Le label vert européen, une avancée loin d'être une baguette magique pour la finance

  • AFP
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Enfin un langage commun : le monde de la finance voit d'un bon œil la création par Bruxelles d'un label vert européen mais prévient qu'il ne suffira pas à rediriger massivement les investissements vers les projets verts.

La liste retenue des investissements respectueux de l'environnement "va permettre d'y voir plus clair", estime auprès de l'AFP Lionel Melka, directeur de la recherche au sein de la société d'investissement Homa Capital.

Il est convaincu que cette nouvelle réglementation sera adoptée par tout le secteur: "s'en affranchir ce serait passer pour un clown". "Pour la première fois, on va avoir une donnée standardisée qui est la même pour tous les acteurs, avec un cadre commun, et on pourra donc comparer les portefeuilles", complète Léa Dunand-Chatellet, directrice du pôle investissement responsable chez DNCA Finance, une société de gestion d'actifs.

Le but de cette classification, fruit de discussions identifiées jusqu'à présent autour du principe de "taxonomie verte", est de flécher les investissements vers la transition écologique et de faciliter le financement de ces projets.Ceux-ci so nt en plein boom : les investissements dans la transition énergétique dans le monde ont atteint un record l'année dernière à 755 milliards de dollars, en hausse de 27% par rapport à 2020, selon l'agence financière Bloomberg.

Flou et minuscule part verte

"Il est encore trop tôt pour mesurer exactement l'impact" de la mise en place de labels verts sur les nouvelles émissions d'obligations durables, avertit lundi l'agence Moody's dans une note.

"Ce n'est pas une baguette magique", abonde Lionel Melka. D'autres outils sont nécessaires pour rediriger les fonds, comme le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), définissant des règles précises d'investissement durable, ou l'Ecolabel européen des produits financiers, en cours d'élaboration.

Le label vert, annoncé mercredi par la Commission européenne, ne fixe aucun objectif: les banques, assurances et gestionnaires de portefeuilles devront seulement présenter la part verte de leurs produits, à savoir le pourcentage du chiffre d'affaires cumulé des entreprises du portefeuille bénéficiant du label vert.

Leur marge de progression est importante. Selon l'Observatoire de la finance durable, cité dans un rapport de la Fondation Jean Jaurès publié le 27 janvier, seuls 5% des placements financiers des assureurs français financent la transition énergétique et écologique.

Et seuls 2 à 3% de l'économie sont couverts par les labels verts, rappelle Léa Dunand-Chatellet.

Nucléaire et gaz divisent

La liste retenue par la Commission européenne est controversée car elle classe comme "durables" les investissements dans les centrales nucléaires et à gaz. Au grand dam des organisations écologistes mais aussi de l'Autriche, le gaz étant une énergie fossile émettrice de CO2 et le nucléaire générant des déchets radioactifs, ainsi qu'un risque d'accident.

Face aux lacunes de ce projet, la directrice de l'ONG Reclaim Finance Lucie Pinson a appelé mercredi les acteurs financiers français et européens à prendre leurs responsabilités et "adopter leurs propres mesures d'exclusion du gaz et du nucléaire". Ceux-ci sont partagés.

Interrogé par l'AFP, BNP Paribas rappelle que "sa mission est aujourd'hui de financer la transformation de l'économie vers la neutralité carbone en 2050". Se référant aux travaux du GIEC, la banque précise que la période de transition qui s'ouvre aujourd'hui "nécessite une certaine part de nucléaire" comme de gaz naturel, "surtout lorsqu'il permet (...) de s'éloigner du charbon qui est beaucoup plus émetteur en CO2".

Les débats actuels illustrent "les difficultés actuelles et la période de transition délicate jusqu'à ce que les énergies renouvelables (sans gaz naturel ni énergie nucléaire) soient capables de couvrir totalement les besoins", observe Matthias Fayer, analyste chez le gestionnaire d'actifs Vontobel AM.

Le label vert accordé au nucléaire et au gaz naturel n'est "pas un blanc-seing", affirme Xavier Desmadryl, responsable de recherche ESG d'HSBC Asset Management. "Il y a beaucoup de conditions" strictes qui encadrent le choix des projets.

Sur le segment du nucléaire seul, les entreprises ne sont de toute façon pas légion: environ 10 pour 500 selon HSBC. Ainsi aucun analyste n'anticipe une vague massive de financements de projets nucléaires.

