Conseiller du Centre Énergie & Climat de l'Ifri
Membre de l’Académie des technologies
La transition énergétique est devenue au fil des années une thématique politique majeure. La dimension environnementale du changement climatique est prépondérante dans les débats. Elle se résume trop souvent à deux slogans simples : « Sauvons la planète » et « Neutralité carbone en 2050 ». Ce sentiment d’urgence conduit à ne pas prendre le temps d’analyser rigoureusement les contraintes techniques, économiques, sociales et géopolitiques qui ralentissent les transitions et à se lancer à corps perdu dans des solutions dispendieuses et inefficaces.
Les États, les collectivités locales, les entreprises se fixent des objectifs ambitieux. Mais ces objectifs n’ont de sens que si on les accompagne d’un plan d’action pertinent à la fois aux niveaux techniques, économiques et sociétaux : or on se donne des objectifs en recherchant a posteriori les moyens d’y parvenir. On constate que les objectifs ont peu de chances d’être atteints : aussi on renforce les objectifs. On rentre dans un cercle vicieux : quand on met la barre trop haute, on est sûr de passer en dessous !
Il est important de se livrer à un exercice de prospective mettant en lumière les variables clés et les tendances lourdes afin de déterminer les évolutions souhaitables et celles qui sont aléatoires ou dangereuses.
Les déterminants de la transition énergétique
Il n’existe pas de définition consensuelle de la transition énergétique. La notion recouvre, suivant les régions, des objectifs différents. La transition énergétique doit être abordée dans le contexte global du développement durable qui a été défini dans le rapport présenté à l’ONU en 1987 par Mme Brundtland, à l’époque Première ministre de Norvège. Le développement durable contient trois dimensions indissociables : l’économie, le social et l’environnement. Trop souvent les deux premières dimensions sont sous estimées au profit de la seule dimension environnementale.
Le système énergétique est en évolution continue, sur un rythme séculaire. Au XVIIIe siècle, la biomasse représentait l’essentiel du mix énergétique. Le charbon a émergé au XIXe siècle, puis le pétrole, le gaz, le nucléaire et plus récemment les énergies renouvelables. Cette transition s’est faite dans le temps long car le système énergétique présente une grande inertie. Cette inertie est illustrée par les projections faites par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) : dans son dernier scénario qui prend en compte l’ensemble des politiques déjà décidées (Stated Policies Scenario), la part des combustibles fossiles serait encore de 72% en 2040, à comparer à 80% en 2019.
Il faut aussi prendre en compte le lien étroit entre croissance économique et consommation d’énergie. La croissance de la population et du niveau de vie de nombreux pays pèse sur la consommation d’énergie et les émissions de CO2. Il ne faut pas oublier non plus la dimension géopolitique de l’énergie. C’est vrai pour le pétrole, le gaz mais aussi pour les énergies renouvelables.
Ces déterminants de la transition énergétique introduisent des contraintes qui doivent toutes être prises en compte. Malheureusement, ces contraintes sont difficilement compatibles dès lors qu’on recherche des scénarii cohérents avec les trois dimensions du développement durable.
Enfin, il faut rappeler que la France ne représente que 2% de la consommation énergétique mondiale et 1% des émissions de CO2. En ce sens, nous sommes parmi les pays les plus vertueux du monde, en partie grâce au nucléaire.
La pandémie qui frappe le monde entier est à l’évidence un game changer majeur. Elle a eu un impact considérable sur le secteur de l’énergie en 2020. Il est difficile aujourd’hui d’évaluer ses conséquences à long terme, notamment en ce qui concerne les modes de consommation.
Les fausses solutions
Dans les débats sur la transition énergétique fleurissent des solutions miracles censées régler tous les problèmes. Certes la technologie peut tout ou presque : encore faut-il qu’il y ait un business model qui permette aux acteurs d’investir. Il faut éviter de confondre une technologie qui est au niveau initial de recherche en laboratoire et les technologies qui peuvent se déployer et dans lesquelles les acteurs peuvent investir. Je me contenterai de prendre quelques exemples de fausses solutions.
