on en un besoin urgent. Pourquoi abandonner la construction de celles-ci et investir dans des centrales plus modernes mais plus compliquées et moins maîtrisées comme les epr? Pour des raisons de prestige?

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