Le premier réacteur de Hinkley Point devait être livré fin 2025, il est désormais prévu pour 2029, voire 2031. (©EDF Energy)
Hinkley Point C est un projet de deux réacteurs nucléaires de type EPR de 3,2 GW de puissance. Il est prévu qu'ils soient exploités pendant 60 ans par EDF Energy (filiale de l’énergéticien français).
Les premiers réacteurs EPR en Angleterre
La construction de deux réacteurs nucléaires EPR a lieu dans le Somerset, sur la côte sud-ouest de l’Angleterre. Ils auront chacun une puissance installée d’environ 1,6 GW, de quoi satisfaire l’équivalent de 7% des besoins en électricité du Royaume-Uni et alimenter environ six millions de foyers britanniques.
L'accord commercial conclu par EDF Energy avec le gouvernement britannique dès octobre 2013 garantit que l’électricité produite par Hinkley Point C sera rachetée pendant une durée de 35 ans à un tarif garanti de 92,5 livres par MWh (soit presque 130 euros par MWh et rehaussé chaque année de l'inflation) aux exploitants de la centrale - détenue aux deux-tiers par EDF et à un tiers par la compagnie d'Etat chinoise CGN. Si les prix du marché de gros sont inférieurs à ce niveau, la différence avec ce tarif garanti sera versée aux exploitants - et cette facture sera supportée in fine par les consommateurs.
La mise en route du premier des deux réacteurs était initialement prévue pour 2025, mais n'aura finalement pas lieu avant 2029 au mieux.
Le chantier est situé à proximité de la centrale nucléaire Hinkley Point B, mise en service en 1976 et qu'EDF a définitivement mis à l'arrêt en juillet 2022. Hinkley Point C représente la première construction de centrale nucléaire dans le pays depuis 20 ans. 11 000 personnes travaillent actuellement sur le chantier, via 3 000 entreprises britanniques et 2 000 françaises. C'est "le plus grand chantier d'Europe", toutes industries confondues, assure le PDG d'EDF Luc Rémont.
Les travaux du chantier ont débuté et la coulée du premier béton pour la mise en place des premières structures permanentes de la centrale a eu lieu fin mars 2017 et s'est terminée en juin 2019 pour la première dalle et juin 2020 pour celle qui supportera le deuxième réacteur EPR ; le tout dans les délais convenus. Le dôme d'acier qui recouvrira son premier réacteur a été installé au-dessus de la tour cylindrique de 44 mètres de haut en décembre 2023.
Le Royaume-Uni compte actuellement 9 réacteurs nucléaires répartis au sein de 5 centrales, et près de la moitié a été arrêtée au cours de la dernière décennie et le reste approche de sa fin de vie : six réacteurs sur trois sites ont été arrêtés depuis 2021, et seront démantelés. En mars dernier, le groupe d'énergie français a cependant annoncé prolonger la durée de vie de deux centrales britanniques, Heysham 1 et Hartlepool.
Toutes les centrales nucléaires anglaises sont exploitées par EDF Energy à l’exception du réacteur de Wylfa exploité par Magnox (actuellement à l’arrêt). Le Royaume-Uni a été l’un des pays précurseurs de l’exploitation civile de l’énergie nucléaire en connectant son premier réacteur au réseau électrique dès 1956. Si le gouvernement britannique souhaite davantage faire reposer son mix électrique (qui reposait à près de 58% sur les énergies fossiles en 2014) sur les énergies renouvelables à l’avenir, en particulier sur l'éolien offshore, il entend maintenir une place important au nucléaire(1), une nécessité pour que Londres tienne ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Londres a l'intention de construire jusqu'à huit nouveaux réacteurs d'ici 2050.
Les centrales nucléaires actuelles au Royaume-Uni et le mix électrique britannique quand l'accord commercial concernant l'EPR anglais a été validé (©Connaissance des Énergies)
Retour sur l'obtention du contrat par EDF
L'accord de principe sur la construction par EDF de deux réacteurs nucléaires EPR au Royaume-Uni a été acté le 21 octobre 2013. Cet "investissement historique" est alors salué par François Hollande et David Cameron.
Ensuite, il a fait l’objet de nombreuses contestations concernant son coût et l'impact de celui-ci sur les finances du groupe. D'autant plus que les constructions de réacteurs de technologie EPR ailleurs dans le monde ont entraîné d'innombrables complications, surcoûts et retards.
EDF et CGN ont signé un accord en octobre 2015, prévoyant que le chinois supporte un tiers du financement du projet de Hinkley Point C, les deux tiers restants pesant sur les comptes de l'électricien public français. Il s'agit du premier investissement de Pékin dans un secteur aussi stratégique et sensible d'un grand pays occidental. Ce partenariat porte plus précisément sur "le développement, la construction et l'exploitation de trois centrales à Hinkley Point, Sizewell et Bradwell", les deux premiers sites étant de type EPR. Il donnera lieu à trois coentreprises entre EDF et China General Nuclear Power Group (CGN), chacune se chargeant d'un site. CGN indiquait par la suite n'avoir "aucune intention" de construire des réacteurs sur le site de Hinkley Point en cas de défection ou de report de la part d'EDF.
