Coronavirus : quels impacts pour le secteur électrique ?

Jacques Percebois et Boris Solier

Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier (CREDEN)
Boris Solier, maître de conférences à l’Université de Montpellier, Expert Cyclope

Il est difficile de dire quels seront tous les impacts de l’épidémie de coronavirus sur le secteur électrique. Certains effets se feront sentir à court terme, d’autres à plus long terme. On peut toutefois d’ores et déjà repérer quelques pistes assez intuitives.

Production d’électricité et continuité du service public

L’électricité est un bien de première nécessité et, comme pour tout service public, il faut respecter trois principes : continuité, égalité de traitement et adaptabilité. C’est le principe de la continuité qui est ici vital. Il n’y a aucune crainte de ce côté-là car les opérateurs ont des plans qui garantissent que les centrales « pilotables » continueront à fonctionner, et ce même avec 40% d’absentéisme en cas de pic d’épidémie, et que les réseaux seront bien en état de marche.

Priorité est donnée aux agents opérationnels, ceux qui font marcher les centrales et réparent les lignes électriques. Les agents en support peuvent continuer leur activité en télétravail. Il faut d’ailleurs qu’ils viennent le moins possible sur site pour éviter la contamination des agents qui assurent la conduite des centrales, notamment nucléaires, comme cela s’est produit au sein de la centrale nucléaire de Flamanville où le « plan pandémie » a été activé le 16 mars 2020.

Demande d’électricité

La demande d’électricité a chuté de 10% entre le 9 et le 16 mars, principalement à cause de la chute de l’activité économique. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité a annoncé « une tendance de - 15% » le 18 mars.

C’est le ralentissement et dans certains cas la mise à l’arrêt de l’industrie, des commerces et des transports (TGV, métro, tramway) qui expliquent cette baisse et les choses devraient même s’accentuer.

Le recours croissant au numérique du fait du télétravail et du confinement (le numérique compte pour environ 12% de la consommation électrique en France et la consommation de ce secteur aurait augmenté de 40 à 50% dans le contexte de l'épidémie) ne devrait pas compenser la baisse de la demande d’électricité dans les autres secteurs, loin de là.

Signalons par ailleurs que la Commission de régulation de l'énergie demande à EDF et RTE de ne plus appliquer le système des heures de pointe, ce qui prouve que la demande d'électricité diminue et on peut aussi s'attendre à un écrêtement des pointes. « Le recours aux effacements tarifaires pour limiter les pointes de consommation apparaît désormais peu utile et pourrait, au surplus, entraîner une augmentation des factures des consommateurs concernés », indique par ailleurs la CRE(1).

Prix de l’électricité et impacts pour les producteurs et fournisseurs

La France est plutôt en surcapacité électrique, la température est plutôt clémente d’autant que l’on va vers le printemps. Il n’y a donc pas de crainte à avoir du côté de l’offre d’électricité. La demande en revanche peut encore baisser fortement. Cela a et aura un effet sur le prix constaté sur le marché de gros de l’électricité et par ricochet sur les recettes des producteurs et fournisseurs d’électricité (EDF et fournisseurs alternatifs).

L’appel des centrales sur le réseau se faisant en fonction des coûts marginaux croissants, ce sont les centrales thermiques fonctionnant au gaz ou au charbon qui seront les plus touchées. Certes le prix du gaz est très bas aujourd’hui puisqu’il suit le prix du pétrole, lui-même en chute libre, mais la baisse du coût de production du kWh thermique ne modifiera pas le « merit order » qui laisse la priorité aux énergies « fatales » (hydraulique au fil de l’eau, solaire et éolien) et au nucléaire.

Avec la chute du prix de gros de l’électricité, le prix TTC du kWh devrait lui aussi baisser pour le consommateur final. Rappelons toutefois que l’approvisionnement en électricité ne représente qu’un tiers du prix TTC du kWh, le reste étant constitué par le prix du transport et de la distribution et par les taxes.

De façon concomitante le prix de la tonne de CO2 s’effondre sur le marché européen : il est passé en une semaine de 24 € par tonne le 10 mars à 18 € par tonne le 17 mars (puisque la production d’électricité d’origine fossile et donc les émissions de CO2 baissent partout en Europe). Bien que la production électrique française soit décarbonée à plus de 90%, cela devrait renforcer la baisse des prix de gros du fait des interconnexions avec les autres pays d’Europe de l’Ouest plus émetteurs de CO2.

Impact du coronavirus sur l'électricité

Capitalisation boursière

La chute des recettes des producteurs et fournisseurs d’électricité se traduira par une baisse de leur valeur en bourse. La capitalisation boursière de ces opérateurs devrait suivre la tendance observée sur toutes les bourses mondiales.

Certains investissements dans la production d’électricité (centrales thermiques à gaz par exemple) vont devenir des « coûts échoués ». À terme, il pourrait y avoir des faillites pour les opérateurs les plus fragiles ou du moins un mouvement de fusions/acquisitions. Cela se produira à l’échelle mondiale, probablement en Europe aussi, mais cela n’est pas certain en France, vu le poids de l’opérateur historique EDF qui demeure très largement public(2).

Investissements

C’est sans doute à ce niveau qu’à terme les effets seront les plus importants. La baisse durable de la demande d’électricité, qui devrait se poursuivre si la France entre durablement en récession (taux de croissance économique négatif), va s’accompagner d’une chute des recettes des opérateurs et de leur trésorerie. Cela est de nature à remettre en cause beaucoup d’investissements.

