La guerre en Ukraine a eu un impact majeur sur le marché du GNL et les exportations américaines vers l’Europe. ©GIIGNL
Selon l'IEEFA(1), les importations européennes de GNL ont augmenté de 60% entre 2021 et 2022, et ont continué à croître en 2023. Les importations de GNL ont toutefois reculé de 20% au premier semestre 2024, tout en continuant d'investir massivement dans les infrastructures, faisant craindre une surcapacité dans les prochaines années.
Plein gaz sur le GNL en Europe entre 2021 et 2023
Le GNL (gaz naturel liquéfié) désigne le gaz naturel transformé sous forme liquide. Le transport du gaz naturel devenu GNL permet de diversifier les sources d’approvisionnement en gaz sans dépendre des gazoducs terrestres.
Suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, les pays européens ont réactivé le développement de projets de regazéification auparavant inactifs et ont commencé le développement de nouveaux projets pour compenser la chute des importations de gaz russe par gazoduc.
L'Union européenne a importé 155 milliards de m3 de GNL en 2022. Elles ont eu pour origines trois principaux pays : les États-Unis (près de 74 milliards de m3 exportés vers l'Europe en 2022, + 143% par rapport à 2021), le Qatar (28 Gm3, + 23%) et... la Russie (20 Gm3, + 12%).
Précisons que la France a été le principal importateur européen de GNL (près de 36 Gm3 en 2022).
Les capacités d'importation de GNL de l'Union européenne et du Royaume-Uni s'établissaient à 20,2 milliards de pieds cubes par jour à fin 2021. Depuis l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie, l'Europe a ajouté 58,5 milliards de mètres cubes (bcm) de nouvelles capacités de regazéification de GNL, dont 50,8 bcm pour l'UE. Cette expansion inclut 47,7 bcm de nouvelles unités flottantes de stockage et de regazéification (FSRU) et 10,8 bcm d'extension de terminaux. Les pays ayant ajouté le plus de capacités de regazéification depuis février 2022 sont l'Allemagne (16 bcm), les Pays-Bas (13 bcm), la Turquie (7,7 bcm), l'Italie (7,5 bcm), la France (6,5 bcm) et la Finlande (5 bcm).
Sur la base des infrastructures prévues, l'IEEFA(1) estime que les capacités cumulées des terminaux de GNL en Europe pourraient s'élever à près de 400 milliards de m3 (Gm3) par an à l'horizon 2030, contre 270 Gm3 à fin 2022. S&P Global Commodity Insights prévoit que la demande européenne de GNL pourrait atteindre entre 150 et 190 Gm3 par an en 2030.
Dans le même temps, les importations de GNL dans le monde augmentaient d'environ 5%, selon les dernières données du GIIGNL(2). Et ces importations baissaient de 7% en Asie, principale zone de destination des flux mondiaux de GNL.
Réorientation des approvisionnements européens
La réorientation des approvisionnements a été possible grâce à une augmentation significative des importations de gaz naturel liquéfié (GNL), principalement en provenance des États-Unis, et à une réduction globale de la consommation de gaz au sein de l'UE. En réponse à la crise, les États membres ont renforcé leurs infrastructures d'importation de GNL et diversifié leurs fournisseurs.
En conséquence, la part des importations américaines de GNL a presque triplé entre 2021 et 2023, faisant des États-Unis le principal fournisseur de GNL pour l'UE, avec près de 50 % de ses importations totales de gaz en 2023. Le premier méthanier de GNL en Europe n'avait eu lieu que sept années auparavant.
Les principaux pays importateurs de GNL au sein de l'UE sont la France, l'Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et l'Italie. Ces pays, qui disposent pour l'essentiel d'une façade maritime Atlantique, ont joué un rôle clé dans l'absorption des flux de GNL américains, avec la France en tête des importations européennes.
Un accord a été signé entre le Qatar et l'Allemagne portant sur « au moins 15 ans » de livraisons en GNL à partir de 2026. Et l'UE avait dit vouloir doubler ses importations de gaz venu d'Azerbaïdjan dans les prochaines années.
Cette transformation rapide du marché européen du gaz a permis à l'UE de compenser la réduction des approvisionnements russes et de sécuriser une partie de ses besoins énergétiques à court terme.
De nombreux projets européens visant à augmenter les importations de GNL concernent des unités flottantes de stockage et de regazéification du GNL (FSRU en anglais) déployables dans un délai de temps réduit, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas.
La France dispose à l'heure actuelle de 4 terminaux méthaniers (2 à Fos-sur-Mer, 1 à Montoir de Bretagne et 1 à Dunkerque).
