La Bolivie dispose des plus grandes réserves de lithium et estime à 23 millions de tonnes les quantités disponibles dans le désert de sel d'Uyuni, au sud du pays.
Le lithium, dont le symbole chimique est Li, est un élément essentiel dans l'industrie moderne, notamment pour la fabrication de batteries rechargeables utilisées dans les véhicules électriques, les appareils électroniques, et les systèmes de stockage d'énergie. Avec la transition mondiale vers des énergies plus propres, la demande en lithium a explosé, faisant de ce métal léger un pilier de la révolution énergétique.
Quels sont les usages ?
A l'origine, le lithium était surtout utilisé dans les verres et céramiques, les graisses lubrifiantes, le traitement de l'air, les fondants de moulage pour la production d'acier, la métallurgie de l'aluminium, et en médecine, pour le traitement des patients bipolaires.
Ce sont ses propriétés physiques qui sont recherchées : c’est l’élément solide le plus léger du tableau périodique et il a une bonne tenue à la température. En plus d’être très léger, le lithium possède une très faible électronégativité, en faisant un matériel de choix pour les batteries qui permettent le stockage réversible d’énergie.
Avec le développement des batteries Li-ion, il a ainsi trouvé un fort débouché, que ce soit pour l’électronique portatif (téléphones ou ordinateurs portables notamment) ou plus récemment pour le véhicule électrique (VE). Pour les batteries, la pureté et le volume de lithium sont fondamentaux pour assurer performance, longévité et sécurité. Ce qui implique au passage des raffineries près des usines de batteries, afin de produire le carbonate ou l'hydroxyde de lithium nécessaires.
Le secteur des batteries représente aujourd’hui environ la moitié des volumes de lithium consommés dans le monde, dont un tiers est dédié aux seuls usages liés aux véhicules électriques selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Chaque batterie a besoin d'environ 5 kilos de lithium.
On observe un taux de croissance ces dernières années pour tous les secteurs (exception faite de celui des graisses lubrifiantes). Dans le secteur des batteries, la hausse de la consommation de lithium est la plus forte, avec une croissance de 20 % par an environ. Les plus grands importateurs et consommateurs de ce métal sont les pays les plus actifs dans le secteur de l’électronique (Chine, Corée du Sud, États-Unis en tête).
Dans les années à venir, la diffusion à grande échelle des technologies faisant appel aux minerais et métaux rares pourrait créer, voire exacerber, des tensions sur les marchés.
Réserves et ressources mondiales de lithium
Le lithium n'est pas rare et se trouve presque partout sur la planète, à l'état rocheux ou fluide sous forme de saumure. Mais il n'est pas exploité partout.
Les ressources gisements identifiés sans tenir compte de leurs conditions d'exploitation sont estimées à 86 millions de tonnes au total.
- Les principaux gisements identifiés sont dans le "triangle ABC de l'or blanc" en Amérique latine, généralement sur des lacs d'altitude ("salars") : Bolivie (23 Mt estimé), Argentine (19,3 Mt) et Chili (9,6 Mt).
- Les ressources aux États-Unis sont estimées à 7,9 Mt.
- En Afrique, le lithium est présent en RDC Congo (3 Mt), au Mali (700 000 tonnes estimé), et au Zimbabwe (500 000 tonnes).
- Les principaux gisements européens se situent en Allemagne (2,7 Mt), en République tchèque (1,3 Mt), en Serbie (1,2 Mt), en Espagne et au Portugal (respectivement 0,3 Mt et 0,27 Mt estimées) mais aussi en France sous forme minérale dans le Massif Central et Armoricain, et sous forme géothermale en Alsace.
Selon l'USGS, les réserves mondiales exploitables de lithium étaient estimées en 2021 à 21 millions de tonnes, dont près de la moitié au Chili.
Pour Philippe Varin, auteur d'un rapport sur l'autonomie stratégique en métaux pour le gouvernement français, « depuis 40 ans, le triangle du pétrole et du gaz -Arabie saoudite, Etats-Unis et Russie- ont gouverné la géopolitique du monde avec les guerres ou l'OPEP. Ceci va être petit à petit derrière nous, on se retrouve avec beaucoup de pays émergents qui vont disposer de ressources, et on voit une rivalité entre Chine et Etats-Unis pour contrôler ces ressources ».