Il faut s’attendre au report de certains investissements de jouvence dans le nucléaire mais aussi à la réduction des investissements dans de nouveaux projets (énergies renouvelables, voire nucléaire nouveau). De la même manière, la chute des prix du pétrole renchérit considérablement le coût des investissements dans les énergies bas carbone. Les investissements dans l’efficacité énergétique risquent eux aussi d’être impactés, faute de moyens financiers et parce que la facture d’électricité devrait baisser un peu pour le consommateur final qui, demain, aura sans doute d’autres priorités. La lutte contre le réchauffement climatique et la réduction de la consommation d’énergie ne seront sans doute plus la priorité de nombreux agents économiques dans les prochains mois, à commencer par les décideurs publics.

N’oublions pas non plus que l’électricité ne représente qu’un quart de la consommation finale d’énergie en France. Ce sont les produits pétroliers qui constituent l’essentiel de cette consommation (46%). Ce qui va se passer dans les autres secteurs aura également un impact direct ou indirect sur le secteur électrique…

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Commentaire

Samuel Furfari
Merci pour cette excellente analyse très intéressante. En ce qui concerne les investissements, je pense que les plans de relance qui vont être décidés partout vont contribuer à réduire la période de réduction des investissements mais bien entendu les investissements "idéologiques" vont avoir du mal à être maintenu. C'est d'ailleurs pour cela que ceux qui y tiennent se répandent actuellement dans les médias pour lier la crise Covid-19 avec la crise environnementale qu'ils dénoncent. Merci d'avoir rappelé que 3/4 de l'énergie finale n'est pas l'électricité.
Rblase
Le réchauffement climatique est une crise bien plus grave et l’état ne donne pas une réponse appropriée. Les décisions ne sont pas prises après consultation d’expert mais sous la pression d’ONG, de lobbies, d’idéologues et de jeux politiques. Les conséquences seront dramatiques, bien plus que le coronavirus, elles toucheront la France bien sur, mais aussi le monde entier de façon quasiment irréversible. Le coronavirus a obligé l’état à une approche différente de la politique publique avec plus d’importance donnée aux faits, à la science. Nous allons aborder une période avec des engagements financiers colossaux pour remettre la France sur les rails. Cela se traduira obligatoirement par des sacrifices demandés au peuple. Sacrifices qui seront consentis s’ils sont exposés clairement ce qui n’est pas le cas. Je crois que c’est une opportunité pour la France de remettre à plat des engagements que le gouvernement a pris au nom d’un programme électoral. Programme politique qui n’est pas approprié au contexte. Il faut aborder les enjeux concernant le climat avec un regard scientifique, abandonner la politique « politicienne" et avoir une vision à long terme. Le nucléaire en fait partie .
PSK
Bonjour et merci pour cet article. Une question néanmoins: vous écrivez "De la même manière, la chute des prix du pétrole renchérit considérablement le coût des investissements dans les énergies bas carbone." Je ne suis pas certain de comprendre la causalité. Voulez-vous dire que, le pétrole devenant relativement bon marché, les investissements dans les centrales à gaz (dont le coût de la commodité est lié à celui du pétrole) deviennent plus intéressants (en relatif) que ceux dans les sources d'électricité bas carbone? -Si c'est le raisonnement, je pense que nous pourrions néanmoins rétorquer que la volatilité des cours du pétrole contribue à effrayer les investisseurs, là où les investissements dans les technologies bas carbone non nucléaire semblent plus prédictibles (ce qui rassure). Par conséquent, il n'est pas certain que les investisseurs se détourneront des technologies bas-carbone, d'autant plus dans un contexte où la taxonomie pour la finance durable fait son entrée dans les pratiques des investisseurs. -Si ce n'était pas le raisonnement implicite, alors je serais content de comprendre quel était le lien de causalité dans l'article. :)
Boris Solier
Bonjour, Je vous remercie pour votre commentaire. Il s'agit effectivement du coût relatif des investissements bas carbone qui augmente avec la baisse du prix des fossiles. A cela s'ajoute la baisse du prix de gros de l'électricité qui accroît le surcoût des énergies renouvelables ainsi que la baisse du prix du quota de CO2. Tout cela est de nature à pénaliser les investissements futurs dans les énergies bas carbone.
studer
Analyse pertinente. Mais le gouvernement devrait, pour limiter une inévitable récession,prendre des mesures de bon sens dans le domaine de l'électricité. Comme en Espagne il y a dix ans, il devrait stopper toutes les subventions aux énergies éoliennes et solaire, qui ne servent à rien vu que la production d'électricité en France se fait sans émissions de CO2, et surtout que ces sources aléatoires n'apportent aucune garantie (n'en déplaise à RTE qui ose prendre 10 % comme seuil minimal dans ses calculs prévisionnels : quelle arnaque !). Les quelques 7 milliards d'€ annuels d'argent public économisés permettraient de soutenir les producteurs d'énergie pilotable, EDF en premier pour lui permettre de poursuivre sa mission de service public si précieuse en ces temps de crise sanitaire. Et d'aider aussi les industries et PME en difficultés. Dit autrement, l'idéologie, ça va un moment, et dans l'urgence il faut commencer à réfléchir davantage.
georges studer
Analyse intéressante. Une remarque et un désaccord : - le prix spot du MWh est très en dessous de l'ARENH (46 €) et même sous le "coût cash" du nucléaire. EDF perd donc de l'argent, mais les fournisseurs alternatifs qui ne font pour la plupart de que commerce et s'alimentent auprès d'EDF au prix de l'ARENH vont probablement demander à annuler leurs engagements d'achat auprès d'EDF. Espérons que le gouvernement ne sera pas assez c... pour leur donner raison et doublement pénaliser l'opérateur historique dont nous avons besoin, car il est le seul à veiller au service public. - la rénovation du parc nucléaire connue sous le nom de "grand carénage", associée à des améliorations de la sûreté connues sous le nom de "post Fukushima" ne vont pas se ralentir, l'ASN y veillant de près.

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