
La réaction de fission est exploitée dans les réacteurs du parc électronucléaire français en service. Ici, dans la centrale de Paluel en Seine-Maritime. (©EDF-Francis Chanteloup)
Principe de la fission nucléaire
Le principe physique de fission nucléaire utilisé dans les centrales de production d’électricité nucléaire constitue le socle de la souveraineté énergétique de la France : près de 65 % de la production nationale d’électricité est en effet issue de centrales nucléaires générant de l'électricité grâce à la fission.
Fission de l’uranium 235 et schéma de production d’énergie
La fission nucléaire (parfois qualifiée de fission « induite ») désigne le processus par lequel un neutron est projeté sur un atome lourd de type uranium 235 ou plutonium 239 et, en étant absorbé, divise le noyau dudit atome en deux atomes plus légers. Cette opération s'accompagne d'un fort dégagement d'énergie thermique.
Schéma de fission nucléaire et de réaction en chaîne (Graphique : A. Vargas/Agence de l’énergie atomique)
Le neutron sans charge positive a la capacité de se déplacer librement jusqu’au cœur du noyau de l’atome (formé de particules de nucléon) et d’agir à l’intérieur sans être repoussé par les forces électriques. Ainsi, la collision entre l’atome et le neutron s’accompagne d’un éclatement du noyau de l’atome lourd en 2, avec une libération de plusieurs neutrons, d’un rayonnement et des produits de fission .
C’est cette force cinétique produite, que l’on appelle énergie de liaison (depuis l’équation d’Einstein E=mc2), qui crée un fort dégagement d’énergie thermique. Dans une centrale nucléaire, la chaleur va être récupérée pour produire de l’électricité(1).
Notons que l’atome lourd est appelé noyau « fissile » car il subit le processus de fission nucléaire (l’uranium 235 utilisé dans les réacteurs nucléaires est le seul noyau fissile naturel existant).
Réaction en chaîne
Les neutrons émis lors de la fission vont rentrer à leur tour en collision avec d’autres noyaux atomiques et les casser, produisant ainsi d’autres neutrons, de produits de fission et in fine d’autres émissions d’énergie. Et ainsi de suite, pour un effet en continu appelé phénomène de « réaction en chaîne ».
À l’intérieur d’un réacteur, l’ensemble du processus de réaction en chaîne fait l’objet d’un contrôle permanent pour éviter tous risques d'accident radioactif : un seul neutron est libéré à chaque processus de fission et les autres produits sont écartés. Cette régulation en continu est assurée par une barre de contrôle installée à l’intérieur du réacteur et composée de matériaux absorbeurs de neutrons. La vitesse du neutron est aussi régulée par un « modérateur » (de l'eau dans les réacteurs nucléaires français en service) pour éviter une réaction en chaîne trop forte (la vitesse peut passer de 20 000 km/s à 2 km/s).
La maîtrise de la réaction en chaîne dans une centrale nucléaire est indispensable pour agir sur la quantité d’énergie thermique émise par l’uranium et éviter les risques de surchauffe du réacteur. Elle permet également de produire de l’électricité à la demande.
Fission et fusion nucléaire : les différences
Si la fission nucléaire consiste à scinder le noyau d’un atome lourd en deux, libérer des neutrons et de la chaleur ; la fusion nucléaire consiste au contraire à assembler 2 noyaux d’atomes légers pour former un noyau d’atome lourd et en même temps libérer de l’énergie.
Le processus physique de la fusion nucléaire s’inspire de la formation originelle des étoiles telle que le Soleil : en l’occurrence, deux noyaux d’hydrogène fusionnent à des températures extrêmes de plusieurs millions de degrés Celsius pour créer un noyau d’atome lourd (hélium composé d’un neutron et 2 protons). À un tel niveau de température, la matière du Soleil forme un plasma dans lequel circulent librement neutrons et noyaux d'atomes. Lors d’une collision, ils fusionnent et libèrent de l’énergie. Le plasma est le 4e état de la matière (aqueuse, solide et gazeux).
Les recherches scientifiques actuelles tentent de recréer le phénomène physique de la fusion nucléaire dans un réacteur en fusionnant 2 isotopes de l’hydrogène (deutérium et tritium) à une température de 150 millions de degrés Celsius, soit environ 10 fois la température au cœur du Soleil.
Le principe de fusion nucléaire est encore au stade de la recherche et du développement dans le monde. En France, le projet international d’Iter situé à Cadarache étudie les réactions en chaîne de plasma en fusion au sein d'un tokamak et porte de nombreux objectifs d’exploitation industrielle dans un prochain futur. Les recherches sur la fusion nucléaire depuis plus de 30 ans ont pour objectif d’ouvrir la voie à des modèles de réacteurs qui produiraient beaucoup plus d'électricité que les réacteurs à fission.
