Les batteries ont une durée de vie limitée, de huit à quinze ans dans un véhicule, avant de perdre en puissance. Avec l'essor des voitures électriques, plusieurs millions de batteries arriveront en fin de vie dans quelques années. Des filières dédiées se préparent. Certains matériaux sont tellement précieux que leur récupération assure la rentabilité économique de la filière naissante du recyclage.
Les procédés de recyclage des batteries
Les batteries doivent tout d’abord être totalement déchargées, puis dévêtues de leur enveloppe plastique et électronique, ainsi que des feuilles en aluminium qui retiennent les cellules – les cœurs des batteries faites des métaux que l'on cherche à récupérer.
Les anodes et les cathodes des batteries doivent alors être concassées et broyées pour obtenir des poudres, aussi appelées "masses noires" ou "black mass" en anglais.
Ces constituants organiques et plastiques sont ensuite généralement traités par de la chaleur et/ou de la chimie(1) :
- la pyrométallurgie consiste à détruire les constituants en les portant à haute température et ne conserver que les composés métalliques, qui sont ensuite séparés par voie chimique.
- l’hydrométallurgie consiste à séparer les constituants par différents bains de compositions adaptées chimiquement aux matériaux que l’on souhaite récupérer.
Beaucoup d'opérations sont encore manuelles. Outre les risques électriques, tous ces modules sont couverts de solvants inflammables et polluants.
Quel potentiel ?
La batterie seule représente jusqu'à 50% du prix d'un véhicule électrique. Et 95% des métaux sont potentiellement récupérables, dont tous les plus précieux.
Les batteries pèsent jusqu'à 500 kilos, et 60% de leur poids peut être récupéré. Les projections de tonnage de batteries à recycler sont de "500 000 tonnes à recycler en 2030", d'après Didier David, directeur du projet dédié chez Orano.
D'après l'Institut des futurs durables à l'Université de technologie de Sydney, le recyclage pourrait aider à réduire la demande mondiale de 25% pour le lithium, 35% pour le cobalt et le nickel et 55% pour le cuivre en 2040.
La Commission européenne souhaite d'ailleurs imposer aux fabricants d'intégrer un minimum de matières recyclées dans les batteries à partir de 2030, à hauteur de 12% de cobalt, 4% de lithium et 4% de nickel.
Comme toujours, l'industrie chinoise : le constructeur numéro un mondial de batteries CATL a annoncé en 2021 la construction d'une immense usine de recyclage dans le centre de la Chine, pour 4,3 milliards d'euros.
Mais l'Europe ne veut pas prendre le même retard que celui accumulé dans l'approvisionnement en minerais et métaux, ou dans la conception même des batteries. Dès octobre 2017, la Commission européenne lançait le projet d'une Alliance européenne des batteries visant à « rattraper une partie du retard accumulé (par rapport à l'Asie) sur les différents segments de la chaîne de valeur des batteries et notamment sur l’aspect du recyclage »(2).
Raphaël Danino-Perraud, chercheur à l'IFRI, identifie un triple intérêt à recycler les batteries dans l'UE : « environnemental, car le recyclage permet une économie d’énergie en comparaison de l’extraction minière ; économique, car le développement d’une infrastructure de recyclage et d’un écosystème industriel lié au stockage électrique permettra la création d’emplois et de valeur ; stratégique, car elle permettra la récupération de ressources minières que l’UE n’exploite pas sur son sol et qu’elle pourra réinjecter directement dans son industrie ».
En 2022, le suédois Northvolt a ouvert une usine capable de recycler 25 000 tonnes de batteries par an et ambitionnait d'utiliser jusqu'à 50% de matériaux recyclés pour produire des batteries dans sa "gigafactory" voisine, à Skellefteå d'ici à 2030 - également pionnière dans la fabrication de batteries en Europe. Ce projet appelé "Revolt" était présenté comme essentiel dans le bilan carbone - et la communication - de l'entreprise, qui promet d'être la plus "verte" d'Europe. Il a été totalement abandonné en 2024.
L'objectif sera aussi d'importer les batteries à recycler, afin de récupérer les métaux que l'Europe n'avait pas su extraire en premier lieu en sécurisant les voies d'approvisionnement en amont.
Les géants français du nucléaire Orano (ex-Areva), de la mine Eramet avec Suez et du recyclage Veolia ont aussi lancé des projets pilotes. Eramet envisageait un projet d'usine dans le "vallée des batteries" du Nord de la France d'ici 2025, avant de le suspendre en octobre 2024 "faute de montée en puissance en Europe des usines de batteries et de leurs composants". Son objectif était de traiter 50 000 tonnes de modules de batteries par an, soit environ 25 000 tonnes de "black mass", ce qui permettrait d'alimenter environ 10% du marché européen des batteries pour automobiles électriques.