Production et raffinage
La géographie de la production primaire de lithium (saumure, roches) peut être différente de celle des bases chimiques (LiOH, Li2CO3, etc.) ou des produits utilisant les dérivés chimiques de ce métal.
Le premier producteur mondial est l'Australie (52%) sous forme de spodumène concentré, et la Chine en raffine plus de la moitié (60%) en le transformant en carbonate ou hydroxyde de lithium(1). La majeure partie du minerai australien est ainsi exportée vers la Chine en vue d'un éventuel raffinage et d'une utilisation notamment dans les batteries des véhicules électriques. À l’inverse, le Chili exporte la très grande majorité du lithium produit sur son territoire sous forme transformée de carbonate de lithium.
Selon l'institut géologique des États-Unis (USGS), la production mondiale de lithium s'est élevée à 82 000 tonnes en 2020, venant surtout de quatre pays : Australie (40 000 t), Chili (18 000 t), Chine (14 000 t) et Argentine (6 200 t). Viennent ensuite le Brésil (1 900 t), le Zimbabwe (1 200 t) et le Portugal, premier pays européen avec 900 tonnes de lithium, mais pas de "qualité-batterie".
Méthodes de production
On distingue trois types de production :
- Pompage de saumures chargées de lithium et évaporation pour isoler les cristaux : cette méthode, largement utilisée en Amérique Latine, est critiquée par les ONG pour l'assèchement des ressources hydriques qu'elle provoque dans le milieu. En revanche, elle ne recourt pas (trop) à des produits chimiques. Il existe de nouvelles méthodes d'extraction directe dans les saumures.
- Extraction de la roche dans laquelle le lithium est contenu - le spodumène en Europe - suivie d'un traitement - chauffage, broyage, et/ou utilisation d'acides - pour isoler et purifier le lithium. Cette méthode permet d'économiser l'eau, à condition que le circuit des produits chimiques soit strictement contrôlé.
- Recyclage des batteries pour récupérer les métaux : en Europe, la Commission estime que cette méthode devrait permettre "de réduire les besoins en matières premières de 10% d'ici 2040".
Un marché tenu par la Chine et les États-Unis
La production de lithium est historiquement contrôlée par un petit nombre d’acteurs et cinq industriels dominent le marché : Albermarle (États-Unis), SQM (Sociedad Quimica y Minera de Chile, Chili), Livent (États-Unis), Ganfeng (Chine) et Tianqi (Chine). Ces grands industriels sont des groupes du secteur de la chimie, de l’agroalimentaire (avec les engrais azotés), de la pharmacie ou du secteur minier.
En 2017, la part de ce marché dans leurs chiffres d’affaires atteint 12% pour FMC, 30% pour SQM et 43% pour Albermarle, selon les rapports annuels de ces entreprises. Plus récemment, deux compagnies chinoises majeures, Tianqi et Ganfeng (historiquement des transformateurs de lithium), ont aussi investi sur l’ensemble de la chaîne de valeur, et notamment dans l’extraction.
À l’échelle internationale, le marché du lithium est encore segmenté géographiquement entre un marché atlantique (Europe et États-Unis se fournissant majoritairement en Amérique du Sud) et un marché asiatique (la Chine ayant une production domestique et se fournissant majoritairement en Australie).
Les dynamiques d’équilibre à long terme sur les marchés de matières premières nous apprennent toutefois que l’absence de criticité géologique ne permet pas d’occulter différentes formes de vulnérabilité(2), qu’elles soient économiques, industrielles, géopolitiques ou environnementales. Parmi elles, la concurrence entre les acteurs apparaît toute relative, malgré l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché. Dès lors, la structure industrielle de la filière tend à montrer une criticité économique possible, en raison du faible nombre d’acteurs et de leur positionnement oligopolistique.
Le réveil européen
Les États eux-mêmes sont engagés dans des logiques de sécurisation de ces métaux stratégiques pour la transition énergétique en cours. L'UE a ainsi signé des partenariats avec l'Ukraine, et travaille avec le Canada, la Serbie ou l'Amérique Latine.