Chute des importations de gaz russe
Entre 2021 et 2023, la part du gaz russe importé par gazoduc dans l'Union européenne a chuté drastiquement, passant de plus de 40 % à environ 8 %. Cette réduction massive a été motivée par les sanctions contre la Russie suite à la guerre en Ukraine et par la volonté de l'UE de réduire sa dépendance énergétique.
En tenant compte à la fois du gaz par gazoduc et du GNL, la Russie ne représentait plus que 15 % des importations de gaz de l'UE en 2023, marquant une rupture nette avec la situation d'avant-crise.
Mais globalement, les importations européennes de GNL russe sont restées stables, la France, l'Espagne et la Belgique compensant la baisse des importations de leurs voisins. Ces trois pays ont ainsi continué ainsi à importer plus d'un milliard de mètre cubes de GNL russe chaque mois.
Un revirement amorcé en 2024
Au premier semestre 2024, l'IEEFA(1) a calculé que les importations européennes de GNL ont diminué de 20 % en glissement annuel, la baisse étant de 11 % pour l'UE. Le GNL a couvert 31 % de la demande en gaz de l'Europe et 35 % de celle de l'UE.
Les principaux pays importateurs de GNL en Europe au premier semestre 2024 étaient la France (19 % du total), l'Espagne (14 %), les Pays-Bas (14 %), l'Italie (10 %), la Turquie (9 %), le Royaume-Uni (8 %), la Belgique (7 %) et l'Allemagne (5 %).
Parmi les pays ayant réduit leurs importations de GNL au premier semestre 2024 figurent le Royaume-Uni (-58 % en glissement annuel), la Turquie (-27 %), l'Espagne (-23 %), la Belgique (-21 %), les Pays-Bas (-11 %) et l'Italie (-9 %). L'Allemagne a augmenté ses importations de GNL de 10 %, tandis que celles de la France sont restées stables.
Au premier semestre 2024, 48 % des importations européennes de GNL provenaient des États-Unis, 16 % de la Russie, 11 % de l'Algérie, 10 % du Qatar et 4 % du Nigéria et de la Norvège. Les dépenses des pays de l'UE pour les importations de GNL ont diminué de 41 % en glissement annuel pour atteindre 21 milliards d'euros. Les pays ont payé environ 10,5 milliards d'euros pour le GNL en provenance des États-Unis, 3,5 milliards d'euros pour celui de la Russie, 2,1 milliards d'euros pour le Qatar, 2,1 milliards d'euros pour l'Algérie, 870 millions d'euros pour le Nigéria et le reste pour des pays comme la Norvège, Trinité-et-Tobago et l'Égypte.
Les importations de GNL en Europe depuis les États-Unis ont diminué de 15 % en glissement annuel, celles en provenance du Qatar ont chuté de 31 % et celles du Nigéria de 43 %. En revanche, les importations de la Russie ont augmenté de 11 %, celles de la Norvège de 19 % et celles de l'Algérie de 9 %.
La France, l'Espagne et la Belgique ont représenté 87 % des importations européennes de GNL russe au premier semestre 2024. Les importations de GNL russe en France ont même augmenté de 110 % par rapport au S1 2023, celles en Espagne sont restées stables, tandis qu'en Belgique, elles ont diminué de 16 %.
Si les importations de GNL russe sont restées stables jusqu'ici (fin 2024), la crainte des sanctions américaines, même contre la flotte fantôme russe, devraient pousser les compagnies européennes à les réduire drastiquement.
Des projets d'infrastructures disproportionnés par rapport à la demande future
Selon les prévisions de l'IEEFA, la demande totale de gaz en Europe (que ce soit sous forme de GNL transitant par voie maritime ou gazeuse transitant par pipeline) pourrait s'élever à près de 390 Gm3 en 2030. Or la demande européenne de GNL pourrait atteindre entre 150 et 190 Gm3 par an en 2030, puisque la demande en gaz est prévue à la baisse.
Autrement dit, « l’appétit » européen pour le GNL, renforcé par le souhait de moins dépendre des importations depuis la Russie par gazoduc, serait très disproportionné par rapport aux besoins réels envisagés.
Cela fait craindre un risque d' « actifs échoués » : l'IEEFA prévoit que le taux d'utilisation des terminaux GNL en Europe (sur la bases des infrastructures existantes et des projets connus) pourrait se limiter à 38% à l'horizon 2030. « Il s'agit de la police d'assurance la plus chère et la plus inutile au monde », déplore Ana Maria Jaller-Makarewicz, analyste au sein de l'IEEFA.
Les USA ont d'ailleurs annoncé un moratoire sur la construction de sites de liquéfaction en début d'année 2024.