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Dans les environs de Manille, une centrale électrique au charbon espère devenir un modèle pour les pays en développement qui essayent d'abandonner ce combustible fossile polluant.
Une fermeture 10 ans plus tôt que prévu
Une alliance dirigée par la Fondation Rockefeller, un groupe philanthropique, prévoit de contribuer à la fermeture de cette usine dix ans plus tôt que prévu, évitant des millions de tonnes d'émissions en les monétisant sous forme de crédits carbone.
L'idée est "assez simple", explique à l'AFP Joseph Curtin, directeur général de l'équipe Rockefeller chargée de l'énergie et du climat: "Et si, au lieu de vendre au réseau électrique cette énergie à forte intensité de carbone, le propriétaire du charbon pouvait vendre les émissions de carbone évitées?"
En gros, les crédits carbone permettent à un pollueur de "compenser" ses propres émissions en payant pour des émissions "évitées" ailleurs. Ils ont permis de financer un grand nombre d'initiatives, depuis les bus électriques jusqu'aux forêts protégées, même s'il est apparu par la suite que de nombreux projets surestimaient ou calculaient de manière incorrecte les émissions évitées.
Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), le charbon est la principale source d'émissions de dioxyde de carbone d'origine humaine. Certains pays développés l'ont progressivement abandonné. Mais il reste une ressource bon marché et fiable pour les économies en développement, confrontées à une demande énergétique croissante.
Réticence à renoncer au charbon
Des pays comme l'Indonésie et l'Afrique du Sud se sont vu proposer des milliards de dollars pour fermer prématurément des centrales au charbon. Sans grand succès jusqu'à présent. "Il n'y a pas une seule centrale au charbon, sur les 4 500 que comptent les marchés émergents et les pays en développement, qui ait été fermée et remplacée par de l'électricité propre", regrette M. Curtin.
Car le problème est plus complexe qu'il n'y paraît. Non seulement le charbon est une source d'énergie abordable et fiable, mais il représente des millions d'emplois directs et indirects.
En Asie, les centrales sont souvent récentes, ce qui signifie des années de pertes de revenus en cas de fermeture prématurée. "Il n'y a tout simplement pas de porte de sortie économiquement viable pour les propriétaires de ces actifs", constate M. Curtin.
C'est là qu'intervient la "Coal to Clean Credit Initiative" (CCCI, "Initiative du charbon au crédit propre"). Un programme qui vise à couvrir à la fois le coût de la fermeture des centrales au charbon et celui de leur reconversion en production d'énergies renouvelables, notamment éolienne et solaire, en générant des crédits carbone.
Projet-pilote aux Philippines
Avec un projet-pilote: la South Luzon Thermal Energy Corporation (SLTEC), aux Philippines. Cette centrale au charbon est prévue pour fonctionner jusqu'en 2040. Mais dans le cadre de la CCCI, elle fermerait dix ans plus tôt, ce qui permettrait d'éviter 19 millions de tonnes d'émissions de CO2, selon la Fondation Rockefeller.
La centrale serait remplacée par un mélange de production d'énergies renouvelables et de stockage en batterie, et les travailleurs et la communauté locale seraient indemnisés. L'idée fait toutefois l'objet de critiques, notamment après la révélation de problèmes liés à d'autres projets de crédits carbone.
Souci récurrent : prouver que les émissions n'auraient pas été évitées de toutes façons. C'est ce qui a entravé de nombreux programmes de protection des forêts, dont les promoteurs n'ont pas réussi à démontrer que des zones boisées risquaient réellement d'être abattues.
Ailleurs, des arbres censés être protégés ont été abattus alors que des crédits avaient déjà été vendus pour les protéger.
Forces du marché
À mesure que les énergies renouvelables deviennent moins chères, certains affirment que, crédits carbone ou non, les forces du marché finiront à elles seules par tuer les centrales au charbon.
"Il est difficile de savoir quelles sont les forces qui poussent pour ou contre l'élimination progressive du charbon", estime Gilles Dufrasne, du groupe de réflexion Carbon Market Watch.
"Ces forces, économiques et politiques, peuvent changer de manière importante", dit-il à l'AFP. Selon lui, les crédits carbone risquent de devenir une façon de "récompenser des investisseurs qui ont placé leur argent dans une technologie hautement polluante et vouée à l'échec".
D'autres analyses mettent en garde contre la tentation pour certains pays de "comptabiliser deux fois" les réductions d'émissions liées aux fermetures de centrale au charbon, en les incluant dans leurs calculs nationaux même si ces réductions ont déjà été vendues sous forme de crédit carbone pour compenser des émissions ailleurs.
Selon M. Curtin, la méthodologie du CCCI est conçue pour éviter ces travers. Seules les centrales au charbon solvables, couvertes par des accords à long terme et connectées au réseau sont éligibles. Les entreprises participantes doivent renoncer pour toujours au charbon et les fermetures doivent s'accompagner d'une conversion aux énergies renouvelables et d'un soutien aux populations.
"Et si quelqu'un a une meilleure idée, qu'il nous en fasse part", assure M. Curtin. "Car nous cherchons sans cesse de nouvelles façons d'aborder ce problème".