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Fission nucléaire : quelles perspectives ?

ITER

ITER (©Inmapa)

Principe de la fission nucléaire

Le principe physique de fission nucléaire utilisé dans les centrales de production d’électricité nucléaire constitue le socle de la souveraineté énergétique de la France  : en moyenne près de 65 % de la production d’électricité française sont issus de centrales nucléaires à fission.

Fission de l’uranium 235 et schéma de production d’énergie

L’électricité produite par les réacteurs nucléaires est le résultat du principe de fission nucléaire, soit un dégagement d’énergie thermique émis par la fission de l’atome.

La plus couramment utilisée dans les centrales nucléaires en activité est la fission induite. Le principe physique consiste en la projection d’un neutron sur un atome lourd de type uranium 235 ou plutonium 239. On parle aussi d’absorption du neutron par le noyau de l’atome lourd.

Schéma de fission nucléaire

Schéma de fission nucléaire et réaction en chaîne (Graphique : A. Vargas/Agence de l’énergie atomique)

Le neutron sans charge positive a la capacité de se déplacer librement jusqu’au cœur du noyau de l’atome (formé de particules de nucléon) et d’agir à l’intérieur sans être repoussé par les forces électriques. Ainsi, la collision entre l’atome et le neutron s’accompagne d’un éclatement du noyau de l’atome lourd en 2 avec une libération de plusieurs neutrons, d’un rayonnement et des produits de fission (noyaux d’atome éjectés à une vitesse de 8 000 km/s). C’est cette force cinétique produite, que l’on appelle énergie de liaison (depuis l’équation d’Einstein E=mc2), qui crée un fort dégagement d’énergie thermique.

Dans une centrale nucléaire, la chaleur va être récupérée pour produire de l’électricité(1).

Notons que l’atome lourd est appelé noyau fissile car il subit le processus de fission nucléaire. Ainsi, l’uranium 235 utilisé dans les réacteurs nucléaires est le seul noyau fissile naturel existant.

Réaction en chaîne

Les neutrons émis lors de la fission vont rentrer à leur tour en collision avec d’autres noyaux atomiques et les casser, produisant ainsi d’autres neutrons, de produits de fission et in fine d’autres émissions d’énergie. Et ainsi de suite, pour un effet en continu appelé phénomène de réaction en chaîne.

À l’intérieur d’un réacteur, l’ensemble du processus de réaction en chaîne fait l’objet d’un contrôle permanent pour éviter tous risques d'accident radioactif : un seul neutron est libéré à chaque processus de fission et les autres produits sont écartés. Cette régulation en continu est assurée par une barre de contrôles installée à l’intérieur du réacteur et composée de matériaux absorbeurs de neutrons. La vitesse du neutron est aussi régulée par un modérateur pour éviter une réaction en chaîne trop forte (la vitesse peut passer de 20 000 km/s à 2 km/s).

La maîtrise de la réaction en chaîne dans une centrale nucléaire est indispensable pour agir sur la quantité d’énergie thermique émise par l’uranium et éviter les risques de surchauffe du réacteur. Elle permet également de produire de l’électricité à la demande.

Fission et fusion nucléaire : les différences

Si la fission nucléaire consiste à scinder le noyau d’un atome lourd en deux, libérer des neutrons et de la chaleur ; de son côté, la fusion nucléaire consiste à assembler 2 noyaux d’atomes légers pour former un noyau d’atome lourd et en même temps libérer de l’énergie.

Le processus physique de la fusion nucléaire s’inspire de la formation originelle des étoiles telle que le Soleil : en l’occurrence, deux noyaux d’hydrogène qui fusionnent à des températures extrêmes de plusieurs millions de degrés Celsius pour créer un noyau d’atome lourd (hélium composé d’un neutron et 2 protons). À un tel niveau de température, la matière du Soleil forme un plasma dans lequel circulent librement neutrons et noyaux d'atomes. Lors d’une collision, ils fusionnent et libèrent de l’énergie. Le plasma est le 4e état de la matière (aqueuse, solide et gazeux).

