Descente de barres de combustible du réacteur MASURCA, initialement dédié à l'étude des réacteurs à neutrons rapides (©P.Stroppa/CEA)
Contexte et enjeux
Les prochaines décennies seront marquées par des besoins croissants en énergie, l'épuisement progressif des ressources fossiles et la logique de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Toutes les sources d’énergie devront être mises à contribution pour répondre à la situation et le nucléaire, aux côtés des énergies renouvelables, est susceptible de jouer un rôle fondamental dans le « bouquet énergétique » de demain. Compétitif, il ne produit pratiquement pas de gaz à effet de serre et permet d’assurer une production d’électricité massive et régulière.
Ce recours au nucléaire devrait engendrer une consommation accrue du minerai d’uranium et implique de préserver cette ressource. Inscrire le nucléaire dans une perspective de développement durable suppose ainsi de développer une nouvelle génération de réacteurs : « la quatrième génération », capable d’utiliser directement l’uranium naturel ou appauvri et de produire 50 à 100 fois plus d’électricité avec la même quantité de minerai que les réacteurs nucléaires actuels.
En 2000, le Forum international Génération IV (GIF) est né de la volonté de créer un cadre de R&D international sur le nucléaire du futur et faire émerger plus rapidement les technologies les plus performantes à maîtriser.
Douze pays (Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Japon, Royaume-Uni, Russie, Suisse) et Euratom ont donc fait le choix d'adhérer à ce forum et de mettre ainsi en commun leurs efforts pour développer une nouvelle génération de systèmes nucléaires.
Vers la fin du XXIe siècle, les ressources conventionnelles en uranium connues à ce jour pourraient être épuisées. D’après les prévisions, le marché de l’uranium pourrait commencer à se tendre vers le milieu du siècle. D’où la mobilisation de nombreux pays sur ces réacteurs « surgénérateurs » qui constituent une réponse définitive vis-à-vis de ce risque de pénurie.
L’échéance de 2040/2050 évoquée pour le déploiement des réacteurs de quatrième génération n’est pas simplement dictée par les avancées de la R&D. Cette date est aussi et surtout celle à laquelle il est nécessaire de se tenir prêt compte tenu des enjeux énergétiques. L’uranium à haute teneur est en effet une ressource limitée.
Environ 250 000 tonnes d’uranium appauvri sont actuellement entreposées sur plusieurs sites en France(1). Avec les réacteurs de 4e génération, les stocks d’uranium appauvri disponibles, en combinaison avec les combustibles usés contenant du plutonium, permettront, à partir du siècle prochain, de s’affranchir totalement des mines d’uranium, et ce pendant plusieurs millénaires : on valorisera, dès lors, les 99% de l’uranium extrait mis actuellement de côté.
Les technologies en cours de recherche
Compte tenu des besoins et des contextes particuliers de chaque nation, il ne peut exister un système unique de réacteur nucléaire de quatrième génération.
En 2002, six technologies ont été retenues par les membres du Forum international Génération IV. Elles apportent toutes des avancées notables en matière de développement énergétique durable, de compétitivité économique, de sûreté et de fiabilité, de résistance à la prolifération et aux agressions externes.
Trois des 6 systèmes retenus au sein du forum sont des réacteurs à neutrons rapides
Ils exploitent la fertilité de l’uranium 238 (naturel ou appauvri) qui, irradié par des neutrons rapides, est converti directement en plutonium 239 fissile. Avec la même quantité d’uranium, on pourait alors produire 50 à 100 fois plus d’électricité que les réacteurs actuels. La ressource en uranium naturel est alors durablement assurée.
Ces systèmes à neutrons rapides permettent le bouclage complet de l’aval du cycle par un multi-recyclage du plutonium, permettant aussi de préserver les ressources en uranium. Dans les réacteurs actuels à eau, le recyclage du plutonium est limité à un cycle sous la forme de combustible appelé MOX (Mixed OXide fuel).
Enfin, l’un des grands enjeux des réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides est de faciliter la gestion des déchets radioactifs en réduisant le volume et la radiotoxicité intrinsèque à long terme des déchets ultimes. Ces réacteurs pourraient en effet être en mesure de brûler une part déterminante des éléments radioactifs à vie longue qui compose les déchets : les actinides mineurs (américium, neptunium, curium). Les déchets ultimes se limiteraient alors aux produits de fission, débarrassés des actinides mineurs. Ils seraient plus aisément stockables et retrouveraient le niveau de radioactivité de l’uranium naturel non plus au bout d’une dizaine de milliers d’années, mais au bout de 300 ans environ.
Les 3 systèmes à neutrons rapides sont :
- GFR (Gas-cooled Fast Reactor), réacteur à neutrons rapides refroidi au gaz
Ce système combine les avantages des neutrons rapides en termes de rendement nucléaire et de la haute température pour les applications industrielles de la production d’hydrogène ; - SFR (Sodium- cooled Fast Reactor), réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium
Outre les avantages des neutrons rapides, le SFR peut être associé à un cycle fermé permettant un recyclage des actinides et un multirecyclage du plutonium ; - LFR (Lead-cooled fast Reactor), réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb
Le LFR dispose d’un atout important : la compatibilité du plomb (et de ses alliages) avec l’eau et l’air. Elle permet par exemple d’envisager de placer les générateurs de vapeur directement dans la cuve primaire.
