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Trente-cinq ans après la fin du programme nucléaire yougoslave, la Serbie envisage de renouer avec cette source d'énergie qui permettrait de rompre la dépendance au charbon. Mais la route est longue, et l'opinion hésitante.
Près de 70% d'électricité à partir du charbon
En 1989, trois ans après la catastrophe de Tchernobyl, la Yougoslavie a tourné le dos au nucléaire civil, décrété un moratoire et fermé le réacteur de recherche de Vinca dans la banlieue de Belgrade, désaffecté depuis cinq ans. C'était quelques mois à peine avant la désintégration du pays.
Depuis, la Serbie dépend presque uniquement de son sous-sol pour produire de l'électricité. Près de 70% de la production nationale vient du charbon, un combustible dont le pays regorge.
Revers de la médaille : chaque hiver, la capitale Belgrade se retrouve dans le top cinq des villes les plus polluées au monde. En 2021, environ 15 000 personnes sont mortes à cause ou en partie à cause de la pollution, selon une estimation de l'Agence européenne de l'Environnement.
À l'odeur, ses habitants savent s'il faut ou non allumer les purificateurs d'air, s'il est sage ou pas de faire du sport ou de laisser les enfants dehors. Par delà les inquiétudes sanitaires, la Serbie s'est aussi engagé auprès de l'Union européenne à quitter le charbon d'ici 2050.
Une opinion partagée sur le nucléaire
Pour remplacer le charbon, le gouvernement, sous l'impulsion du président Aleksandar Vucic, envisage depuis plusieurs années d'autoriser la construction de centrales nucléaires. Fin août, une étape a été franchie avec la signature avec la France d'une Déclaration d'intention relative à la coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Fin août, la ministre des Mines et de l'Énergie a ouvert un cycle de consultations pour évoquer une évolution législative sur l'énergie - dont une levée du moratoire de 1989 sur le nucléaire.
Reste à convaincre les Serbes, frileux lorsqu'il s'agit de nucléaire. Selon un sondage publié par le groupe de réflexion serbe de centre droit New Third Way, un tiers des personnes interrogées s'y oppose, un tiers se dit pour, et un tiers n'a pas d'avis. Mais 64% des sondés sont d'accord sur une chose : il faut que la Serbie quitte petit à petit le charbon.
Des centrales nucléaires dans les pays voisins
Le nucléaire "est une façon géniale de produire de l'électricité, tant que c'est bien utilisé", admet Rada Spica Gajic, un habitant de Belgrade de 47 ans interrogé par l'AFP. "Mais que faire des déchets ?", s'interroge en écho Sava Medan, 60 ans.
"Avant de répondre oui ou non au nucléaire, il faut se rappeler que nous sommes entourés de centrales nucléaires", explique à l'AFP le directeur de l'entreprise publique des Installations nucléaires serbes (NFS), Dalibor Arbutina.
Une bonne partie des voisins de la Serbie ont des centrales nucléaires, à commencer par la Hongrie qui exploite quatre réacteurs de conception soviétique, en service depuis 1982, à Paks à 80 kilomètres de la frontière serbe. "Nous sommes dans la même zone de risques que la Hongrie, la Roumanie ou la Bulgarie - mais eux, ils profitent de leurs centrale, et nous, on a rien", ajoute M. Arbutina.
Une transition « longue et douloureuse »
Passer du charbon au nucléaire ne se fera pas sans peine - et sans coût : selon le gouvernement serbe, il faudrait au moins 20 ans pour ouvrir une centrale.
"C'est une transition longue et douloureuse qui s'annonce", admet Slobodan Bubnjevic, de l'Institut de Physique de l'université de Belgrade. Et "une fois que vous avez initié la réaction en chaîne et exposé le combustible au processus qu'il subit dans le réacteur, alors vous devez gérer les déchets nucléaires. Indéfiniment", rappelle-t-il.
Président depuis 2017 après avoir été Premier ministre à partir de 2014, Aleksandar Vucic se fait de plus en plus l'avocat d'un passage au nucléaire, citant régulièrement les besoins en énergie démultipliés dans les années à venir.
"Pensez à l'intelligence artificielle, pensez aux voitures électriques... la consommation d'électricité va énormément augmenter", soulignait-il à l'AFP fin août, avant une visite du président français Emmanuel Macron. Selon M. Vucic, la seule solution est de passer au nucléaire : "Sinon, nous n'aurons jamais assez d'électricité".