Les recherches scientifiques actuelles tentent de recréer le phénomène physique de la fusion nucléaire dans un réacteur en fusionnant 2 isotopes de l’hydrogène (deutérium et tritium) à une température de 150 millions de degrés, soit 10 fois la température du Soleil.

Le principe de fusion nucléaire est encore au stade de la recherche et du développement dans le monde. En France, le projet Tokamak international d’Iter situé à Cadarache étudie les réactions en chaîne de plasma en fusion et porte de nombreux objectifs d’exploitation industrielle dans un prochain futur. Les recherches sur la fusion nucléaire depuis plus de 30 ans ont pour objectif d’ouvrir la voie à des modèles de réacteurs qui produisent plus d’énergie électrique que les réacteurs à fission.

Néanmoins, les études actuelles ne devraient pas aboutir avant plusieurs décennies voire à la fin du 21è siècle du fait de l’investissement financier important (l’évaluation du budget d’ITER pour la construction du réacteur serait de 13 milliards d’euros) et des limites technologiques (connaissances scientifiques et défaut de matériaux résistants aux expérimentations sur la fusion).

Les centrales à fission en France

Depuis les années 1950, l’industrie de l’énergie atomique a développé plusieurs types de réacteurs nucléaires intégrant des choix de technologies différentes en fonction de la matière (uranium naturel ou enrichi, plutonium), du liquide caloporteur (eau sous pression ou bouillante, hydrogène ou hélium, etc.) et du modérateur (eau classique ou eau lourde, graphite) utilisés.

Type de réacteurs installés

On distingue 4 générations de réacteurs à fission nucléaire. La France a fait le choix de se tourner vers les réacteurs à eau sous pression (REP), soient des réacteurs de 2e génération.

Réacteurs à eau sous pression

Le réacteur à eau sous pression (REP) fait partie de la catégorie des réacteurs à eau (RAE) avec les réacteurs à eau bouillante (REB) que l’on rencontre plus souvent aux États-Unis, au Japon et en Suède. À eux deux, les REP et REB représentent la grande majorité du parc mondial de réacteurs nucléaires.

Le réacteur à eau sous pression utilise comme combustible de l’uranium 235 enrichi pour produire de l’électricité nucléaire ; soit de l’uranium naturel supplémenté en uranium 235 pour permettre une réaction de fission en chaîne. Le processus suit plusieurs étapes dans le réacteur de puissance :

  1. la chaleur produite par ladite réaction en chaîne est utilisée dans un générateur de vapeur pour chauffer un liquide caloporteur (de l’eau) et produire de la vapeur ;
  2. la vapeur va actionner une turbine par force mécanique et enfin alimenter un générateur électrique.

En 2024, la France dispose de 56 réacteurs à fission de type REP en activité.

Les EPR

La 3e génération de réacteur nucléaire, l’EPR (European Pressurized Reactor), une déclinaison améliorée du REP, est en cours de conception à Flamanville. Avec un meilleur rendement, ce type de réacteur devrait supplanter la 2e génération en activité sur le parc français : l’EPR consomme jusqu’à 15 % d’uranium en moins et produit jusqu’à 10 % de moins de déchets radioactifs à longue vie. D’une puissance de 1 650 MW de puissance brute contre 880 à 1 500 MW pour les réacteurs de 2e génération, l’EPR à fission devrait afficher également un rendement supérieur de 37 % contre 33 % pour les anciens réacteurs.

Toutefois, le projet d’EPR de Flamanville avait subi un retard important dans son calendrier de livraison (près de 17 ans de retard). Ce retour d’expérience a donné naissance à une déclinaison optimisée de l’EPR français nommée projet EPR2.