En complément de la filière à neutrons rapides, 3 types de réacteurs sont aussi étudiés
- VHTR (Very High Temperature Reactor), réacteur à très haute température
Ce réacteur refroidi au gaz de ce système peut dépasser 1 000°C pour bénéficier d’un très bon rendement de conversion. Il peut alimenter en chaleur industrielle des unités de production directe d’hydrogène par décomposition thermochimique de l’eau ; - SCWR (Supercritical Water-cooled Reactor), réacteur à eau supercritique
L’utilisation de l’eau supercritique (>221 bars,> 374°C) dans laquelle vapeur et liquide sont indissociables permet de pousser les rendements des réacteurs au-delà des 30% actuels ; - MSR (Molten Salt Reactor), réacteur à sels fondus
Le MSR présente des caractéristiques uniques du fait de la nature liquide de son combustible qui est aussi le caloporteur, porté à 700°C.
Le CEA travaille sur deux filières : le réacteur à neutrons rapides et caloporteur sodium (SFR ou RNR-Na) et le réacteur à neutrons rapides et caloporteur gaz hélium (GFR ou RNR-G).
Historique
En 2006, le président de la République Jacques Chirac annonce le lancement d’un prototype de réacteur de 4e génération, décision concrétisée par l’adoption de la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactif.
Pour répondre à ce challenge très ambitieux faisant de la France la première nation au monde à disposer d’un prototype industriel de réacteur de 4e génération en cohérence avec le déploiement de la filière à l’échéance de 2040/2050, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a lancé un démonstrateur SFR (Astrid) et un programme de recherche GFR (Allegro).
Pour Astrid, le concept de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (SFR, appelé RNR-Na en France) a été choisi car, plus mature, il est à la fois le plus apte à répondre au cahier des charges très exigeant de la quatrième génération et le seul raisonnablement compatible avec l’objectif de 2040/2050 pour un déploiement industriel.
Pour la France, grâce à l’expérience de la filière RNR-Na acquise avec Rapsodie, Phénix et Superphénix et au retour d’expérience de la dizaine de RNR-Na ayant fonctionné ou étant en service dans le monde, il est possible d’identifier les forces et les faiblesses de la filière par rapport aux critères de la 4e génération et ainsi d’orienter les évolutions nécessaires de conception et de R&D associée.
La France mène ses travaux de recherche en concertation avec des partenaires internationaux et plusieurs degrés de collaboration sont mis en place : le partage d'installations de R&D, pour éviter de dupliquer ce type d'installations, le partage de résultats. Plusieurs accords sont notamment conclus avec des partenaires japonais et américains.
En octobre 2010, la France, à travers le CEA, le US Department of Energy (DoE) et le Japan Atomic Energy Agency (JAEA) a signé une déclaration d’intention de coopération dans le domaine des prototypes et démonstrateurs de réacteurs nucléaires de 4e génération. En mai 2014, un accord de coopération a été signé autour du projet de réacteur à neutrons rapides Astrid du CEA avec le Japon dont le projet de réacteur JSFR est actuellement suspendu suite à l’accident de Fukushima Daiichi.
Ces alliances témoignent la volonté d’accélérer la coopération dans ce domaine stratégique pour le développement d’un nucléaire durable.
Les projets en cours les plus avancés
Astrid
Le CEA était chargé par le gouvernement de ce programme (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) Astrid de démonstrateur industriel de réacteur à neutrons rapides (refroidi au sodium). Après une première phase d'avant-projet « sommaire », l'organisme public de recherche a rendu à l’État un dossier présentant l’avancement de ses recherches dans le cadre de la loi et clôturant la première phase d’avant-projet.
Ce réacteur devait permettre de mettre en œuvre une politique de préservation des ressources en assurant une utilisation aussi complète que possible du plutonium par multirecyclage, une meilleure utilisation de la ressource en uranium et la démonstration de la faisabilité, sur des quantités significatives, de transmutation des actinides mineurs (radioéléments à vie longue). Par ailleurs, il répondra aux exigences de sûreté et de résistance à la prolifération.
En parallèle de ce développement, le cycle du combustible associé a été examiné au travers, d’une part des études de conception d’un atelier destiné à produire le combustible de ce réacteur (AFC-atelier de fabrication du combustible), et d’autre part au travers des études de faisabilité d’une installation permettant la séparation et la transmutation des actinides mineurs en vue de diminuer la radiotoxicité intrinsèque des déchets nucléaires.
Allegro
Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au gaz procèdent d’un concept totalement innovant. Le CEA a développé une R&D de haut niveau sur la filière qui a la particularité d’associer neutrons rapides et haute température.
Contrairement à Astrid, il ne s’agit pas d’un démonstrateur industriel, les recherches n’étant pas encore suffisamment avancées. Les efforts portent essentiellement sur le combustible et la sûreté en collaboration avec la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie afin de construire dans l’un de ces trois pays un réacteur expérimental baptisé Allegro.
La filière RNR gaz en est à ses débuts et en l’absence de retour d’expérience, le réacteur sera d’une puissance limitée.