Depuis l’émergence de l’énergie nucléaire dans les années 1960, la fusion a été présentée comme une énergie d’avenir inépuisable et non polluante. Certes le pilote ITER à Cadarache est en construction, mais ce n’est pas avant des dizaines d’années qu’on peut envisager un déploiement de cette filière dans des conditions économiques acceptables.
La captation directe du CO2 dans l’atmosphère est aussi souvent avancée (DAC - Direct Air Capture). C’est techniquement possible, mais la très faible concentration du CO2 dans l’atmosphère conduit à des coûts astronomiques
On peut citer aussi le projet de « Route solaire » qui consistait à installer des panneaux solaires sur les routes pour produire de l’électricité livrée sur le réseau. Après un premier test d’un an sur 1 km, il est apparu qu’un tiers de la route devait être remplacé.
D’autres avancent aussi le mythe de la décroissance. On peut s’interroger sur le réalisme de ce genre de slogan qui est lancé sans propositions de solutions et de programmes de mise en œuvre et sans évaluation de l’impact sur les populations.
Les pistes à privilégier
Trop souvent la transition énergétique se réduit à un développement massif du solaire et de l’éolien. Il ne faut pas oublier les autres énergies renouvelables dont la biomasse. Celles-ci représentaient 15% de la consommation d’énergie primaire de l’UE 27 en 2018.
Une des rares choses dont on peut être raisonnablement sûr pour l'avenir est que la contrainte climatique devrait entraîner une augmentation massive de la part de l'électricité dans la consommation finale d'énergie et une décarbonation des usages non « électrifiables ». Il n'en est que plus désolant de constater l’indifférence, l’ambiguïté, voire l’opposition de l'opinion et des dirigeants pour deux outils essentiels de ce double mouvement : le nucléaire et le CCS (CO2 Capture and Storage).
L’efficacité énergétique est à l’évidence une stratégie no regret : la meilleure énergie est à l’évidence celle qu’on ne consomme pas. Mais cela suppose une prise de conscience et une mobilisation de chacun. Cela implique aussi des changements de comportement pour avoir des modes de consommation plus sobres.
Les enjeux sont particulièrement importants dans les secteurs de la chaleur et du froid ainsi que du transport qui représentent respectivement 46,5% et 30,5% de la consommation d’énergie finale de l’UE 27. Dans ces secteurs, l’amélioration de l’intensité énergétique provient en partie du renouvellement des équipements (nouvelles constructions de bâtiments ou remplacement de véhicules anciens par des véhicules plus performants). Le rôle des normes est déterminant.
La rénovation des « passoires thermiques » a fait l’objet depuis plusieurs années de plans ambitieux. Malheureusement, les objectifs de rénovation n’ont jamais été atteints. La rénovation des bâtiments est en effet coûteuse et le temps de retour est long (10 à 20 ans). Il faut aussi souligner l’insuffisance de la structuration de l’offre qui provient essentiellement d’entreprises artisanales. Face à ces difficultés, certains s’interrogent si la méthode la plus efficace ne serait pas de détruire purement et simplement ces bâtiments !
Les transports sont le secteur qui doit faire l’objet d’une attention particulière compte tenu de leur importance dans la consommation d’énergie. Le véhicule électrique représente une option mise en avant dans de nombreux pays. Il en est de même ces derniers temps des véhicules à hydrogène. Si l’électricité ou l’hydrogène sont produit à partir d’électricité décarbonnée, cette option répond à l’objectif de décarbonation du transport. Il faut rappeler que les normes européennes ne prennent pas en compte le mix énergétique des pays. Réduire l’approche du secteur transport aux seuls types de motorisation est insuffisant. Il faut avoir une approche globale de la mobilité quel que soit le mode de transport. Les solutions à mettre en œuvre pour les agglomérations denses et pour les campagnes isolées ne sont pas les mêmes. Il est nécessaire aussi de différencier le transport de personnes et celui de marchandises, sans oublier l’enjeu du « dernier kilomètre ». Il est impératif de traiter les composantes de la mobilité dans une approche système : système de transport, système de localisation et système d’activité.
