Aramco, qui produit environ 10% du pétrole mondial, est considéré comme le joyau économique du royaume saoudien et le pilier de sa stabilité économique et sociale.
Avec la stratégie « Vision 2030(1)», le prince héritier de l’Arabie saoudite Mohammed Ben Salman entend faire entrer son pays dans une nouvelle phase et préparer l’après-pétrole en diversifiant l’économie nationale. L’entrée en bourse du géant pétrolier Saudi Aramco a constitué une étape majeure de cette stratégie.
Historique de l'entreprise en dates clés
L'entreprise est née d'un accord de concession signé en 1933 par le gouvernement saoudien avec la Standard Oil Company of California.
La prospection démarre en 1935 et trois ans plus tard, le pétrole commence à couler à flots.
En 1949, la production de pétrole atteint un niveau record de 500 000 barils par jour et continue d'augmenter après la découverte de grands champs pétroliers dont Ghawar, le plus grand du monde, avec environ 60 milliards de barils de réserves.
En 1973, en pleine flambée des prix liée à l'embargo pétrolier arabe, imposé aux Etats-Unis en raison de leur soutien à Israël, le gouvernement saoudien acquiert 25% d'Aramco, portant sa part à 60% et devenant actionnaire majoritaire.
En 1980, l'entreprise est nationalisée et, huit ans plus tard, renommée Saudi Arabian Oil Company, ou Saudi Aramco. Le contrôle total de la société a fait l’objet d’une lutte féroce entre les actionnaires américains et les dirigeants saoudiens qui ont récupéré progressivement des parts du capital. Compte tenu de ce lourd héritage, évoquer à nouveau une privatisation d’Aramco était un sujet très sensible à évoquer dans le royaume, très peu enclin à partager ses fleurons industriels, en particulier en pleine période de transition politique.
Depuis les années 1990, Aramco a investi des centaines de milliards de dollars dans des projets d'expansion, portant sa capacité de production à plus de 12 millions de barils par jour.
Actuellement, Aramco possède quelque 260 milliards de barils de réserves prouvées de pétrole, ce qui place l'Arabie saoudite derrière le Venezuela, qui détient les premières réserves du monde.
Résultats financiers
La compagnie dispose d'énormes actifs et produit le pétrole le moins cher au monde. Le coût d’extraction en Arabie saoudite est parmi les plus compétitifs au monde (en particulier au sein du gisement de Ghawar) et les voies d’acheminement de ses exportations sont nombreuses.
En avril 2019, le groupe a ouvert ses comptes pour la première fois, annonçant un bénéfice net de 111,1 milliards de dollars en 2018, en hausse de 46% par rapport à l'année précédente, et un revenu annuel de 356 milliards de dollars. Cela en faisait l'entreprise la plus rentable au monde. Ce chiffre dépassait de près d'un tiers le bénéfice cumulé des cinq supermajors : les américaines ExxonMobil et Chevron, la britannique BP, l'anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell et la française Total ; et quasiment le double de celui d'Apple. Cette ouverture de comptes était destinée à accroître sa transparence avant une introduction en Bourse.
Saudi Aramco avait annoncé une chute de 44,4% de son bénéfice net en 2020, en pleine pandémie.
La compagnie a dégagé un bénéfice net 161,1 milliards de dollars en 2022, en hausse de 46% par rapport à 2021. Comme d'autres mastodontes du secteur, l'entreprise avait dégagé des bénéfices record l'année dernière avec l'envolée des prix de l'or noir qui avaient atteint 130 dollars le baril, en raison de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 mais aussi de la reprise économique post-Covid. Les bénéfices d'Aramco ont alimenté la croissance économique du royaume du Golfe, dont le PIB a augmenté de 8,7 % en 2022, soit le taux le plus élevé parmi les pays du G20.
Aramco a indiqué que ses bénéfices avaient atteint 121,25 milliards de dollars en 2023, soit une chute de 24,7% en un an. "La diminution reflète principalement l'impact de la baisse des prix du pétrole brut et de l'affaiblissement des marges de raffinage et de produits chimiques", avait indiqué dans un communiqué Aramco.
Le bénéfice était encore en baisse au premier semestre 2024.
L'introduction en bourse d'Aramco
En 2016, le prince Mohammed avait d'abord évoqué la possibilité d'introduire en bourse 5% des actions d'Aramco, plus d'un an avant qu'il ne devienne premier dans l'ordre de succession au trône.
L'annonce de l'introduction a été retardée à plusieurs reprises en raison notamment de conditions défavorables sur les marchés.
D'abord prévue au second semestre 2018, elle a été repoussée d'abord à cause de doutes sur sa valorisation, avec notamment une baisse de près de 12% de son bénéfice net pour le premier semestre de l'année 2019 par rapport à l'an dernier, lors d'un exercice de communication rarissime pour cette entreprise d'Etat jusqu'alors extrêmement secrète.