Néanmoins, les études actuelles ne devraient pas aboutir avant plusieurs décennies, voire à la fin du 21e siècle (la phase « opérationnelle » au sein d'Iter concernant le deutérium et le tritium est envisagée en 2039, selon le dernier calendrier actualisé en juillet 2024), du fait des limites technologiques (connaissances scientifiques et défaut de matériaux résistants aux expérimentations sur la fusion) et de l’investissement financier important (l’évaluation du budget d’ITER pour la construction du réacteur serait de 13 milliards d’euros, financé par les 7 membres du projet : Union européenne, Chine, Inde, Corée du Sud, Japon, Russie, Etats-Unis).
Les centrales à fission en France
Depuis les années 1950, l’industrie de l’énergie atomique a développé plusieurs types de réacteurs nucléaires intégrant des choix de technologies différentes en fonction de la matière (uranium naturel ou enrichi, plutonium), du liquide caloporteur (eau sous pression ou bouillante, hydrogène ou hélium, etc.) et du modérateur (eau classique ou eau lourde, graphite) utilisés.
Type de réacteurs installés
On distingue 4 générations de réacteurs à fission nucléaire. La France a fait le choix de se tourner vers les réacteurs à eau sous pression (REP), type des 56 tranches de 2e génération du parc nucléaire français actuel (auxquels s'ajoute Flamanville 3, réacteur de 3e génération).
Réacteurs à eau sous pression
Le réacteur à eau sous pression (REP) fait partie de la catégorie des réacteurs à eau (RAE) avec les réacteurs à eau bouillante (REB) que l’on rencontre plus souvent aux États-Unis, au Japon et en Suède. À eux deux, les REP et REB représentent la grande majorité du parc mondial de réacteurs nucléaires.
Le réacteur à eau sous pression utilise comme combustible de l’uranium 235 enrichi pour produire de l’électricité nucléaire ; soit de l’uranium naturel supplémenté en uranium 235 pour permettre une réaction de fission en chaîne. Le processus suit plusieurs étapes dans le réacteur de puissance :
- la chaleur produite par ladite réaction en chaîne est utilisée dans un générateur de vapeur pour chauffer un liquide caloporteur (de l’eau) et produire de la vapeur ;
- la vapeur va actionner une turbine par force mécanique et enfin alimenter un générateur électrique.
Il existe d'autres types de réacteurs actuellement en service dans le monde, notamment les réacteur à « eau lourde » (principalement au Canada) et les réacteurs à caloporteur gaz (RCG) utilisant l’hélium comme liquide caloporteur (presque exclusivement présents en Angleterre).
Les EPR
L’EPR (European Pressurized Reactor), réacteur nucléaire de 3e génération, constitue une déclinaison améliorée du REP (technologie de Flamanville 3). Avec un meilleur rendement, ce type de réacteur devrait supplanter la 2e génération en activité sur le parc français : l’EPR consomme jusqu’à 15 % d’uranium en moins et produit jusqu’à 10% de moins de déchets radioactifs à longue vie. D’une puissance de 1 650 MW de puissance brute contre 880 à 1 500 MW pour les réacteurs de 2e génération, l’EPR à fission devrait afficher également un rendement supérieur de 37 % contre 33 % pour les anciens réacteurs.
Le projet d’EPR de Flamanville a subi un retard important dans son calendrier de livraison (près de 17 ans de retard). Ce retour d’expérience a donné naissance à une déclinaison supposée optimisée de l’EPR français nommée l'EPR2. Cette version améliorée en termes de délais et de coûts de production devrait prendre en compte les contraintes techniques de construction et de sécurité en allant vers la simplification (6 réacteurs EPR2 sont en phase d’études et de déploiement dans 3 régions de l’hexagone pour une livraison à partir de 2035).
Réacteurs à fission de 4e génération
Sélectionnée par les membres du Forum international Génération IV, la 4e génération est en phase de recherche et développement. Elle s’orienterait vers 6 concepts de réacteurs : 3 à neutrons rapides (RNR sodium comme le projet Phénix en France arrêté en 2010, RNR gaz et RNR plomb) et 3 autres réacteurs à eau supercritique (RESC), à très haute température (RTHT) et à sels fondus (RSF).
Les enjeux énergétiques et sécuritaires
Le parc à fission nucléaire français a une capacité de production installée de près de 63 GW (en incluant l'EPR de Flamanville). En moyenne, près de 65 % de la production d’électricité française annuelle est issue des réacteurs à fission et environ 10% au niveau mondial.
Pourtant jusqu’en 2022, un objectif fixé dans le cadre de la loi énergie-climat était de réduire cette part du nucléaire à 50% dans le mix électrique français à l’horizon 2050. La crise énergétique à la suite de la guerre en Ukraine a rebattu les cartes. Lors de son discours de Belfort en février 2022, le Président Emmanuel Macron a souligné l'importance de l'énergie nucléaire aux côtés des renouvelables, avec un objectif de construction d'au moins 6 nouveaux réacteurs de type EPR2 (avec des études pour la construction de 8 autres EPR2), le premier d'entre eux devant commencer à être construit à l'horizon 2028 pour une mise en service à l'horizon 2035.