De nombreux projets sont à l'étude ou en cours pour une production et un raffinage en Europe.
Au Portugal, où un projet de raffinage entre le Portugais Galp Energies et le constructeur de batteries suédois NorthVolt vient d'être annoncé, les autorités attendent le verdict de l'autorité environnementale sur un projet minier baptisé Savannah.
En Allemagne, un groupe minier australien vante son lithium "à bilan carbone nul" commercialisé sous la marque Vulcan, auquel sont associés Renault et Stellantis. Côté raffinage, l'Allemagne accueillera une usine du groupe canadien Rock Tech Lithium.
En France
Une mine de lithium nommée Emili est en projet à Echassières en Auvergne, où l'entreprise spécialisée Imerys exploite déjà du Kaolin. Ils estiment que ce gisement pourrait contenir environ un million de tonnes d'oxyde de lithium, ce qui placerait la France directement au deuxième rang mondial des producteurs de lithium. 34 000 tonnes d'hydroxyde de lithium pourraient être produits par an à partir de 2028, pour une durée d'au moins 25 ans. Cette production pourrait équiper chaque année l'équivalent de 700 000 véhicules électriques en batteries lithium-ion.
En Alsace, la société Averne groupe (filiale Lithium de France) est en train de construire une centrale géothermique qui produira à la fois de l'électricité et de la chaleur, tout en extrayant du lithium. L'extraction de lithium, prévue à partir de 2026, devrait atteindre 1 500 tonnes annuelles d'hydroxyde monohydraté de lithium, de qualité batterie, tandis que l'entreprise continue d'explorer le sous-sol alsacien. L’Association française des professionnels de la géothermie (AFPG) évalue aujourd’hui la coproduction possible de lithium en Alsace à 15 000 tonnes par an sur 10 sites géothermiques.
La première usine française de lithium de qualité batterie devrait ouvrir fin 2025, également en Alsace, à l'initiative de l'entreprise de recherche alsacienne Viridian associée aux groupes Technip Energies et Veolia Water.
Une autre usine de production de matériaux de cathodes pour les batteries lithium a été annoncée en 2023 ; le projet porté par le chinois XTC et le français Orano se situe à Dunkerque.
Eramet est aussi parvenu à extraire du lithium à partir de saumure géothermale en Alsace (est de la France). Une première qui ouvre des perspectives industrielles dans le fossé rhénan. En Argentine, le groupe minier français Eramet a annoncé l'ouverture en 2024 d'une usine avec le Chinois Tsingshan qui devrait produire "15% des besoins européens de lithium" selon sa PDG Christel Bories.
Prix du lithium
Depuis début 2021, avec l'accélération des projets de batteries en Europe et aux États-Unis, les prix s'envolent. La production ne suit pas aussi vite.
Selon Robert Colbourn, analyste à Benchmark Mineral Intelligence à Londres, le prix du carbonate de lithium en Chine, qui fait office de baromètre mondial, a augmenté de 400% en 2021 pour se situer autour de "34 000 dollars la tonne" contre "6 700 dollars la tonne un an avant, fin décembre 2020".
En 2021, le prix du carbonate de lithium pour des contrats au comptant aux États-Unis a doublé à 16,72 dollars le kilo, indique le CyclOpe. De même, pour les hydroxydes de lithium, de plus en plus demandés pour les batteries automobiles, les prix ont presque doublé (+ 97%) à 18,82 USD le kg.
En outre, la volatilité des prix pourrait fragiliser les nouveaux entrants sur le marché et conduire à des nouveaux mouvements de consolidations (fusions et acquisitions) entre les acteurs. Toutefois, cette volatilité des prix pourrait au final peu impacter l’aval de la filière associée à la production de batteries. En effet, la part du prix du lithium dans le coût global de fabrication d’une batterie automobile reste faible. En 2017, Bloomberg avait ainsi calculé(3) qu’un triplement du prix du lithium aurait pour conséquence une augmentation de seulement 2% du prix des batteries, alors que ce chiffre monte à près de 13% pour le cobalt.
