- AFP
- parue le
L'inquiétude grandit autour du projet de parc éolien en baie de Saint-Brieuc, prévu au milieu d'un riche gisement de coquilles Saint-Jacques et à proximité de sites maritimes classés.
"Ici, la pêche fait vivre 800 familles, sans compter les emplois à terre", estimés à 2 400 par les pêcheurs. "Pour un parc éolien, on va laisser détruire la ressource ?", interroge Alain Coudray, président du comité départemental des pêches. Au-delà d'une diversité de poissons, "la baie de Saint-Brieuc est le plus gros gisement français de coquilles Saint-Jacques", appuie le député LR Marc Le Fur. Le parc est aussi "très proche du secteur où la reproduction est la plus forte" avant la migration dans toute la baie, complète Alain Coudray.
Une menace d'autant plus difficile à envisager que les pêcheurs mènent depuis des années une gestion exemplaire de ces coquillages avec l'Ifremer. Une pêche très réglementée, limitée à quelques mois par an, et très rémunératrice.
Ailes Marines, qui appartient au groupe espagnol Iberdrola, est le porteur de ce projet de parc en mer, l'un des sept attribués par l'État depuis 2012, composé de 62 éoliennes de plus de 200 mètres de haut (et 30 à 42 m sous l'eau). D'une puissance de 496 MGW, ce parc, d'un investissement de 2,4 milliards d'euros, produira, selon son promoteur, "l'équivalent de la consommation électrique de 835 000 habitants, chauffage compris (...) soit 9% de la consommation électrique totale de la Bretagne", très déficitaire.
Hier favorables au projet, situé à environ 17 km du cap Fréhel et d'Erquy, 33 km de Saint-Brieuc, des élus ont évolué. Thierry Simelière (UDI), maire de Saint-Quay-Portrieux, l'un des grands ports coquillers de la baie, se dit ainsi "de plus en plus dubitatif (...) On nous avait vendu un modèle économique, mais sur la baie en termes d'emplois, il n'y a rien. La baie aurait les aspects négatifs, mais pas le positif ?", interpelle celui qui est en charge de la politique de la mer à l'agglomération de Saint-Brieuc.
Déjà inquiets du fait du Brexit
"Quand on creuse, on change d'avis", abonde Marc Le Fur, qui voit venir "une triple catastrophe : économique, écologique et touristique". "Ce parc est extrêmement coûteux, c'est le plus cher d'Europe, voire du monde", affirme-t-il. L'énergie sera achetée par l'État 155 euros le MWh, quand "les pouvoirs publics estiment le prix du marché aux environs de 50 euros le MWh", et ce, sur 20 ans. D'autant, souligne le député, qu'Ailes Marines "a été déchargé du coût du raccordement et de l'ensouillage des câbles entre les éoliennes et la terre", dont les travaux sont portés par RTE (Réseau de transport d'électricité), ce qui renchérit encore le prix, selon les détracteurs.
Construit sur une concession de 103 km2 -"plus que Paris"- de l'espace public maritime et "situé entre deux zones Natura 2000", le parc a bénéficié "de plus de 50 dérogations" environnementales, cingle aussi Marc Le Fur, rappelant que chaque base d'éolienne rejettera chaque jour de l'aluminium en mer. Le cap Fréhel et le cap d'Erquy "viennent d'obtenir le label Grand site de France. Est-ce pour qu'ils soient ainsi défigurés ?"
"Ma responsabilité, c'est que les accords passés soient tenus" et "d'apporter des garanties aux pêcheurs", estime le président de région, Loïg Chesnais-Girard (PS). "Une centaine d'emplois" pour la maintenance seront créés en Côtes d'Armor et il y aura des "retombées fiscales" pour les communes et des "indemnisations pour les pêcheurs", assure-t-il. Il reconnaît toutefois qu' "Ailes Marine a changé trois fois de technologies" et joue maintenant "la montre", le début des travaux étant prévu au printemps prochain pour une mise en service fin 2023.
Les pêcheurs demandent "la suspension du projet". Des recours sont encore en examen à l'échelle européenne et au Conseil d'État. Dans ce dossier, "il y a eu des irrégularités dès le début, y compris dans son attribution (...) Le débat public a été organisé alors que tout était déjà plié", affirme Katherine Pujol, présidente de "Gardez les caps", l'une des associations opposées au projet.
Les pêcheurs, déjà inquiets des conséquences du Brexit, ont manifesté en mer lors des premiers travaux de RTE. "Jusqu'ici, on a été très gentils, on va l'être un peu moins. On va monter crescendo...", prévient Alain Coudray.