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La rhétorique sur le climat c'est bien, l'action c'est mieux : "je veux voir les plans!", dit Fatih Birol, le patron de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), aux États du monde, attendus fin octobre à la COP26.
"Comment allez-vous transformer vos transports ? votre système électrique ?", demande l'énergique économiste, particulièrement préoccupé par la résistance du charbon et le manque de moyens des pays émergents, "angle mort du débat climatique".
Qu'attendez-vous de la COP26 ? Qu'est-ce qui signerait son succès ?
J'espère d'abord un renforcement des engagements des pays, en ligne avec nos objectifs climatiques internationaux.
Le deuxième point, et c'est l'angle mort du débat climatique, porte sur le financement des énergies propres dans les pays émergents. Ces 20 prochaines années, plus de 80% des émissions viendront des pays émergents, qui reçoivent moins de 20% des investissements dans les énergies propres. Il est urgent que les économies avancées, notamment du G20, s'assurent que ce financement figure dans les décisions prises à la COP26.
Le troisième point est politique. Les dirigeants à la COP doivent donner un signal sans ambiguïté aux investisseurs disant : "si vous investissez dans les vieilles sources d'énergie, vous perdrez de l'argent".
De grands pays émetteurs se sont engagés à la neutralité carbone en 2050. Sentez-vous une dynamique pour cette COP ?
La dynamique politique est excellente. Mais cet élan doit se transformer en action concrète au niveau mondial, plutôt qu'en initiatives sporadiques.
Les gouvernements doivent venir avec leur feuille de route pour la neutralité carbone. Je suis heureux de les voir nombreux à se fixer des objectifs à 2050, mais cela ne suffit pas. Nous devons savoir comment ils comptent faire, je veux voir leurs plans, les piliers et les étapes : que va-t-il advenir de leur secteur électrique ? des transports ? des centrales à charbon ? Comment financer les investissements ? Cela vaut pour la Chine, les États-Unis, l'Europe, tout le monde.
Et quelle serait la priorité ?
Il y a beaucoup de raisons de s'inquiéter, mais si je devais en choisir une, je dirais le charbon. Qu'est-ce qu'on en fait ? Aujourd'hui un tiers des émissions vient de l'utilisation du charbon pour la production d'électricité.
Le problème ce n'est pas juste les centrales à charbon aux États-Unis ou en Europe, qui sont proches de leur terme.
Le problème est en Asie, surtout en Chine, Inde, Indonésie. Dans deux pays réunissant près de la moitié de la population mondiale, plus de 60% de l'électricité vient du charbon. L'âge moyen des centrales y est de 11 ans. Comment les fermer avant que l'investissement soit amorti ? C'est une question clef.
La crise du Covid a-t-elle changé quelque chose ?
Il a été dit qu'après le Covid les humains seraient de meilleures personnes. Nous avons tout de suite dit "si les bonnes mesures ne sont pas prises, il y aura un fort rebond des émissions". Et en effet, on attend cette année la seconde plus forte hausse historique. Donc la rhétorique c'est bien, mais nous voudrions ne pas voir un tel fossé avec la réalité.
En mai, un rapport de l'AIE a marqué les esprits en décrivant les étapes vers la neutralité carbone, notamment renoncer à tout projet fossile nouveau. Fallait-il donc "secouer le cocotier" ?
Je ne veux choquer personne. Notre objectif était de placer un miroir devant les pays engagés pour 2050 : si vous visez cela, voici ce que vous devez faire. Nous listons 400 étapes. Par exemple, d'ici 2040 le système électrique devra être entièrement décarboné. Ou d'ici 2030, 60% des voitures vendues devront être électriques - c'est 5% aujourd'hui. Nous voulions montrer au monde que c'est une tâche herculéenne. Mais encore faisable.
Et même si nos efforts ne nous gardent pas sous +1,5, 1,6 ou 1,7°C, ce sera mieux que cette hausse de près de 3°C.