Le graphite, un enjeu européen d’autonomie stratégique pour la mobilité propre

  • Source : Ifri

Bien que faisant l'objet d'une moins forte attention que le lithium ou le nickel, le graphite est « également un élément essentiel des batteries électriques de type lithium-ions », rappelle Raphaël Danino-Perraud (1) qui consacre à ce matériau critique de la transition énergétique une note publiée le 20 juin par le Centre Énergie & Climat de l'Ifri. Le graphite naturel fait d'ailleurs partie de la première liste de criticité de l’Union européenne depuis 2011 (contre 2020 pour le lithium).

D'où vient le graphite ?

Le graphite « peut être issu de la mine (on parle de graphite naturel) mais également de la pyrolyse des houilles ou du coke de pétrole (on parle alors de graphite synthétique ou « electro-graphite ») », rappelle la note de l'Ifri. Ces deux filières sont « imbriquées et généralement substituables, tant sur le plan de la production que sur celui des usages, pour les batteries ».

La Chine est de loin le plus grand producteur de graphite : le pays a « extrait environ 77% des 1 600 000 t de graphite naturel produites en 2023, soit 1 200 000 t » et compte pour près de 54% de la production de graphite synthétique (avec 1 300 000 t annuelles, contre 400 000 t pour le Japon et 200 000 t pour l'Inde).

Malgré l'importance de sa production, la Chine est contrainte d'importer du graphite(2) (près de 93 000 tonnes en 2022), majoritairement du Mozambique, et de façon secondaire de Madagascar et de Tanzanie. Trois pays qui « présentent un potentiel certain pour devenir des fournisseurs alternatifs à la Chine dans les années à venir ».

Les ressources économiques exploitables à l'heure actuelle (autour de 280 millions de tonnes dans le monde) seraient situées pour 28% en Chine, 26% au Brésil, 9% au Mozambique et 9% également à Madagascar.

Quels sont les besoins en graphite ?

Le graphite est utilisé dans les anodes des batteries lithium-ions mais fait l'objet de nombreux autres usages : dans la fabrication de l'acier, pour des produits de frictions comme les disques de freins pour TGV, pour certains types de réacteurs nucléaires « à lit de boulets » en Chine, etc.

Raphaël Danino-Perraud donne également des ordres de grandeur soulignant l'importance du graphite dans un secteur stratégique, le stockage d'électricité : « il y a 5 g de graphite dans un smartphone, 15 g dans un ordinateur et plusieurs dizaines de kg dans les batteries pour véhicules hybrides (environ 10 kg) et électriques (50 à 100 kg) ». Le graphite compte au total pour 20 à 30% du poids des batteries(3). Et ce sont ces batteries qui vont tirer la croissance de la demande de graphite selon l'auteur (avec « possiblement la technologie de réacteur nucléaire à lit de boulet, ainsi que le graphène »).

La consommation de graphite liée à des besoins de la mobilité pourrait être « multipliée dans une proportion de 8 à 25 fois, selon le scénario d’électrification retenu », selon les estimations de l'AIE en 2021 (des alternatives sont étudiées comme les batteries solides avec du lithium métal mais elles compléteront les technologies au graphite plutôt que de s'y substituer selon l'auteur).

Les risques pour l'Europe

Les pays de l’UE importent près de 97% de leurs besoins en graphite naturel (l'Autriche et l'Allemagne produisent notamment quelques centaines de tonnes par an et les principales réserves européennes de graphite naturel sont situées en Suède, en Finlande et en Norvège). Il existe en revanche une industrie européenne de transformation du graphite et les pays européens produisent « plusieurs dizaines de milliers de tonnes » de graphite synthétique par an (sur une offre mondiale de 2,3 millions de tonnes en 2023).

Il est rappelé que la Chine a instauré des mesures de contrôle de ses exportations entrées en vigueur en décembre 2023. Ces restrictions ont eu un effet limité sur les prix pour le moment compte tenu d'une moindre demande du secteur des transports à l'heure actuelle. Mais « les paramètres pourraient rapidement se détériorer, tant du côté de l’offre que de la demande, si bien que toute stratégie d’autonomie européenne en la matière doit viser, malgré les difficultés liées aux prix dépréciés actuels, à persévérer pour développer des chaînes d’approvisionnement diversifiées ».

Par ailleurs, Raphaël Danino-Perraud rappelle que, si « le graphite n’est pas montré du doigt comme un enjeu important du conflit russo-ukrainien, à la différence du titane », il a également une importance non négligeable pour Kiev et l'UE, puisque l'Ukraine a compté pour 9% des importations européennes entre 2016 et 2020.

Lire l'étude :
Graphite, matériau critique transition énergétique

Sources / Notes

  1. Raphaël Danino-Perraud est chercheur associé au Centre Énergie et climat de l'Ifri et officier commissionné à l’État-major des armées, au titre du Service de l’énergie opérationnelles (SEO).
  2. La Chine produisant à elle seule près de 90% des anodes en graphite dans le monde.
  3. Il y a ainsi davantage de graphite que de lithium dans un véhicule électrique, souligne l'auteur de la note : « environ 54 kg pour une Tesla modèle S ».
    En 2021, les batteries ont compté respectivement pour 24% de la consommation de graphie naturel et 14% de celle de graphite synthétique.