L'EPR de Flamanville : présentation à l'approche de sa mise en service

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Vue aérienne de l'EPR de Flamanville en avril 2024

Vue aérienne de l'EPR de Flamanville, jouxtant les 2 réacteurs actuellement en service en avril 2024. (©EDF)

Situé dans la Manche sur le site de la centrale nucléaire de Flamanville, l'EPR (« Flamanville 3 », 2 réacteurs étant déjà en service au sein de la centrale) fait l'objet d'une attention particulière, notamment en raison des nombreux retards et surcoûts associés à son chantier mais aussi des projets d'EPR 2 en France qui suivront. État des lieux.

Quand l'EPR de Flamanville sera-t-il mis en service ? Avec quel retard ?

L'EPR de Flamanville a reçu une autorisation de mise en service de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le 7 mai 2024(1).

Le PDG d'EDF Luc Rémont a indiqué le 6 juillet, lors des 24es Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, que l'opération de « divergence » (première réaction de fission nucléaire du réacteur, qui entraîne la production d'électricité) de l'EPR de Flamanville était « imminente » (les délais se comptant « en jours ou en semaines »). Les opérations de chargement du combustible d'uranium dans le nouveau réacteur se sont achevées mi-mai.

Cette première divergence « devrait intervenir en juillet, et le couplage durant l'été », selon une note d'information d'EDF (le « couplage » ou connexion au réseau électrique intervient lorsque le réacteur atteint 25% de sa puissance nominale). La production à pleine puissance est attendue « avant la fin de l'année » 2024, selon l'exploitant.

Les délais annoncés correspondent à un retard de plus de 12 ans par rapport au calendrier initial qui prévoyait une mise en service de l'EPR en juin 2012 (avec une durée des travaux prévisionnelle de seulement 54 mois)

Précisons que la durée de construction d'un réacteur est « par convention comptée entre le 1er béton nucléaire (début du coulage du radier), donc sensiblement après le début des travaux de terrassement, et la mise en service industrielle (réacteur connecté au réseau et fonctionnant à puissance nominale) », précise Jean-Martin Folz dans un rapport d'octobre 2019 faisant référence pour décrypter le chantier de l'EPR de Flamanville.

Le premier béton sur le site de Flamanville a été coulé en décembre 2007. De nombreux retards ont été annoncés dès décembre 2008 (avec une révision de la date de couplage à fin 2012).

Quel sera son coût final ?

Il convient de distinguer le coût de construction de l'EPR de Flamanville de son coût « overnight » (utilisé dans les statistiques internationales). 

Le coût de construction « sur lequel communique EDF est constitué de la somme des dépenses d’ingénierie et de maîtrise d’œuvre comptées à partir de la date d’engagement d’une part et du montant des contrats passés avec les entreprises participant à la construction d’autre part [...] il ne comprend ni différentes dépenses annexes comme les pièces de rechange et le premier chargement de combustible ni les dépenses dites « owner’s cost » supportées par l’exploitant avant la mise en service industrielle , comme le coût des personnels présents sur le site en phase de pré-exploitation et les charges fiscales supportées depuis l’autorisation administrative [...] pas non plus les intérêts intercalaires », rappelle le rapport Folz.

En mai 2006, le coût de construction de l'EPR de Flamanville était évalué à 3,3 milliards d'euros (€ 2005), dont 2,8 milliards de contrats et 500 millions d'euros de dépenses d'études et d'ingénierie. Ce coût a été régulièrement révisé à la hausse, tout comme les délais de démarrage du réacteur étaient repoussés.

Dans son rapport sur la filière EPR de juillet 2020, la Cour des comptes retient un coût de construction de 12,4 milliards d'euros (€ 2015)(2), soit 3,3 fois le coût de construction initial. Un montant qui « représenterait près des deux tiers du coût total d’investissement à terminaison de l’EPR de Flamanville estimé à 19,1 Md € 2015, et son coût de financement plus de 20 % de ce coût total ».

Quelles sont les principales raisons des retards et surcoûts successifs ?