Commentaires

studer
Cela apparaîtra comme évident à beaucoup, mais disons-le encore une fois : cette taxonomie a été dictée par l'Allemagne dont l'influence à Bruxelles est immense. Nos voisins ont choisi de passer du charbon au gaz, ce qui ne permet que de diviser par deux les émissions de CO2 dues au secteur électrique. Et ils ont réussi à faire coller le label "Vert" sur le gaz (qui sera importé de Russie), ce qui est un non-sens écologique autant qu'une absurdité technique (et économique) : mais leur Transition Energétique (energiewende) sera financée par de l'argent communautaire et c'est pour eux l'essentiel. Qu'ils n'arrivent jamais au "net zero" en 2050, ce qui semble aussi évident, ils s'en moquent car aucune sanction financière n' a été prévue pour ceux qui échouent. Comme les Allemands ont compris que le nucléaire français leur ouvrirait en revanche la voie vers le "net zero" et offrirait des kWh bien moins chers que ceux issus des éoliennes et du gaz (les deux sont indissociables en raison de l'intermittence du vent), ils ont cherché à le faire exclure de la Taxonomie et, à défaut, car la France a réussi à s'allier à 10 autres membres de l'UE, à y mettre des restrictions telles que le nucléaire ne pourra guère se développer. On assiste donc au triste spectacle d'une UE divisée, dirigée par l'Allemagne et les Verts, et dont les ambitions en matière de Transition Energétique n'ont aucune chance d'aboutir : les énergies dites renouvelables sont intermittentes et le resteront, il n'existe aucune procédé autre que les centrales au gaz pour compenser ce défaut, donc le "net zero" ne sera pas atteint et les prix du gaz s'envolant, nous serons dominés par des continents moins divisés que l'UE. Dernier point et pas des moindres : il faudra s'incliner devant Poutine et accepter qu'il annexe les pays qui l'entourent pour qu'il garde le robinet des Nord Stream ouverts.
@Vlady
studer : ... " les énergies dites renouvelables sont intermittentes " ... tout comme la consommation !! Ils produisent même quand il n ' y a pas de consommation ! Et on fait quoi : on jette ? Sérieusement , vous prenez les exploitants électriques pour des billes ? Quand c ' est bien géré , les renouvelables sont doublés par de installations de STOCKAGE d ' énergie, non , pas par des batteries , mais par des STEP et autres technologies existantes et/ou à développer !! En Belgique , la croissance du renouvelable a été accompagnée d ' une extension du STEP de COO , ça a permis de FERMER des centrales au gaz , le contraire de ce que vous affirmez ......... Prenez l ' exemple de l ' eau : lorsque vous ouvrez un robinet , une pompe se met automatiquement en marche ? Non , c ' est un château d ' eau -- stockée -- qui y pourvoit . Dès que le niveau est bas , des pompes remplissent ce château !! Les STEP , c ' est pas nouveau , ils existent depuis plus de 50 ans au moins .
studer
Vlady : les exploitants d'installations électriques ne sont certes pas des "billes" comme vous dites. Ce sont au contraire des ingénieurs qui savent faire des calculs techniques et économiques pour définir des solutions qui marchent et à un coût acceptable. Et les STEP (stations de pompage), que je connais bien, ne sont pas du tout LA solution à l'obligation de stockerde masse de l'électricité dès qu'on supprime les moyens dits pilotables comme le nucléaire : il s'en faut de beaucoup, disons de deux décades !!! Le RTE que vous citez vient de faire une étude prospective à 2050, qui indique qu'il existe 4 conditions majeures à lever pour développer du stockage de masse, ce qui compte tenu du langage édulcoré qu'il doit utiliser (Pompili est sa tutelle !) signifie la quadrature du cercle. Et même si ces conditions étaient satisfaites, le mix les plus économique, et de loin, est celui qui comprend le plus de nucléaire. Il ne s'agit pas d'un nième avis de type "café du commerce" mais d'une étude paramétrée du meilleur spécialiste actuel de la question ; et je le précise, limitée au contexte géopolitique français. Car la Norvège ou l'Autriche par ex. ont un autre optimum possible, lié à leur abondante hydroélectricité.
VICTOR
Cette victoire à la Pyrrhus de la taxonomie verte n'est que le début d'une bataille entre la France et l'Allemagne qui risque de se précipiter car les allemands vont devenir de plus en plus dépendants au gaz russe au fur et à mesure de la fermeture de leur nucléaire et de leur charbon-lignite. Les enjeux géostratégiques avec la Russie augmentent les risques d'approvitionnement en gaz de l'Allemagne qui voit de plus en plus se rapprocher la difficulté de se passer du nucléaire ET du charbon, de nombreux industriels allemands et spécialistes des réseaux électriques émettent des doutes sur le tout renouvelable. Alors la France avec son mix électrique (hydraulique, nucléaire, renouvelable) deviendrait un concurrent sérieux ce que l'Allemagne combat vivement à la tête de la commission européenne qu'elle dirige. La France aura -t-elle la volonté politique d'affronter l'Allemagne pour défendre ses intérêts fondamentaux et essentiels pour sa puissance économique: l'énergie électrique? Réponse à la prochaine élection présidentielle dans deux mois.

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