La dynamique des prix observée à partir de 2004 avait suscité de nombreuses interrogations de la part des analystes sur une possible cartellisation du marché du lithium, à savoir la création d’une forme « d’OPEP du lithium ». Si la proximité géographique des acteurs du triangle du lithium est avérée, la proximité stratégique l’est beaucoup moins.
Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la demande de lithium devrait être multipliée par 6 d'ici à 2030 et par 40 d'ici 2040.
Le défi de l'électrification du parc automobile mondial
Avec une structure industrielle de marché oligopolistique et une concentration des réserves sur un nombre restreint de pays, le lithium offre, dans le contexte d’électrification du parc automobile mondial, un terrain d’étude propice. Dans le cadre de leur étude(4), des chercheurs d'IFP Energies nouvelles ont développé trois scénarios d’électrification du secteur du transport à l’échelle mondiale à l’horizon 2050.
Le scénario de référence (appelé « BAU » pour business as usual) poursuit la tendance actuelle sans qu’aucune nouvelle mesure ne soit adoptée dans le futur, tandis que les scénarios « Facteur 2 » et « Facteur 4 » enregistrent respectivement une division par deux et par quatre des émissions de CO2 directes dans le secteur du transport, par rapport au niveau de 2005. La flotte mondiale de VE à batteries (2 et 3-roues non inclus) devrait ainsi atteindre entre 200 et 650 millions de véhicules en 2050. La demande cumulée de lithium est ainsi estimée entre 6 et 13 millions de tonnes, selon le scénario considéré sur la période 2005-2050.
Cette demande est globalement tirée par les régions d’Asie - Chine et Inde - et par l’Europe, avec des parts respectives estimées à environ 30%, 26% et 10% de la consommation totale. Cette forte consommation de la Chine et de l’Inde provient du déploiement des deux et trois roues électriques en plus des véhicules particuliers. Le continent africain n’est pas en reste, avec un poids non négligeable (environ 8%) dans la consommation mondiale cumulée de lithium du fait du développement de cette filière électrique.
Une forte pénétration du véhicule électrique au niveau mondial pourrait engendrer une diminution marquée de la marge de sécurité d’approvisionnement en lithium(5).
Ces scénarios tendent à montrer qu’une forte pénétration du véhicule électrique au niveau mondial (jusqu’à 75% en 2050, tous véhicules confondus) pourrait engendrer une diminution marquée de la marge de sécurité d’approvisionnement en lithium (rapport entre la consommation cumulée de lithium entre 2005 et 2050 et les réserves actuelles évaluées à 16 Mt). La marge de sécurité se situe ainsi à 65% pour le scénario de référence, et à moins de 15% pour le scénario le plus contraignant (« Facteur 4 »).
En parallèle, le développement des batteries Li-ion (pour l’électronique portatif et pour la première phase de pénétration des VE) entretient une dynamique d’exploration et d’exploitation minière au niveau mondial. Cela a déjà eu pour conséquence une multiplication par 3 des ressources estimées entre 2000 et 2017, et une multiplication par 4 des réserves entre 2000 et 2017.
Les constructeurs automobiles commencent à monter au capital des exploitants miniers et des constructeurs de batteries afin de sécuriser leur filière d'approvisionnement
Volkswagen et BMW sont ainsi entrés au capital de Northvolt, le groupe suédois de batteries électriques. Outre plusieurs usines de batteries à travers l'Europe, le nouveau géant européen prévoit de construire près de Lisbonne une grande usine de raffinage de lithium, avec le pétrolier Galp.
Le groupe Stellantis (né de la fusion de Fiat-Chrysler et Peugeot-Citroën) mais aussi Renault et Volkswagen ont signé des contrats avec le projet de mine allemande Vulcan pour s'approvisionner en lithium. Volkswagen prévoit également de créer une coentreprise avec le groupe belge Umicore, spécialiste des matériaux pour la mobilité propre, pour fournir des matériaux de cathode (un des éléments des batteries) aux usines européennes du groupe.
Renault a aussi rejoint le consortium de Veolia et Solvay qui a construit une usine pilote pour améliorer le recyclage des métaux utilisés dans les cellules de batteries, comme le nickel, le lithium ou le cobalt, une alternative essentielle à l'extraction.