Le rapport Folz détaille une « kyrielle d'événements négatifs » ayant affecté le chantier de l'EPR de Flamanville et expliquant les dérapages successifs des coûts et des délais

Citons entre autres de nombreux problèmes de soudures mal réalisées : au niveau des tuyauteries traversant le liner (peau métallique intérieure du réacteur) qui ont nécessité une réparation par un nouvel intervenant en 2008-2009 (occasionnant un retard d'environ 11 mois), au niveau des consoles du pont polaire en février 2012 (retard supérieur à 12 mois), non-atteinte des exigences de soudures réalisées entre 2013 et 2016 sur des tuyaux du circuit secondaire principal, etc. On peut également rappeler le problème sur la conception de la cuve.

Et « surtout les problèmes de soudures difficilement accessibles (notamment celles des traversées d’enceinte) à reprendre qui expliquent l’essentiel du retard depuis 2018 », rappelle Maxence Cordiez, membre du comité d'Experts de Connaissance des Énergies.

Chargement combustible EPR Flamanville

Opération de chargement du combustible en mai 2024 (©EDF-Antoine Soubigou)

4 grandes postes de surcoûts

Les raisons des surcoûts sont présentées sous forme de 4 grandes catégories dans le rapport Folz :

  • les variations de volume (augmentations de quantités de matériaux comme du béton) et les évolutions de périmètre (travaux non contractualisés au départ comme le récupérateur de corium) ;
  • les impacts réglementaires dans le contexte de renforcement des normes de sûreté en réaction notamment à l'accident de Fukushima Daiichi (avec notamment une évolution de la réglementation des équipements sous pression nucléaire dite « ESPN ») ;
  • les délais ;
  • les aléas et coûts « tête de série » (l'EPR est le premier réacteur de ce type en France).

Cette décomposition des surcoûts , « si imprécise et parfois arbitraire qu’elle puisse paraître, n’en est pas moins instructive » souligne l'importance des postes « volume et périmètres » et « aléas effet tête de série », expliquant près des trois quarts des surcoûts des contrats. Les retards de délais ont quant à eux très fortement affecté les dépenses d'étude et d'ingénierie.

Des estimations initiales « irréalistes »

Le rapport Folz indique qu'EDF a « grossièrement sous-estimé dans ses travaux d’extrapolation la différence de taille et surtout de complexité » entre le palier N4 (derniers réacteurs nucléaires mis en service en France) et le projet d’EPR. Cette sous-estimation flagrante des délais a de plus été affectée par l'épidémie de Covid-19.

Un problème de gouvernance et des études insuffisantes

L'absence d'un « chef de projet » bien identifié pour mener le chantier de l'EPR de Flamanville a été fréquemment reprochée. 

Maxence Cordiez souligne en outre « l'absence de rattachement direct au président directeur général » des personnes occupant ce poste (un directeur de projet à temps plein a été désigné en 2015 avec un rattachement en N-2, contre N-3 ou N-4 pour ses prédécesseurs).

Lors de la réalisation du premier béton fin 2007, « les travaux d'ingénierie étaient à peine entamés(3) » (études de sûreté, de quantification des matériaux, d'incendie, etc.).

Une perte de compétences « généralisée »

Le rapport Folz rappelle que, lors du lancement des travaux de l'EPR, les débuts de chantiers des centrales les plus récentes en France (palier N4) « remontent à janvier 1984 pour la première (Chooz B1) et à avril 1991 pour la dernière (Civaux 2) , soit respectivement 24 et 16 ans avant Flamanville ».

« Dans ce contexte, et en dépit de l’activité induite par la maintenance et les visites décennales du parc existant, il n’est pas surprenant de constater une perte de compétence certaine de la plupart des acteurs concernés, tant du fait du départ en retraite de spécialistes confirmés que du défaut d’entretien des expertises et savoir-faire inutilisés » (c'est un des éléments qui distingue le chantier de Flamanville des 2 EPR en Chine).

Quelles sont les caractéristiques de ce réacteur par rapport aux 56 autres en service en France ?