En septembre 2019, une attaque de drones contre les installations d'Aramco avait notamment entraîné la suspension de la moitié de sa production, soit environ 6% de l'approvisionnement mondial, faisant craindre une perte de confiance des investisseurs. Ryad avait accusé l'Iran d'avoir à tout le moins "parrainé" cette attaque, revendiquée par les rebelles yéménites Houthis pro-iraniens.
Mais des inquiétudes sur la transparence et la réticence à vendre des ressources nationales à des étrangers ont poussé Ryad à n'introduire en fin de compte que 1,5% d'Aramco à la bourse saoudienne en 2019.
L'introduction en bourse d'Aramco lui a permis de lever 25,6 milliards de dollars. Cette « IPO » (offre publique de vente) a constitué la plus grande introduction en bourse jamais effectuée. Aramco avait fixé le prix de son action à 32 riyals (8,53 dollars), dans le haut de la fourchette qu'elle avait anticipée, dépassant ainsi les 25 milliards de dollars levés en 2014 par le géant chinois du commerce en ligne Alibaba à Wall Street.
Les fonds levés valorisent l'entreprise saoudienne à 1 700 milliards de dollars, loin devant les entreprises considérées jusqu'alors comme les plus riches du monde en Bourse : Apple, Microsoft et Alibaba. C'est toutefois moins que les 2 000 milliards de dollars visés par le prince héritier Mohammed ben Salmane à l'annonce du projet quatre ans auparavant. A l'origine, le royaume espérait lever 100 milliards de dollars.
Aramco précise qu'il a réservé une partie de ses actions aux investisseurs institutionnels, parmi lesquels des compagnies étrangères, et à des investisseurs individuels qui seront des ressortissants saoudiens et du Golfe. La compagnie indique qu'un maximum de 0,5% de ses parts ira à des investisseurs individuels.
Le Royaume a eu du mal à séduire les grands investisseurs étrangers - fonds d'investisseurs, gestionnaires d'actifs, fonds de pension - inquiets de la gouvernance d'Aramco et de la capacité du groupe à protéger ses installations pétrolières des attaques. Certains investisseurs ont aussi hésité à acheter des titres Aramco, en raison de leurs engagements en faveur des politiques de réduction des émissions de CO2. Par conséquent, ce sont principalement de riches familles saoudiennes et des particuliers dans le pays qui souscrivent à cette opération.
Dans les coulisses, le prince héritier MBS n'a pas apprécié que les grandes banques occidentales n'aient pas su suffisamment séduire les investisseurs étrangers afin d'obtenir la valorisation souhaitée. Les autorités saoudiennes ont ainsi marginalisé les grandes banques internationales, qui avaient été chargées de mener à bien l'introduction en Bourse.
Aussi, la cotation d'Aramco sur une grande place internationale, un temps évoqué avec insistance, n'est pour le moment pas prévue. Selon plusieurs experts, l'introduction d'Aramco devait se faire en deux temps: d'abord sur le marché saoudien d'ici la fin de l'année, puis sur une place financière internationale l'an prochain.
L'introduction en bourse n'a finalement pas eu l'impact transformateur qu'aurait eu une cotation internationale Les efforts pour attirer les investissements directs étrangers n'ont pas porté leurs fruits, leur valeur restant bien en deçà de l'objectif de 5,7% du PIB prévu dans la Vision 2030. Notons toutefois que la croissance du PIB non pétrolier a été de 4,6% en 2023.
Les raisons de l’introduction en bourse de Saudi Aramco
Le contexte dans lequel cette introduction en bourse a été annoncée en janvier 2016 par le prince héritier Mohammed Ben Salman a son importance. A cette époque, le pétrole était passé sous la barre des 40 $ par baril et la demande mondiale était en forte chute. La longue période de surplus budgétaire de l’Arabie saoudite prenait fin.
Les raisons de cette introduction en bourse sont nombreuses et assez diverses. D’un point de vue purement économique, cette privatisation va permettre à l’État saoudien de renflouer ses caisses alors que le pays publiait un déficit budgétaire de l’ordre de 100 milliards de dollars pour l’année 2015. Cette privatisation devrait contribuer à alimenter le plus important fonds souverain du monde (le Public Investment Fund) qui serait doté d’une force de frappe de 2 000 milliards de dollars, permettant à l’investissement de devenir la principale source de revenu du royaume.
D’un point de vue politique, l’introduction en bourse du fleuron de l’économie saoudienne constitue un message très fort d’ouverture économique vis-à-vis des investisseurs internationaux. D’autres raisons géopolitiques peuvent être évoquées, notamment la volonté des Saoudiens de se rapprocher de leur allié historique américain. Dans tous les cas, l’idée centrale était d’occuper l’espace médiatique et d’afficher la puissance financière du royaume, assumant un virage clairement libéral porté par Mohammed Ben Salman.
La « Vision 2030 » est la vision du jeune prince héritier pour développer l’Arabie saoudite. Le fonds d’investissement qui sera alimenté par les revenus de l’introduction en bourse financera la diversification de l’économie saoudienne, à l’image de la Norvège et de son fonds souverain. Cette IPO constitue le rendez-vous à ne pas manquer pour la légitimité de cette transformation.
