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Oust-Louga, le 21 janvier 2024. Des flammes jaillissent du gigantesque terminal de Novatek: l'Ukraine vient d'entamer une importante campagne de frappes contre des sites énergétiques russes. Mais neuf mois plus tard, si ses effets sont perceptibles, ils restent limités.
Faire mal au porte-monnaie russe
Les raffineries et dépôts pétroliers jouent un rôle crucial dans l'économie russe : rien qu'en juillet, la Russie a engrangé 15,4 milliards d'euros de revenus issus de l'exportation de son or noir, selon la Kyiv School of Economics (KSE).
Le but pour Kiev est donc clair : faire mal au porte-monnaie et dérégler l'approvisionnement des troupes russes, en guise de représailles aux bombardements quotidiens sur ses villes et son réseau énergétique.
Outre Oust-Louga, au moins dix autres raffineries russes ont été frappées par l'armée ukrainienne depuis janvier, amputant la Russie "à un moment donné en mars" d'"environ 16%" de sa capacité de raffinage, soit environ 1,1 million de barils par jour, explique Matthew Sagers, directeur du département sur l'Énergie en Russie chez S&P Global Commodity Insights. "Il s'agit de produits raffinés utilisés par l'armée et donc de cibles militaires tout à fait légitimes", observe un haut responsable occidental s'exprimant sous couvert d'anonymat. "Cela fait pression sur la machine de guerre russe".
Plus de 60% de la trentaine de grandes raffineries de Russie - des sites imposants et donc relativement faciles à viser -, se situent à portée des drones ukrainiens dans un rayon de 1 300 kilomètres.
Pour Sergueï Vakoulenko, chercheur au Centre Carnegie, interdit en Russie, et auteur d'une note sur le sujet, le ratio coût-bénéfice de l'utilisation de drones dotés d'une charge explosive comprise "entre 5 et 50 kg" est intéressant pour les Ukrainiens. "Chaque attaque coûte probablement (à Kiev) entre un et cinq millions de dollars par raid aérien et par site, un prix relativement faible pour une attaque visant une cible de plusieurs milliards de dollars", explique-t-il.
Un avis partagé par Matthew Sagers, selon lequel les coûts des dégâts pour la Russie "varient de quelques millions à plusieurs dizaines de millions de dollars" par frappe.
Solutions antidrones
Face aux attaques régulières, les compagnies pétrolières russes s'efforcent de réparer au plus vite les sites endommagés, pour limiter les pertes.
"Beaucoup de ces raffineries étaient de nouveau opérationnelles après deux ou trois semaines", observe Sergueï Vakoulenko, qui note toutefois que le délai varie selon les dégâts répertoriés.
"Les grandes compagnies peuvent réorienter le pétrole" vers des sites plus éloignés de l'Ukraine, précise aussi Matthew Sagers, "et elles ont aussi mis en place un système de défense, achetant des systèmes de défense antiaérienne et en installant des filets métalliques antidrones".
Interrogé par l'AFP, le Kremlin a jugé "minime" l'efficacité des frappes ukrainiennes, mais le vice-Premier ministre en charge de l'Energie, Alexandre Novak, reconnait qu'il est "impossible de (les) empêcher à 100%".
Le gouvernement russe a d'ailleurs prolongé jusqu'à la fin de l'année un moratoire sur les exportations d'essence, "le temps que des réparations programmées soient effectuées dans les raffineries", sans faire mention des frappes ukrainiennes.
Après les réparations des derniers mois, les capacités de raffinage hors d'usage "sont actuellement proches de 0%", d'après Matthew Sagers, "à l'exception (de la grande raffinerie) de Moscou", touchée début septembre. Et les prix mondiaux n'ont pas été affectés.
Discussions
Les frappes réciproques sur les infrastructures énergétiques demeurent toutefois un caillou dans la chaussure de Moscou et Kiev.
Au point que les deux camps souhaiteraient parvenir à "un accord historique" mettant fin à ces attaques, comme l'affirmait mi-août le Washington Post ? Selon le quotidien américain, c'est l'offensive ukrainienne dans la région russe de Koursk qui a poussé Moscou à interrompre les négociations.
Une source au sein de la présidence ukrainienne a balayé ces informations, affirmant que l'unique réunion prévue sur la sécurité énergétique devait avoir lieu avec les pays participants au premier sommet pour la paix de juin en Suisse et "sans les Russes".
Quant à Moscou, "tant que nous n'aurons pas expulsé (les Ukrainiens) de notre territoire, nous ne négocierons pas avec eux", a martelé le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Sergueï Choïgou.
Et un responsable du renseignement militaire ukrainien a lui signifié à l'AFP, sous couvert d'anonymat, que les frappes continueront: "Leur nombre et leur portée augmentent".