Les doutes sur la viabilité de la filière
Si les professionnels savent déjà faire, les composants étant souvent les mêmes que ceux des batteries des téléphones et des ordinateurs, de nombreux doutes subsistent.
Les technologies de batteries lithium-ion des véhicules électriques ne contiennent par exemple pas toutes du cobalt, qui est l'un des minerais à la plus forte valeur.
Aussi, le déploiement de voitures électriques étant récent, peu de batteries ont atteint leur fin de vie. L’absence de volume suffisant de batteries à traiter fait qu'il n’existe pas encore de réelle filière industrielle de recyclage. Les quelques usines déjà ouvertes peuvent toutefois déjà effectuer des opérations sur les rebuts de fabrication des batteries actuellement produites.
Enfin, la filière en devenir devra pouvoir s’adapter à la diversité et à l'évolution des technologies de batteries - qui ne sont pas encore matures, sans pour autant multiplier les procédés de recyclage.
Le modèle économique reste à prouver.
Il se pourrait même que certains matériaux rares et chers soient remplacés par d'autres bien plus abondants, et que la filière du recyclage ne soit pas viable à moyen-terme. On peut notamment citer les espoirs des batteries au lithium-métal et même celles sodium-ion.
Mais la responsable de l'environnement de Northvolt Emma Nehrenheim l'affirme : "Toutes les prévisions qu'on avait jusqu'à maintenant étaient en dessous de la réalité."
Enjeux technologiques, économiques et industriels
Les capacités cumulées de toutes les batteries lithium-ion fabriquées dans le monde ont été multipliées par 80 entre 2000 et 2018 ; et les deux tiers de ces capacités(3) étaient utilisées pour les véhicules électriques. Le développement de la mobilité électrique devrait multiplier le besoin en batteries par 17 entre 2019 et 2030, selon l’Agence internationale de l’énergie(4).
Alors qu'en parallèle, l'industrie européenne dispose d'un faible accès aux métaux critiques, le recyclage des batteries et de ses matériaux devrait bien devenir stratégique dans les années à venir.
La question de la disponibilité de ces matériaux est toutefois complexe à appréhender : d’une part, la valeur des réserves est soumise à des considérations géopolitiques et aux évolutions des techniques d’extraction ; d’autre part, les besoins en matériaux sont très sensibles aux hypothèses de prospectives : nombre de véhicules électriques, taille des batteries et évolutions technologiques.
Plusieurs technologies de batteries coexistent déjà dans le cas des batteries lithium-ion, qui sont utilisées aujourd’hui dans l’immense majorité des véhicules électriques(5). Si toutes contiennent du lithium, les autres constituants varient : elles peuvent contenir soit du cobalt avec du nickel ou du manganèse, soit ne pas en contenir du tout dans le cas des technologies au fer-phosphate par exemple.
De plus, la composition chimique exacte de ces composants de stockage est difficile à identifier, puisqu'elle relève de la propriété industrielle. Sans compter les améliorations régulièrement apportées pour améliorer les performances.
Réduire les externalités négatives liées aux batteries
Les principaux matériaux impliqués dans la fabrication des batteries lithium-ion sont le lithium, le cobalt, le nickel, le manganèse et le graphite. Tous sont repérés comme des matériaux onéreux, présentant des risques de disponibilité et des risques environnementaux(6). Sans oublier les conditions de travail pour l'extraction dans certains pays(7).
C'est pourquoi les programmes de recherche européens se positionnent d’ailleurs dans cette direction en incluant la dimension environnementale dans le développement des batteries(8).
Les spécialistes s'accordent à dire qu'il faut d'abord prolonger la vie de ces batteries, mais aussi leur donner une deuxième vie afin de prolonger leur utilisation, et ainsi de diminuer leurs impacts environnementaux. Une utilisation comme stockage d’énergie connecté au réseau électrique est envisagée(9). RTE estime cependant que cette hypothèse n’est pas pertinente, ni d'un point de vue technique ni économique(10).
Les besoins pour assurer l'électrification du monde et abandonner les énergies fossiles sont tels qu'il faudra "aussi bien relancer des mines pour extraire de nouveaux métaux que développer le recyclage, tout en continuant à importer en Europe", rappelle Colin Mackey, représentant en Europe du géant minier Rio Tinto.
Plus généralement, c'est l’organisation même de notre mobilité qui doit être repensée – sortir du « tout voiture » – plutôt que de chercher à remplacer une technologie (le moteur thermique) par une autre (le moteur électrique).