Cette introduction en bourse est plus qu’un symbole car elle intervient à un moment charnière pour l’Arabie saoudite : un nouveau modèle de société se construit dans le royaume et de nouvelles alliances se nouent à l’extérieur pour faire face aux enjeux internationaux. L’Asie offre beaucoup plus de débouchés économiques que les partenaires traditionnels européens et américains. Les Chinois sont désormais les premiers acheteurs de l’or noir saoudien (la Chine constitue plus de 15% du marché saoudien) et les autres États asiatiques comme l’Inde, la Corée du Sud et le Japon occupent une place importante.
Les autres levées de fonds d'Aramco
"Il y aura des offres d'actions Aramco dans les années à venir, cet argent sera transféré au Fonds public d'investissement et sera réinjecté à l'intérieur et à l'extérieur du royaume", avait déclaré lors du forum de l'Initiative pour l'investissement futur (FII) réuni à Ryad en janvier 2021.
En février 2022, le royaume a transféré 4% des actions d'Aramco, d'une valeur de 80 milliards de dollars, à Sanabil Investments, une société contrôlée par le Fonds d'investissement public (PIF) du royaume.
En avril 2023 est annoncé l'achèvement du transfert de 4% supplémentaires des actions émises par Aramco à des sociétés appartenant à 100% au PIF.
L'Etat saoudien reste alors actionnaire à hauteur de 90,18%.
Outre la vente d'obligations en 2021, Aramco a réalisé une deuxième offre publique avec la vente de quelque 1,5 milliard d'actions en juin 2024, lui permettant de lever plus de 11 milliards d'euros. Cette nouvelle offre publique arrive à un moment charnière pour l'Arabie saoudite, qui peine à attirer les investissements nécessaires pour transformer une économie dépendante du pétrole.
L'opération reflète la stratégie de tirer profit des immenses richesses pétrolières du pays pour financer son vaste programme de réformes, Vision 2030. Mais elle n'efface pas les doutes sur la faisabilité de certains projets pharaoniques comme Neom, une mégapole futuriste de 500 milliards de dollars en cours de construction dans le désert, soulignent les analystes. Ryad avait annoncé l'année dernière que le calendrier de certains projets serait repoussé au-delà de 2030, et que d'autres projets seraient accélérés.
Mais selon Torbjorn Soltvedt, du cabinet de conseil en évaluation des risques Verisk Maplecroft, le problème fondamental est que les investisseurs étrangers sont réticents à "s'engager dans des projets majeurs à long terme en Arabie saoudite". "Bien que les flux vers la bourse saoudienne aient augmenté, les efforts visant à stimuler l'investissement direct étranger n'ont pas eu beaucoup de succès".
Les "giga-projets" de Vision 2030 ont " certainement pris du retard", affirme Jim Krane de l'université américaine de Houston, mais "la plupart des observateurs ne sont pas surpris, car les projets sont tellement énormes qu'en terminer 14 simultanément a toujours paru assez improbable".
Alors que les dépenses s'accumulent avec l'organisation d'événements comme l'exposition universelle de 2030 et la Coupe du monde 2034, de nouvelles ventes d'actions d'Aramco pourraient être envisagées, et susciter toujours autant d'intérêt, estiment les analystes.
Elargissement de la société
Basée à Dhahran, la société opère aussi à l'international, où elle a multiplié acquisitions et créations de coentreprises.
Ces dernières années, Aramco a également :
- construit un réseau national et international de gazoducsd'oléoducs ;
- continué à investir dans des raffineries ;
- commencé à investir dans le GNL ;
- étendu sa présence dans l'industrie pétrochimique, là encore localement (notamment par le rachat de Sabic et un investissement avec TotalEnergies et Ineos) mais aussi dans des pays comme la Chine ;
- pris une participation dans la co-entreprise de moteurs thermiques créée par Renault et le constructeur chinois Geely baptisée "Horse" ;
- signé un partenariat "mondial majeur" avec la Fifa.
Neutralité carbone d'ici 2050
Saudi Aramco a indiqué en amont de la COP 26 vouloir aller de l'avant dans son programme "ambitieux" pour atteindre la neutralité carbone.
Aramco compte cependant seulement inclure les émissions liées à ses propres opérations dans le calcul de son bilan carbone. Ryad a par ailleurs promis d'investir plus d'un milliard de dollars en faveur d'initiatives environnementales. Ces annonces ont cependant laissé perplexes des experts, l'Arabie saoudite n'ayant pas l'intention de cesser ses exportations de pétrole.
La neutralité carbone consiste pour un pays à ne pas émettre plus de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique, qu'il ne peut en absorber via par exemple des plantations d'arbres ou des technologies de capture de CO2 directement dans l'atmosphère.
Le royaume saoudien reste aujourd'hui l'un des plus grands pollueurs au monde.