Cette version améliorée en termes de délais et de coûts de production devrait prendre en compte les contraintes techniques de construction et de sécurité en allant vers la simplification. 6 réacteurs EPR2 sont en phase d’études et de déploiement dans 3 régions de l’hexagone pour une livraison à partir de 2035.

Réacteurs à fission de 4e génération

Sélectionnée par les membres du Forum international Génération IV, la 4e génération est en phase de recherche et développement. Elle s’orienterait vers 6 concepts de réacteurs : 3 à neutrons rapides (RNR sodium, RNR gaz et RNR plomb) et 3 autres réacteurs à eau supercritique (RESC), à très haute température  (RTHT) et à sels fondus (RSF).     

Les autres types de réacteurs dans le monde

En parallèle des réacteurs à eau (REP et REB), il existe d’autres types de technologies utilisant la fission nucléaire : 

  • Réacteur à eau lourde utilisant une eau comme liquide caloporteur et modérateur, ainsi que de l’uranium naturel comme combustible. L’eau est constituée d’un isotope lourd de l’hydrogène (atome de deutérium) ;
  • Réacteur à neutrons rapides (ou RNR) utilisant du sodium comme fluide caloporteur et de l’uranium enrichi ou du plutonium. La centrale Phénix en France (en arrêt depuis 2010) utilisait un RNR ;
  • Réacteur caloporteur gaz (RCG) utilisant l’hélium comme liquide caloporteur. ils sont presque exclusivement présents en Angleterre.

Les enjeux énergétiques et sécuritaires

Le parc à fission nucléaire français a une capacité de production installée de près de 63 GW en 2023.

En moyenne, près de 65 % de la production d’électricité française annuelle est issue des réacteurs à fission et 10 % au niveau mondial. Ainsi, l’exploitation du parc nucléaire est au cœur des enjeux de politiques énergétiques en France.

Pourtant jusqu’en 2022, les objectifs fixés dans le cadre de la loi énergie-climat étaient de réduire la part du nucléaire de 50 % dans le mix électrique à l’horizon 2050 et remplir ainsi les attentes en termes de décarbonation du pays. La crise énergétique à la suite de la guerre en Ukraine a rebattu les cartes en mettant de côté les principes de neutralité carbone. En effet, l’énergie électronucléaire s’est positionnée comme une alternative plus maîtrisable que l’électricité produite par les centrales à gaz atteintes de plein fouet par la hausse du prix de l’énergie.

D’autre part, l’industrie devrait consommer deux fois plus d’électricité en 2050 par rapport à 2023 avec le remplacement des énergies fossiles (gaz et fioul) pour faire fonctionner les usines et autres infrastructures. Selon une étude du centre de réflexion La fabrique de l'industrie, la consommation du secteur industriel atteindrait 207 térawattheures en 2050 contre 103 TWh en 2023. La part de l’électricité dans le mix énergétique du secteur industriel serait de 62 % contre 37 % en 2023.

À cette fin, la sécurisation des moyens de production énergétiques est au cœur de tous les enjeux pour faire face à cette future demande. La France a une longue histoire avec le nucléaire et entend bien s’en servir pour augmenter ses capacités de production.

Les retours d’expérience des accidents nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima ont d’autre part fait avancer la filière en matière de sûreté avec l’adoption de nouvelles normes et réglementations pour sécuriser les sites des centrales et leur environnement.

Ainsi depuis 2022, l’énergie nucléaire revient en état de grâce chez les politiques, avec en fer de lance les objectifs ambitieux du Président Emmanuel Macron de construction de 6 nouveaux réacteurs de type EPR2 pour 2035, une version optimisée de l’EPR.

La découverte de la fission nucléaire

On doit la découverte du phénomène physique de fission nucléaire en 1938 à la physicienne et chimiste Lise Meitner et Otto Hahn, chimiste du Kaiser-Wilhelm-Institut für chemie de Berlin. 

