Projet « solutions pour l'énergie et l'environnement », Université de Pau (E2S-UPPA)
Membre de l’Académie des technologies
Depuis quelque années, l’hydrogène est considéré comme un des maillons importants d’un mix énergétique décarboné, notamment comme carburant. Sachant que l’hydrogène est actuellement une matière première pour l‘industrie (en particulier des engrais) fabriqué à base d’hydrocarbures ou de charbon, le chemin restant à parcourir est long.
Toutes les alternatives de production d’un hydrogène décarboné sont actuellement étudiées et nous vous alertions il y a 2 ans sur l’existence d’hydrogène naturel, généré entre autres par l’interaction eau/roche dans le sous-sol. Une production, relativement modeste (1 400 m3/j), mais continue au Mali depuis presque 10 ans, a montré que réservoirs et couvertures existaient pour ce type de gaz. La pression n’a jamais baissé dans le réservoir exploité, il se remplit donc continûment(1).
Malgré les efforts de la compagnie Hydroma qui possède ce permis, la production n’est toutefois pas passée à une échelle industrielle, les conditions politiques au Mali étant en particulier trop difficiles. Mais la délinéation du champ continue, trois autres réservoirs ont été trouvés à différentes profondeurs, et d’autres pays se sont emparés du sujet : les prises de permis se multiplient. Aux États-Unis, une découverte a été annoncée par Desert Mountain en février 2022.
Le point sur l’exploration de l’hydrogène naturel
Des émanations d’hydrogène naturel sont connues sur Terre depuis longtemps, dans les fumeurs des dorsales océaniques et les zones volcaniques, mais on en trouve aussi dans les cratons (des roches très anciennes, plus d’un demi-milliard d’années) où elles se marquent souvent par des dépressions que l’on peut cartographier et étudier. Cela a été fait par exemple en Russie(2), aux États-Unis(3), au Brésil(4) et en Australie(5).
Par ailleurs, les compagnies pétrolières et minières ont beaucoup de données de subsurface et, sachant que cette nouvelle ressource existait, sont allés les revoir. Ils ont découvert que beaucoup de puits pétroliers avaient des indices d’hydrogène : il y avait un certain pourcentage d’hydrogène dans le mélange gazeux découvert, parfois jusqu’à plusieurs dizaines de pourcents (jusqu’à 90% en Australie). Dans la Péninsule de York, face à Adelaïde, un puits foré en 1930 avait permis de trouver un gaz contenant plus de 80% d’hydrogène. À l’époque ce n’est pas ce qui était recherché, donc le puits avait été rebouché. On trouve des exemples de ce type dans de nombreux endroits, même si le pourcentage d'hydrogène est rarement aussi élevé.
En se basant sur ces données et les indices de surface, des compagnies ont demandé des permis d’exploration. Beaucoup de ces compagnies sont des start-up, certaines des spin-up de compagnies plus importantes, certaines, mais c’est plus rare, sont des majors de l’énergie.
Néanmoins pour prendre un permis, il faut que la loi le permette et reconnaisse l’hydrogène comme une ressource naturelle que l’on peut explorer et un jour produire. Il n’y a donc pas que parmi les géologues que l’on a travaillé sur la question ces dernières années, mais aussi au niveau des juristes et des gouvernements. Comme on pouvait s’y attendre, les pays riches en ressources minérales qui soutiennent les industries extractives ont été les plus réactifs, États-Unis et Australie en tête.
Site de forage d'hydrogène naturel dans le Kansas par Natural Hydrogen Energy (Photo courtesy of Viacheslav Zgonnik)
L’Australie à la pointe de l’exploration
Il est très rapidement apparu que l’Australie avait un gros potentiel en hydrogène naturel(6). Le pays est par ailleurs actif dans d'autres types de production d’hydrogène décarboné (électrolyse, SMR ou à partir du charbon mais avec captage de CO2) et a des engagements de livraison vis-à-vis du Japon et de la Corée. Le premier navire de transport d’hydrogène liquéfié a commencé à fonctionner entre l’Australie et le Japon en janvier 2022.
