- AFP
- parue le
La Chine poursuit sa course à l'atome à un rythme sans équivalent dans le monde et à un coût bien moins élevé qu'ailleurs, grâce à une industrie mature et un accès au capital privilégié, deux éléments dont le nucléaire français est pour l'instant dépourvu.
Moins de 28 milliards d'euros pour 11 nouveaux réacteurs
Pékin a donné mardi le feu vert à 11 nouveaux réacteurs, pour un investissement de moins de 28 milliards d'euros, selon le média chinois Jiemian.
En comparaison, le coût prévisionnel du programme de construction des six nouveaux réacteurs (EPR) commandés par l'État français est de 67,4 milliards d'euros, selon les Echos.
Ramenés à leur puissance - 1,1 gigawatt (GW) pour la plupart d'entre eux, des Hualong One et des CAP1000 selon WNN, organe de la World Nuclear Association - les 11 réacteurs chinois ont un coût environ trois fois inférieur aux futurs EPR, sans prendre en compte le coût du financement.
Économies d'échelle
Un écart de prix d'abord dû aux économies d'échelle que réalise la Chine, où 27 réacteurs sont actuellement en construction, selon l'Agence internationale de l'énergie atomique.
Pékin bénéficie d'un "effet de série" et d'un "effet d'apprentissage", explique l'ingénieur Maxence Cordiez, expert associé à l'Institut Montaigne : les pièces commandées aux fournisseurs coûtent moins cher, les processus sont plus efficaces et la construction plus rapide.
"Pour faire moins cher en Europe, il faut des programmes industriels cadencés, avec des conceptions identiques", affirme Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN).
Coûts de financement
Au-delà du coût de construction, la Chine profite également d'un accès privilégié au capital. La construction de réacteurs nucléaires nécessite de dépenser beaucoup d'argent, sans pour autant dégager de recettes : il faut donc emprunter.
Or pour les investisseurs, financer une centrale est considéré comme "risqué", en raison "du risque régulatoire" et du "risque politique" que comporte ce type de chantier, explique François Lévêque, professeur d'économie à Mines ParisTech.
D'une part, les agences de sûreté peuvent intervenir durant le chantier et le retarder. D'autre part, les possibles changements de majorité politique rendent plus incertains ces projets de long terme.
"Les prêteurs demandent donc un taux relativement élevé", indique François Lévêque, là où en Chine, les projets nucléaires "ne sont pas plombés par tout cela : le coût du capital est très faible. C'est l'État chinois qui paie". Selon le taux déterminé, le coût de financement d'une centrale peut varier de plusieurs milliards d'euros.
Pour faire baisser le coût du capital, les États peuvent s'impliquer en apportant des garanties ou du capital. "Plus vous avez un engagement de l'État, plus le risque financier baisse, et vous faites baisser énormément les coûts des projets nucléaires", explique Nicolas Goldberg, expert chez Colombus Consulting.
Ambitions à l'export du réacteur chinois, le Hualong-1
Un rapport de la Cour des comptes britannique (NAO) sur le chantier nucléaire de Hinkley Point a par exemple fustigé le financement de la centrale construite par EDF, notant qu'une participation partielle de l'État britannique aurait pu faire baisser le prix du mégawattheure de près de 30%.
L'enjeu des aides d'État est donc au cœur de l'avenir de la filière nucléaire en Europe. "C'est une question de choix politiques et de choix de régulation", affirme Nicolas Goldberg.
La décision du Parlement européen en 2022 d'inclure le nucléaire dans la taxonomie verte vise justement à faire baisser le coût du capital des projets nucléaires.
Mais les garanties d'État n'empêchent pas l'atome de coûter extrêmement cher en cas de gros retards de livraison, à l'instar de l'EPR de Flamanville, dont la facture s'élève après 12 ans de retard à plus de 19 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros de "surcoût de financement", selon la Cour des Comptes.
De son côté, la Chine, qui déclare construire ses centrales en 56 mois, ambitionne de les exporter bon marché. L'un de ses réacteurs, le Hualong-1, est déjà commercialisé à l'étranger (Pakistan, Argentine), sans jamais, pour l'instant, avoir trouvé preneur en Europe. Mais "si la Chine commence à proposer du nucléaire à prix très compétitif, certains pays de l'Est, qui n'ont pas une industrie nucléaire propre et veulent se défaire du russe Rosatom, pourraient être tentés", estime Nicolas Goldberg.