Otto Hahn reçoit seul en 1945 le prix Nobel de physique pour ces travaux de fission, malgré la participation active de Lise Meitner à la compréhension du processus physique de fission (dont le rôle joué par l’énergie cinétique produite lors de la fracture de l’atome).

Leurs travaux décrivent la fission neutronique, connue sous le nom de fission nucléaire induite, soit la cassure d’un noyau d’atome sous l’effet d’un bombardement de neutrons, suivie de la libération d’une énergie thermique importante.

En parallèle, on distingue la fission nucléaire spontanée, dont le phénomène fut rapporté en 1940 par G. N. Flerov et K. A. Petrzak. Plus rare que la fission induite, le phénomène consiste à la scission du noyau de l’atome sans effet d’absorption d’un neutron.

Les perspectives et nouveaux usages

Le retour de la filière de fission nucléaire sur le devant de la scène française et internationale ouvre la voie à des champs d’applications innovantes.

SMR : petits réacteurs compacts

Les Small Modular Reactors (SMR) ou petits réacteurs modulaires (PRM) sont des réacteurs avancés avec une puissance brute jusqu’à 300 MW contre 1 000 MW pour les réacteurs de 2e génération. Ils se distinguent par leur modularité car l’assemblage peut se faire en usine comme un composant ou module. Il est transportable comme une unité jusqu’à son site d’installation.

La préfabrication en usine est un atout indéniable en termes de coûts de production par rapport à des réacteurs de l’ancienne génération dont les chantiers de construction sont souvent le théâtre de retards sur le planning et de problèmes techniques.

De par leur souplesse de conception, les SMR séduisent les entreprises privées et le secteur public, précisément pour les régions où l’accès à l’énergie est difficile. Leur déploiement pourrait servir à alimenter un bassin rural de population et d’industrie, tout comme servir de source énergétique de secours pour les situations d’urgence.

En 2024, plus de 70 projets de construction de petits réacteurs modulaires sont en cours de développement dans le monde (Argentine, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis et Russie).

Production d’hydrogène, industrie, chauffage urbain

L’application des réacteurs nucléaires peuvent dépasser le cadre de la production d’électricité. De nombreuses applications sont à l’étude ou en cours d’activité partout dans le monde.

L’accès à l’eau sera un enjeu majeur au cours du XXIe siècle : selon les projections du World Resources Institute pour 2050, 51 pays seraient concernés par le stress hydrique engendré par le manque d’eau potable avec l’accentuation de la raréfaction des ressources liés au problème climatique. L’énergie nucléaire par fission peut trouver une application dans des usines de dessalement de l’eau de mer où la production de chaleur est nécessaire dans le processus de distillation. Des projets de réacteurs avancés sont actuellement en cours de recherche aux États-Unis(2).

La filière du nucléaire pourrait être utilisée dans des projets de production d’hydrogène dont l’usage est indispensable dans de nombreux secteurs industriels (production d’ammoniac, d’acier ou de carburants synthétiques).

Enfin, une part de la chaleur produite par un réacteur nucléaire est perdue dans l’environnement. Elle pourrait être injectée dans les réseaux de chauffage industriel et urbain.

La régénération dans les réacteurs de 4e génération

Le cycle de vie du combustible uranium dans un réacteur prévoit un remplacement et un recyclage après une durée d’utilisation moyenne de 4 ans. Actuellement, les normes prévoient que l'uranium 235 usé suit une phase de traitement en piscine de refroidissement puis en usine de revalorisation. Toutefois, il peut être recyclé une seule fois pour un nouvel usage. Or, 96 % du combustible nucléaire présente encore des propriétés énergétiques après utilisation.

Les réacteurs à neutrons rapides de 4e génération au stade expérimental auraient potentiellement une fonctionnalité de multi-recyclage du combustible usagé.

À terme, les objectifs seraient d’optimiser le recours aux ressources énergétiques et de production de déchets nucléaires à vie longue.

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