L’Australie est un État fédéral et chaque État y a la responsabilité de son sous-sol. L’Australie du Sud a adapté son droit du sous-sol dès 2021 et les demandes de permis d’exploration se sont multipliées : deux permis ont été octroyés (Gold Hydrogen va notamment forer en 2023 et a repris les zones où de l’hydrogène avait déjà été trouvé au début du XXe siècle) et plus d’une vingtaine de demandes sont en cours d’étude par le gouvernement (voir la carte ci-après).
Au Sud de Perth (Western Australia), les indices d'hydrogène naturel sont aussi très nombreux(7) et des compagnies, dont Buru et H2EX, ont pris des licences. Au centre du pays, dans le bassin d’Amadeus (isolé et très éloigné des consommateurs), la compagnie pétrolière Santos, qui a découvert un mélange de méthane, d’hélium et d’hydrogène, va forer 3 puits en 2023 pour confirmer les réserves (l'hélium est un gaz stratégique qui coûte très cher - environ 2 000 $/kg - et est donc très intéressant pour l’économie globale).
Permis d’exploration d'hydrogène naturel en Australie du Sud
Et la France ?
Les efforts conjoints de toute la profession pour alerter les pouvoirs publics sur le sujet ont abouti en février 2022 à l’ajout de l’hydrogène naturel comme ressource dans le code minier français. C’est une première étape. Côté évaluation de la ressource, de nombreux travaux avaient été entamés par TotalEnergies dans le cadre d’une réévaluation dans les Pyrénées (Projet Orogen(8)), avec de nombreux laboratoires universitaires.
Ces travaux ont mis en évidence des émanations d’hydrogène sur le front pyrénéen(9) et sont actuellement complétés par un projet collaboratif entre CVA, Engie, 45-8, le BRGM et l’UPPA pour évaluer plus globalement le potentiel de la Nouvelle-Aquitaine. Ce projet est soutenu par la région. De l’autre côté des Pyrénées, en Espagne, la compagnie Helios a pris un permis d’exploration au nord de Saragosse. La compagnie 45-8 a elle obtenu un permis d’exploration pour l’hélium dans le Nièvre, mais regarde aussi si de l’hydrogène peut être trouvé dans d’autres zones, avec ou sans hélium associé.
Les questions changent…
Actuellement il n’y a plus un congrès sur l’hydrogène ou même d’E&P sans une présentation sur l’hydrogène naturel. L’AAPG (American Association of Petroleum Geologists) de Budapest en mai avait une session de 28 speakers sur le sujet et une AAPG entièrement dédiée à l’hydrogène se tiendra cet automne en Amérique du Sud. En France, H-Nat, le congrès dédié à l’hydrogène naturel qui a vu le jour en 2021, a fait son deuxième opus cette année avec près d’un millier de participants. La profession s’organise aussi avec la création, entre autres, d’EartH2 par le pôle Avenia qui regroupe les acteurs européens de l’hydrogène dans le sous-sol.
En deux ans, nous sommes passés de questions scientifiques « d’où vient l’hydrogène dans le sous-sol ? », « l’hydrogène peut-il être une ressource ? » à « où prendre des permis d’exploration ? » et « qui sera le premier gros producteur ? ». Les choses avancent très vite… comme souvent plus vite ailleurs qu’en France, et plus vite avec des start-up dédiées que dans les grands groupes ; mais vu le nombre de puits qui seront forés en 2023, la réponse à ces questions va venir bientôt.
Sources / Notes
- Prinzhofer et al., 2018.
- Larin et al., 2015.
- Zgonnik et al., 2015.
- Prinzhofer et al., 2020.
- Moretti et al., 2021.
- Moretti et al., 2021 ; Frery et al 2022.
- Frery et al., 2022.
- Orogen, un projet pour repenser la formation des chaînes de montagnes, Total Énergies.
- N Lefeuvre et al., 2022.
Natural hydrogen, Energy & Mining, Government of South Australia.
Initiative EarthH2, Avenia.
Lefeuvre, N., Truche, L., Donzé, F., Ducoux, M., Barré, G., Fakoury, R., et al. (2021). Native H 2 Exploration in the Western Pyrenean Foothills. Geochem. Geophys. Geosystems 22. doi: 10.1029/2021GC009917.
Prinzhofer A., Cissé C.S.T. and Diallo A.B. (2018): Discovery of a large accumulation of natural hydrogen in Bourakebougou (Mali). International Journal of Hydrogen Energy.
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