D’autre part, l’industrie devrait consommer deux fois plus d’électricité en 2050 par rapport à 2023 avec le remplacement des énergies fossiles (gaz et fioul) pour faire fonctionner les usines et autres infrastructures. Selon une étude du centre de réflexion La fabrique de l'industrie, la consommation du secteur industriel atteindrait 207 térawattheures en 2050 contre 103 TWh en 2023. La part de l’électricité dans la consommation finale d'énergie du secteur industriel pourrait alors atteindre 62% contre 37% en 2023.
À cette fin, la sécurisation des moyens de production énergétiques est au cœur de tous les enjeux pour faire face à cette future demande.
La France a une longue histoire avec le nucléaire et les retours d’expérience des accidents nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima ont d’autre part fait avancer la filière en matière de sûreté, avec l’adoption de nouvelles normes et réglementations pour sécuriser les sites des centrales et leur environnement.
La découverte de la fission nucléaire
On doit la découverte du phénomène physique de fission nucléaire en 1938 à la physicienne et chimiste Lise Meitner et Otto Hahn, chimiste du Kaiser-Wilhelm-Institut für chemie de Berlin.
Otto Hahn reçoit seul en1945 le prix Nobel de physique pour ces travaux sur la fission, malgré la participation active de Lise Meitner à la compréhension du processus physique (dont le rôle joué par l’énergie cinétique produite lors de la fracture de l’atome).
Leurs travaux décrivent la fission neutronique, connue sous le nom de fission nucléaire induite, soit la cassure d’un noyau d’atome sous l’effet d’un bombardement de neutrons, suivie de la libération d’une énergie thermique importante.
En parallèle, on distingue la fission nucléaire spontanée, dont le phénomène fut rapporté en 1940 par G. N. Flerov et K. A. Petrzak. Plus rare que la fission induite, le phénomène consiste en la scission du noyau de l’atome sans effet d’absorption d’un neutron.
Les perspectives et nouveaux usages
Le retour de la filière de fission nucléaire sur le devant de la scène française et internationale ouvre la voie à des champs d’applications innovantes.
SMR : petits réacteurs compacts
Les Small Modular Reactors (SMR) ou petits réacteurs modulaires (PRM) sont des réacteurs avancés avec une puissance brute jusqu’à 300 MW contre de l'ordre de 1 000 MW pour les réacteurs « traditionnels » de 2e génération. Ils se distinguent par leur modularité car l’assemblage peut se faire en usine comme un composant ou module. Il est transportable comme une unité jusqu’à son site d’installation.
La préfabrication en usine est un atout indéniable en termes de coûts de production par rapport à des réacteurs de l’ancienne génération dont les chantiers de construction sont souvent le théâtre de retards sur le planning et de problèmes techniques.
De par leur souplesse de conception, les SMR séduisent les entreprises privées et le secteur public, précisément pour les régions où l’accès à l’énergie est difficile. Leur déploiement pourrait servir à alimenter un bassin rural de population et d’industrie, tout comme servir de source énergétique de secours pour les situations d’urgence.
En 2024, plus de 70 projets de construction de petits réacteurs modulaires sont en cours de développement dans le monde (Argentine, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis et Russie).
Production d’hydrogène, industrie, chauffage urbain
Les applications des réacteurs nucléaires peuvent dépasser le cadre de la production d’électricité. De nombreuses applications sont à l’étude ou en cours d’activité partout dans le monde.
L’accès à l’eau sera un enjeu majeur au cours du XXIe siècle : selon les projections du World Resources Institute pour 2050, 51 pays seraient concernés par le stress hydrique engendré par le manque d’eau potable avec l’accentuation de la raréfaction des ressources liés au problème climatique. L’énergie nucléaire par fission peut trouver une application dans des usines de dessalement de l’eau de mer où la production de chaleur est nécessaire dans le processus de distillation. Des projets de réacteurs avancés sont actuellement en cours de recherche aux États-Unis(2).
La filière du nucléaire pourrait être utilisée dans des projets de production d’hydrogène dont l’usage est indispensable dans de nombreux secteurs industriels (production d’ammoniac, d’acier ou de carburants synthétiques).
Enfin, une part de la chaleur produite par un réacteur nucléaire est perdue dans l’environnement. Elle pourrait être injectée dans les réseaux de chauffage industriel et urbain.
La régénération dans les réacteurs de 4e génération
Le cycle de vie du combustible uranium dans un réacteur prévoit un remplacement et un recyclage après une durée d’utilisation moyenne de 4 ans. Actuellement, les normes prévoient que l'uranium 235 usé suit une phase de traitement en piscine de refroidissement puis en usine de revalorisation. Toutefois, il peut être recyclé une seule fois pour un nouvel usage. Or, 96 % du combustible nucléaire présente encore des propriétés énergétiques après utilisation.
Les réacteurs à neutrons rapides de 4e génération au stade expérimental auraient potentiellement une fonctionnalité de multi-recyclage du combustible usagé.
À terme, les objectifs seraient d’optimiser le recours aux ressources énergétiques et de production de déchets nucléaires à vie longue.