Usines de batteries pour véhicules électriques : un réveil européen tardif

La première gigafactory de France a été inaugurée en mai 2023 à Douvrin, dans le Nord.

Nous assistons à une vague d’investissement dans les projets d’usines de batteries pour véhicules électriques, car les fabricants ont un intérêt commercial direct à s’implanter à proximité des unités d’assemblage des constructeurs automobiles. Les États membres de l'UE apportent en outre un soutien financier aux projets industriels. Cependant, l’autonomie stratégique reste un rêve lointain, tant le continent a pris du retard par rapport aux principaux acteurs extra-européens.

Une domination chinoise et asiatique

La Chine domine l'industrie mondiale des batteries automobiles mais l'Europe intensifie ses efforts pour combler son retard. Avec 1% de la production mondiale de cellules lithium-ion, composant-clef des batteries rechargeables de voitures électriques, peu de constructeurs européens ont investi ce marché mondial, qui pourrait atteindre 45 milliards d'euros en 2027, dont 20% à 30% en Europe. 

La Chine abrite les deux tiers des capacités de production du globe. Assurant un quart de l'offre planétaire, le mastodonte chinois CATL est numéro un, devant le japonais Panasonic, un autre chinois, BYD, et le sud-coréen LG-Chem.

Une domination logique : la Chine représente la moitié des ventes mondiales de véhicules électriques et Pékin impose aux constructeurs l'usage de composants locaux. Par ailleurs, les chinois Tianqi et Ganfeng contrôlent un tiers de l'offre mondiale de lithium notamment via leurs investissements dans les mines australiennes et chiliennes.

Les premiers constructeur à avoir ouvert leurs usines en Europe sont d'ailleurs asiatiques : CATL en Allemagne pour BMW, LG-Chem en Pologne pour Daimler, Volvo, Audi et Renault, et les coréens Samsung-SDI et SK-Innovation en Hongrie.

La réaction européenne

La European Battery Alliance (EBA) a été lancée par la Commission européenne en 2017 pour renforcer la compétitivité de l'Europe dans le secteur des batteries et assurer une chaîne de valeur complète pour les batteries en Europe. Cette initiative vise à réduire la dépendance de l'Europe vis-à-vis des importations de batteries, en particulier celles provenant d'Asie, tout en soutenant la transition vers une mobilité plus propre.

L'alliance réunit plus de 600 acteurs industriels, gouvernementaux et financiers, incluant des géants tels que Volkswagen, BASF, et Northvolt. Grâce à un soutien financier de plus de 20 milliards d'euros d'investissements publics et privés - en plus des investissements nationaux, l'EBA a déjà vu la mise en place de plusieurs gigafactories en Europe, notamment en Allemagne, en Suède, et en France.

Ces initiatives visent non seulement à accroître la production de batteries, mais aussi à développer des technologies de recyclage et à sécuriser l'approvisionnement en métaux critiques et stratégiques, comme le lithium, le manganèse et le cobalt, au sein de l'Union européenne. L’Europe n’est pas encore parvenue à attirer les investissements correspondants dans la fabrication des sous-composants de la cellule du fait de son influence très limitée sur l’approvisionnement en minerais. A noter que des pistes existent pour concevoir des batteries en se passant de certains de ces matériaux - batteries solides, batteries lithium-soufre - mais ces technologies ne sont encore qu'expérimentales.

D'ici 2025, l'EBA ambitionne d'ouvrir entre 10 et 20 "giga-usines" pour satisfaire la demande européenne et produire suffisamment de batteries pour alimenter au moins 6 millions de véhicules électriques par an, contribuant ainsi à l'objectif de neutralité carbone de l'Union européenne d'ici 2050.

Un Airbus des batteries ?

L'Union européenne avait appelé à créer un consortium de type "Airbus des batteries" associant constructeurs et firmes spécialisées.

Sites de production de cellules de batteries pour véhicules électriques en Europe

Si la plupart des constructeurs souhaitent l'émergence d'un champion européen, certains ne souhaitent pas y participer, jugeant comme Renault ou BMW que "c'était aux fournisseurs de le faire" et que la concurrence était nécessaire pour favoriser l'innovation et réduire des coûts encore élevés.