L'EPR fonctionne selon les mêmes principes généraux que les 56 autres réacteurs du parc nucléaire français actuellement en service (réacteurs à eau sous pression dits « REP » de deuxième génération). « Sur le plan technologique, il n’y a pas à proprement parler d’innovations mis à part le core-catcher » (récupérateur de corium), souligne le rapport Folz.

Le récupérateur de corium de l'EPR (©Connaissance des Énergies, d'après CEA)

Schéma du récupérateur de corium de l'EPR (©Connaissance des Énergies, d'après CEA)

L'EPR, réacteur, dit de « génération 3+ », se démarque toutefois des autres réacteurs français les plus récents (palier « N4 ») ou des anciens réacteurs « Konvoi » allemands par un renforcement de la sûreté nucléaire, avec l'objectif de diviser par 10 la probabilité d'un accident majeur : systèmes de sûreté doublés, double enceintre de  la chaudière nucléaire,  récupérateur de corium pour le retenir dans l'enceinte de confinement en cas de fusion du réacteur, résistance au choc d'un avion, etc.

L'EPR est également censé être plus performant et dispose d'une plus grande puissance : de l'ordre de 1 650 MW de puissance électrique brute, contre environ 900 à 1 500 MW pour les autres réacteurs du parc français). Il dispose en outre d'un dispositif « two rooms » permettant de réaliser des opérations de maintenance en conservant le réacteur en marche, dispositif qui sera supprimé dans l'« EPR 2 » simplifié).

In fine, l'EPR est censé consommer 7 à 15% d'uranium en moins que les réacteurs de seconde génération par MWh produit.

Précisons également que la durée de vie minimale prévue pour l’EPR est de 60 ans pour les éléments non remplaçables, contre 40 ans initialement pour les réacteurs actuels.

Quand a été prise la décision de construire l'EPR de Flamanville et pourquoi ?

La décision de construire un EPR à Flamanville a été prise formellement le 6 mai 2006 par le conseil d'administration d'EDF. Le décret d'autorisation de construction a été signé en avril 2007.

Le rapport Folz rappelle que la genèse de ce projet remonte toutefois à « une vingtaine d'années auparavant » : une nouvelle génération de réacteurs était envisagée, après le lancement des 4 dernières tranches du parc nucléaire français (dites de palier « N4 ») construites entre 1984 et 1999 à Chooz et Civaux.

Le projet de l'EPR (« European Pressurized Reactor ») est précisé «  au début de 1992 » dans le cadre d'une collaboration franco-allemande : Framatome avait constitué une société commune (NPI pour « Nuclear Power International ») avec le fournisseur allemand Siemens, tandis qu'EDF (exploitant du parc nucléaire) s'était rapproché des entreprises allemandes de production avec la mise en œuvre d'un groupe de travail commun en 1990. Il en ressort différentes versions du « Basic Design » de l'EPR dans les années 1990 mais les gouvernements de part et d'autre du Rhin sont alors réticents, voire hostiles au développement de la filière.

La technologie a donc été codéveloppée par le français Areva et l'allemand Siemens au sein de leur filiale commune, dont Siemens s'est depuis retiré. EDF a finalement pris le contrôle de l'activité lors de la réorganisation de la filière nucléaire française orchestrée par l'État. Conçu pour fonctionner pendant 60 ans, l'"European Pressurized Water Reactor" se fonde sur la technologie des réacteurs à eau sous pression, la plus utilisée dans le monde. Il offre une puissance très élevée et bénéficie d'une multiplication des systèmes de sauvegarde pour refroidir le cœur du réacteur en cas de défaillance, d'une coque de protection en béton et acier et d'un récupérateur de corium censé réduire les conséquences en cas d'accident grave.

La réflexion de construire un EPR en France intègre à l'époque « des éléments partiellement contradictoires » :

  • côté « contre » : il n'y a alors pas besoin de capacités électriques supplémentaires à court terme (le réacteur de Chooz n'a d'ailleurs fait l'objet d'une mise en service industrielle que 4 années après avoir « divergé ») et les centrales à gaz sont alors compétitives ;
     
  • côté « pour » : un effet de « falaise » est attendu au début des années 2020, après 40 ans d'activité (durée de vie initialement prévue) des réacteurs de 900 MW.

