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Elle a quitté le pouvoir avec une aura inégalée parmi les dirigeants européens. Trois ans après, l'héritage d'Angela Merkel, qui publie bientôt ses mémoires, est remis en question dans une Allemagne ébranlée par les crises.
La sortie mardi prochain de "Freiheit" ("Liberté"), simultanément dans plus de 30 pays, est percutée par l'actualité de la campagne électorale allemande pour les élections législatives de février.
Dans ce récit de 736 pages, co-écrit avec sa conseillère Beate Baumann, dont rien n'a fuité, l'ancienne chancelière, âgée de 70 ans, passe en revue les seize années et quatre mandats (2005-2021) durant lesquels elle fut la femme la plus puissante du monde.
Beaucoup n'ont pas attendu pour dresser un bilan sans concession de sa politique économique, énergétique et migratoire.
Si la chancelière a su sortir gagnante de certaines crises - notamment celle de la zone euro en 2010-2012 - elle a aussi "laissé derrière elle un pays plein de tâches inachevées", écrit le journaliste Eckart Lohse, dans un essai au titre sévère, "La Tromperie".
L'hebdomadaire britannique The Economist a récemment fustigé "seize années sans réforme" qui sont aujourd'hui "lourdes de conséquences".
Un "retournement" comparé à son départ, fin 2021, quand Angela Merkel était "encensée" avec un bilan vu comme "globalement très positif", souligne pour l'AFP la chercheuse Marie Krpata, experte de la politique allemande à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
- "Merkeln" -
Mais depuis, l'Allemagne subit une envolée des prix de l'énergie, conséquence d'une longue dépendance aux livraisons de gaz russes interrompues après l'invasion de l'Ukraine, ainsi que "l'effritement du modèle économique orienté vers l'exportation", souligne le politologue Wolfgang Schroeder dans le quotidien Tagesspiegel.
Résultat, le première économie européenne est à la traîne des autres grandes puissances, avec une deuxième récession d'affilée attendue cette année.
Et faute d'investissements, dans un pays obsédé par la dette, les Allemands subissent au quotidien "une vétusté des infrastructures" en matière de transport, de numérique ou d'éducation, liste Marie Krpata.
Si la stabilité était un pilier de la politique de Merkel, plébiscitée par ses électeurs, elle a confiné à l'immobilisme, selon ses détracteurs. Au point de lui valoir un néologisme, le verbe "merkeln", soit le fait de différer une décision aussi longtemps que possible.
Angela Merkel est "critiquée pour avoir eu un style de gestionnaire" plutôt que "visionnaire", résume Marie Krpata.
- "Attentes" de l'époque -
Le feu vert donné à la construction du gazoduc Nord Stream 2, bien après l'annexion russe de la Crimée (2014), apparaît comme une erreur historique à la lumière de l'invasion de l'Ukraine.
Tout comme la dépendance à la Chine pour les exportations et au parapluie américain pour la défense.
Mais cela "correspondait aux attentes de l'économie allemande" à l'époque, souligne l'ancien député conservateur Norbert Lammert dans un entretien à l'AFP.
De même que la sortie du nucléaire décidée après la catastrophe de Fukushima en 2011, souligne-t-il.
Angela Merkel "a fait à peu près exactement ce que la majorité" du parti et de l'opinion publique allemande "attendait d'elle", affirme celui qui préside aujourd'hui la Fondation Konrad-Adenauer, le laboratoire d'idées du parti chrétien-démocrate CDU de l'ex-chancelière.
- Ascension de l'AfD -
Sur le volet migratoire, l'accueil de plus d'un million de réfugiés lors de la crise de 2015-2016 a été suivi par l'entrée fracassante au parlement du parti d'extrême droite AfD, aujourd'hui en deuxième position dans les sondages.
Le gouvernement du social-démocrate Olaf Scholz, ex-ministre des Finances puis successeur de Merkel, a depuis rétabli les contrôles aux frontières et durci l'accueil des réfugiés.
Un virage à droite encore plus assumé au sein de la CDU, désormais dirigée par Friedrich Merz, son rival de plus de vingt ans qui s'est affranchi de la ligne centriste de Merkel et se rapproche de son rêve d'accéder à la chancellerie.
En 2019, peu après son retour en politique, Friedrich Merz avait pointé du doigt "l'inaction et le manque de leadership de la chancelière", qui recouvrait selon lui le pays "depuis des années comme un brouillard".
Mais aujourd'hui, Merz "risquerait la loyauté et l'approbation d'une grande partie de son propre parti s'il voulait se démarquer" de façon trop marquée d'Angela Merkel, prévient Norbert Lammert.