Northvolt : le pionnier suédois

Volkswagen s'est associé au suédois Northvolt pour former "une union européenne des batteries" vouée exclusivement à la recherche. Rare spécialiste européen des accumulateurs, Northvolt a ouvert en Suède en 2020, avec l'aide de Siemens, la plus grosse usine de batteries du continent.

Son rival néerlandais Lithium Werks, qui possède deux usines en Chine, est lui en pourparlers avec la Pologne pour construire une usine géante, un investissement surpassant un milliard d'euros.

ACC : le futur champion franco-allemand

Automotive Cells Company (ACC) est une joint-venture créée en 2020 par trois acteurs majeurs : Stellantis, TotalEnergies via sa filiale Saft, et Mercedes-Benz. Avec des investissements de plusieurs milliards d'euros, ACC prévoit la construction de plusieurs gigafactories en France et en Allemagne, avec une capacité de production atteignant 120 GWh par an d'ici 2030, de quoi équiper plus de 2,5 millions de véhicules électriques chaque année.

L'entreprise a ouvert l'usine pilote de batteries pour voitures électriques de Nersac en 2020, située en Charente, pour tester et perfectionner les processus de production avant le lancement à grande échelle de ses giga-usines. En produisant des prototypes, l'usine permet également d'accélérer les phases de recherche et développement tout en assurant la qualité des futures batteries. Elle a aussi ouvert un centre de recherche opérationnel mi-2021 à Bruges, près de Bordeaux.

Gigafactories de batteries en France

Actuellement, la France compte une gigafactory de batteries pour véhicules électriques en service : celle d'ACC entre Douvrin et Billy-Berclau, ouverte le 30 mai 2023. Elle vise 13 GWh de capacité annuelle d'ici fin 2024 et 40 GWh à partir de 2030, soit l'équivalent de 800 000 batteries produites par an par 2 000 salariés.

Trois autres usines devraient sortir de terre avant la fin de la décennie dans les Hauts-de-France, territoire emblématique de la désindustrialisation du pays, avec notamment :

  • l'usine de groupe sino-japonais AESC-Envision à Douai, dont la production sera destinée à Renault à partir de début 2025.
  • l'usine de l'entreprise grenobloise Verkor à Dunkerque, soutenue par Renault, Schneider Electric et Arkema, dont la production sera destinée à Renault à partir de mi-2025.
  • l'usine du groupe taïwanais ProLogium, spécialisé dans la batterie dite "solide", à Dunkerque également, avec un démarrage de production prévu fin 2026.

Le 12 mai 2023, M. Macron a annoncé d'ailleurs l'implantation à Dunkerque d'un site de production de cathodes - une des deux électrodes composant une batterie - financé par le chinois XTC et le français Orano.

À Billy-Berclau, ACC espère ouvrir la voie à un écosystème en cours de développement dans le nord de la France avec l'ouverture de trois autres usines similaires dans les années à venir qui devraient attirer fournisseurs de matériaux et fabricants de composants de batteries.

A terme, cette "Vallée des batteries" souhaite former 13 000 personnes et en employer 20 000 emplois d'ici 2030. La France ambitionne non seulement d'être autonome en production de batteries d'ici 2027 pour fournir son industrie automobile, mais même d'exporter.

Début de l'essor du véhicule électrique

En 2020, le marché des véhicules électriques et hybrides rechargeables a décollé dans l'Union européenne, atteignant un cumul de 1 045 831 ventes (contre 387 808 en 2019). La part des seules voitures électriques à batterie (hors hybrides rechargeables) dans l'ensemble des ventes de véhicules sur le marché européen est passée de 3% en 2019 à 10,5% en 2020.

« Les étoiles sont entièrement alignées pour que les clients européens adoptent la mobilité électrique », constate Carole Mathieu du Centre Énergie & Climat de l'Ifri. Dans un rapport(1), elle « évalue les implications industrielles et conditions de succès » de l'ambition européenne d'instaurer des normes environnementales sur la fabrication de batteries pour véhicules électriques (la Commission européenne a proposé fin 2020 un nouveau règlement dédié aux batteries(3)).

Comme dans les autres pays de l'Union Européenne, la vente de véhicules thermiques neufs sera interdite à partir de 2035.

Sur le même sujet