En France, le changement de majorité politique en 2002 ouvre de nouvelles perspectives pour le secteur nucléaire et la construction de nouveaux réacteurs est explicitement prévue dans la loi d'orientation de la politique énergétique votée en 2005 (le projet de l'EPR de Flamanville étant officiellement soutenu par le Premier ministre UMP Jean-Pierre Raffarin dès avril 2004(4)).

Combien va produire in fine l'EPR ? Et à quel prix ?

Selon Framatome, l'EPR de Flamanville pourrait produire de l'ordre de 13 TWh par an. Un chiffre cohérent en cas d'une disponibilité de 90% du réacteur, confirme Maxence Cordiez.

Si l'on raisonne en coûts variables, une fois le réacteur en service, la production de l'EPR ne coûterait que « de l'ordre d'une dizaine d'euros par MWh ». En coûts complets pour EDF qui doit assumer le poids de la construction (et des dépassements de coûts), c'est une autre affaire : dans son rapport publié à l'été 2020, la Cour des comptes estime « que le coût de l’électricité produite par l’EPR de Flamanville pourrait se situer entre 110 et 120 €/MWh ».

La capacité du groupe « EDF à rentabiliser cet investissement dépendra des prix de marché et de l'éventuel futur mécanisme de régulation devant succéder à l'ARENH », précise Maxence Cordiez, alors que le système de l'ARENH va s'arrêter fin 2025. L'ancienne ministre de la Transition énergétique « Agnès Pannier-Runacher avait ouvert la possibilité des CFD (contracts for difference) » pour rémunérer EDF sur la réalité des coûts de production(5).

Quels sont les autres EPR dans le monde ?

Trois réacteurs nucléaires EPR sont actuellement en service : 

  • 2 en Chine au sein de la centrale de Taishan (en service depuis décembre 2018 pour la première tranche et septembre 2019 pour la seconde). Taishan 1 a connu plusieurs arrêts : à cause d'une augmentation de concentration de gaz rares en 2021, puis en 2023 en raison d'un phénomène de corrosion ;

  • 1 en Finlande (Olkiluoto 3) connecté au réseau électrique fin 2022 avec un retard comparable à celui de Flamanville (chantier débuté fin 2005).

Deux EPR sont par ailleurs en cours de construction au Royaume-Uni (Hinkley Point C, dont le retard annoncé début 2024 était de deux à quatre ans, avec un quasi-doublement de la facture initiale).

En février 2022, Emmanuel Macron a annoncé la construction de 6 EPR 2, une version simplifiée et optimisée, avec un objectif de première mise en service à l'horizon 2035, voire 2037 (EDF prévoit de construire les deux premiers EPR2 sur le site de Penly en Seine-Maritime).

Avec le retour d'expérience de Flamanville, quelles économies possibles avec les EPR 2 ?

Les chantiers d’Olkiluoto 3 et de Flamanville 3 ont « montré que privilégier l’innovation à l’expérience cumulée présente des risques et que le coût de cette innovation ne doit pas être sous-estimé », souligne le rapport Folz. 

Selon ce rapport, « on ne peut pas établir avec un degré raisonnable de certitude que les économies de construction de futurs EPR2 par rapport au coût de construction d’EPR de type Flamanville se matérialiseront ».

Un constat que ne partage « pas nécessairement » Maxence Cordiez : « l’EPR 2 intègre une rationalisation des références qui devrait simplifier le chantier. En outre, la simplification du modèle devrait entraîner une réduction des coûts d’équipement et une simplification de la construction (une seule enceinte doublée d’un liner métallique plutôt qu’une double enceinte par exemple) ».

Vue lointaine EPR Flamanville

Vue aérienne de l'EPR de Flamanville, jouxtant les 2 réacteurs actuellement en service en avril 2024. (©EDF)

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