L’instauration d’une taxe aux frontières de l’UE reste une perspective lointaine qui se heurte à de nombreuses oppositions. L’instauration d’un prix du CO2 au niveau mondial reste une perspective encore plus lointaine. Cependant, ce sont des pistes qu’il faut poursuivre.
Les énergies renouvelables intermittentes (solaire, éolien) se sont développées rapidement en Europe grâce notamment à des incitations financières coûteuses. Il faut rappeler qu’elles ne concernent que la décarbonation du système électrique qui ne représente que 20% du mix énergétique. Le développement des énergies intermittentes, doublé d’une baisse des capacités de production d’électricité pilotables (centrales thermiques), soulève une interrogation sur la stabilité du système électrique afin d’éviter des blacks out.
Les économistes promeuvent un signal prix afin de guider les investissements. Mais là aussi on est loin du compte. Il est nécessaire de donner un signal prix sur le long terme qui permette aux acteurs d’investir sur des projets dont les durées d’amortissement sont longues. En Europe, l’introduction d’un marché du CO2 (Energy Trading System - ETS) est une bonne initiative. Mais les prix sur ce marché sont restés pendant trop longtemps très bas (ils ont bondi à plus de 30 euros la tonne récemment suite à l’accord sur le nouvel objectif européen de réduction des émissions de - 55%) et sont volatils. L’instauration d’une taxe aux frontières de l’UE reste une perspective lointaine qui se heurte à de nombreuses oppositions. L’instauration d’un prix du CO2 au niveau mondial reste une perspective encore plus lointaine. Cependant, ce sont des pistes qu’il faut poursuivre.
La transition énergétique coûtera cher. Il est impératif d’évaluer de façon précise les coûts des politiques mises en œuvre. Toutes les technologies n’ont pas le même coût et les mêmes bénéfices. Il conviendrait de disposer d’une matrice des coûts de chaque technologie et de leur impact au sein d’un système et d’une trajectoire donnée. Ce type d’approche permet alors de mettre en œuvre en priorité les mesures les plus efficaces et donc de réduire les coûts pour un objectif fixé ou d’avoir des objectifs plus ambitieux pour un coût donné.
Le protocole de Kyoto adopté en 1997 recommandait la mise en œuvre en parallèle de mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre mais aussi pour s’adapter au changement climatique. Au fil des années, l’impératif d’adaptation a été négligé. Pourtant on constate certains phénomènes météorologiques que plusieurs scientifiques attribuent au changement climatique, tempêtes, inondations….
L’adaptation doit être pleinement partie prenante des politiques de transition énergétique mises en œuvre. Le protocole de Kyoto proposait aussi divers mécanismes flexibles auxquels les pays développés peuvent recourir pour réduire leurs émissions comptabilisées : le commerce des droits d’émission, la mise en œuvre conjoint et le mécanisme de développement propre. Ces mécanismes permettent aux pays développés d’investir dans les pays où la rentabilité des investissements est la meilleure en €/t CO2. A noter qu’un rapport du Programme des Nations Unis pour l’Environnement (PNUE) en 2016 estimait les besoins d’adaptation à 140 à 300 milliards de dollars par an d’ici 2030. On peut s’interroger sur l’impact qu’aura la pandémie sur la mobilisation de ces fonds dans les années à venir.
Il ne faut pas oublier la dimension macro-économique de la transition énergétique. En effet, les taxes sur les produits énergétiques contribuent à l’équilibre des comptes de l’État et des collectivités territoriales.
La technologie n’apportera pas à elle seule la solution à tous les problèmes, mais elle peut indéniablement y contribuer. Il est donc nécessaire de maintenir des efforts en matière de R&D tant en ce qui concerne la réduction des émissions que l’adaptation au changement climatique. Les efforts doivent porter en priorité sur la réduction des coûts et l’acceptabilité par les populations des nouvelles technologies. Une vision système doit être développée afin d’éviter des approches en silo.
Enfin, il est indispensable d’engager un effort de transparence et de formation afin d’assurer l’adhésion des populations vis-à-vis des mesures prises. Cette action est d’autant plus nécessaire dans le contexte actuel des fake news qui circulent à longueur de journée.
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