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"Tous les points de vue sont les bienvenus et tous les points de vue sont nécessaires" à la COP28 qui s'ouvre jeudi à Dubaï, affirme son président Sultan Al Jaber, aussi patron de la compagnie pétrolière nationale des Emirats. Et cela inclut lobbys et grands pétroliers, jusque dans les délégations nationales.
Les lobbys sont-ils autorisés aux COP?
Les COP réunissent des "dirigeants, experts et personnes d'influence" dans la "zone bleue", dédiée aux négociations, affirme l'ONU Climat sans faire mention explicite des lobbys.
De fait, les groupes de pression peuvent obtenir une accréditation en intégrant une délégation nationale ou l'une des plus de 2.000 organisations "observatrices" (ONG, organisations professionnelles).
L'absence de règles claires sur les conflits d'intérêt est souvent critiquée. La présidence de la COP28 elle-même est accusée d'un flagrant mélange des genres depuis lundi, la BBC ayant révélé des briefings internes incluant des points de discussion sur des projets énergétiques émiratis pour des réunions COP avec des gouvernements. Ces documents auraient servi pour des rencontres avec Sultan Al Jaber entre juillet et octobre 2023.
"Quand on pense au lobbyisme, on pense à des réunions à huis clos entre entreprises et décideurs", explique à l'AFP Faye Holder, du think tank InfluenceMap. Mais cela peut aussi inclure "des publications sur les réseaux sociaux, de la publicité, du sponsoring ou l'utilisation du poids d'organisations professionnelles ou d'organisations de façade".
Jusqu'à cette année, l'ONU ne rendait pas obligatoire de renseigner son "affiliation", en premier lieu son employeur, et la relation précise, y compris financière, avec l'organisation grâce à laquelle l'accréditation était demandée, rendant la détection des lobbyistes ardue.
Dans une lettre aux dirigeants de l'ONU, une soixantaine de membres du Congrès américain et du Parlement européen ont réitéré fin novembre leur "profonde inquiétude quant aux règles actuelles de l'ONU Climat qui permettent aux pollueurs du secteur privé d'exercer une influence indue" sur les négociations.
Un rapport d'experts de haut niveau mandatés par l'ONU appelle les entités non-gouvernementales à plus de transparence sur leurs affiliations et martèle qu'elles "ne peuvent pas faire du lobbying pour saper" directement ou indirectement "l'ambition des politiques climatiques des gouvernements".
Un nombre record à la COP28 ?
La COP27 en Egypte, en novembre 2022, avait établi un record, selon Global Witness qui a méticuleusement analysé les CV des participants accrédités, avec 636 lobbyistes des énergies fossiles accrédités, soit 25% de plus que l'année précédente. L'ONG dit à l'AFP s'attendre à un nouveau record cette année.
Sur les 20 dernières années, la coalition d'ONG Kick Big Polluters Out a calculé qu'au moins 7.200 accréditations avaient été attribuées à des lobbyistes des énergies fossiles - soit environ 2% du total -, "la partie émergée de l'iceberg", certains ayant pu passer sous leur radar et les autres secteurs (agriculture, construction, transport, textile, etc.) n'étant pas étudiés.
Selon cette coalition, leur nombre excède de fait largement celui des délégations envoyées par des petits pays très vulnérables au changement climatique et même le nombre de militants d'ONG.
De nombreuses entreprises pétrogazières nationales sont directement intégrées aux délégations officielles par leurs pays.
Paradoxalement, la COP28 est peut-être la première conférence où la place des énergies fossiles dans les négociations sera abordée aussi frontalement, selon des experts. Sultan Al Jaber a déclaré à l'AFP assumer de faire participer toutes les industries, afin de leur faire "rendre des comptes".
Certaines ONG appellent néanmoins au boycott, quand d'autres veulent venir en masse pour contrer les lobbys.
Sur quoi peuvent-ils peser concrètement ?
Cas d'école de l'influence des pétroliers sur le processus COP: l'accord de Paris en 2015 a, dans son article 6, créé un mécanisme d'échange de crédits carbone, réclamé depuis des années par l'industrie.
"Cela faisait quatre ans que nous poussions" pour ce mécanisme, a reconnu en 2018 David Hone, conseiller sur le climat pour le géant pétrolier Shell.
"Nous pouvons nous attribuer une partie du mérite quant à l'existence même de l'article 6", a-t-il ajouté lors d'une conférence organisée par l'IETA, une organisation professionnelle fondée notamment par des pétroliers et qui reçoit des dizaines d'accréditations à chaque COP.
A Dubaï, les lobbys pourraient peser à nouveau sur "le vocabulaire" des textes, selon Faye Holder, qui souligne l'arrivée fracassante dans les débats des solutions de captage et de stockage du CO2 ou encore de l'hydrogène vert et des "gaz bas carbone".
La question sera de savoir si le terme "réduction des énergies fossiles" sera retenu, et si oui, si les parties ajouteront juste derrière le mot "unabated", c'est-à-dire sans captage ou stockage du CO2. Un terme "sournois", selon Faye Holder, qui fera "toute la différence" en créant une potentielle échappatoire pour l'industrie pétrogazière.
Dans une lettre ouverte publiée mardi, plus de 200 entreprises ont appelé les dirigeants qui viendront à la COP à fixer un calendrier pour la sortie des énergies fossiles... "unabated".