Si la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal s'était inquiétée des "sommes colossales en jeu", se demandant s'il fallait "continuer avec ce projet", le ministre de l'Economie Emmanuel Macron exprimait son soutien à un projet "nécessaire au maintien des compétences indispensables pour soutenir la filière nucléaire à l'international et assurer le déploiement du futur parc atomique français", quand François Hollande soulignait l'importance d'avoir "une industrie nucléaire qui soit de haute performance, de haute sûreté en France, et que nous ne pouvons pas laisser non plus à l'exportation d'autres venir sur des terrains qui jusqu'à présent pouvaient être Français".
L'investissement est jugé "vital" pour l'usine du Creusot, car synonyme d'un carnet de commande rempli pour plusieurs années.
En mars 2016, la Cour des comptes, organisme français chargé du contrôle de la gestion des finances publiques, a aussi fait part de "fortes interrogations", dans un rapport. EDF, qui affichait un endettement net de 37,4 milliards d'euros, a d'autres investissements à financer, notamment le rachat de la branche réacteurs d'Areva et le programme de maintenance lourde de ses réacteurs français.
Ce même mois, le directeur financier d'EDF, Thomas Piquemal, démissionnait en raison d'un désaccord sur la faisabilité du projet.
Quelques heures avant le début de la réunion du 28 juillet 2016 pour le vote du conseil d'administration d'EDF portant sur la validation du projet, un administrateur proposé par l'Etat, Gérard Magnin, avait démissionné en raison de son désaccord sur la stratégie résolument pro-atome d'EDF, au détriment selon lui de la transition énergétique. Mais pour le groupe comme pour l'Etat, le projet est incontournable pour le maintien du savoir-faire et de la crédibilité de la filière nucléaire tricolore, en pleine refonte. Londres est un autre fervent partisan d'Hinkley Point, au coeur de sa stratégie énergétique, et l'annonce du Brexit n'a pas changé la donne.
Sur un conseil ramené à 17 membres, dix administrateurs ont voté pour et sept contre. Les six administrateurs salariés avaient fait savoir qu'ils s'opposeraient à ce projet dont le poids financier pourrait, selon eux, menacer la viabilité du groupe. En interne, les fédérations de l’énergie CGT, CFE-CGC et FO dénoncent alors un « passage en force » de la direction de l’électricien.
Le soir même, Londres avait annoncé qu'il ne rendrait pas sa décision finale avant l'automne 2016. Theresa May, à peine arrivée au 10 Downing Street et qui avait succédé à David Cameron, avait ainsi créé la surprise et pris de court EDF en se donnant un temps supplémentaire de réflexion, par la voix du ministre britannique des Entreprises et de l'énergie, Greg Clark.
La Première ministre britannique Theresa May a finalement informé la France le 14 septembre 2016 de son feu vert au projet de 2 réacteurs nucléaires de type EPR au sein de la centrale d'Hinkley Point C au Royaume-Uni.
Problèmes et retards : les aléas de la construction
La livraison du premier réacteur de Hinkley Point devait initialement avoir lieu fin 2025.
La production de l'usine Areva du Creusot, interrompue en 2016 à la suite d'irrégularités, a repris en juillet 2017 avec la coulée d'un élément destiné à la future centrale nucléaire d'Hinkley Point. C'est l'autorité britannique (ONR) qui s'est assurée que les conditions appropriées et préalables à la reprise des fabrications avaient été respectées.
EDF évoquait le même été 2017 le groupe avait évoqué un risque de retard de 15 mois pour ce réacteur et de 9 mois pour le second, qui doit démarrer six mois plus tard.
En janvier 2021, le groupe hexagonal confirmait un report de la mise en service, "à présent prévue en juin 2026", dans un communiqué en janvier 2021.
En mai 2022, EDF annonçait un nouveau retard minimum d'un an et des coûts supplémentaires d'au moins 3 milliards de livres, pour une mise en service de la première unité désormais prévue en juin 2027.
Le dôme de l'unité 1 de la centrale devait initialement être posé fin 2022 et a finalement pu l'être avec un an de retard sur le calendrier initial.
En janvier 2024, la mise en service du premier EPR d'Hinkley Point C est repoussée d'au moins 2 ans, voire 4 ans, soit au mieux en 2029, voire 2030 ou 2031. L'électricien français indique avoir revu à la hausse la durée des travaux de montage électro-mécanique (câbles et tuyaux) au moment où cette phase commence juste. Prévue pour durer 28 mois, cette étape en prendra finalement 52, ajoutant ainsi deux ans à la durée totale du projet. Selon les scénarios, favorable ou central - le plus probable selon EDF - sur la réalisation de ce plan de montage, le réacteur pourrait ainsi démarrer soit en 2029 soit en 2030. Mais "compte tenu de la complexité du projet" EDF a aussi prévu "un scénario défavorable" qui "pourrait conduire à un démarrage de la production d'électricité de l'Unité 1 en 2031", a-t-il précisé dans un communiqué.
Le PDG d'EDF se veut toutefois rassurant. "A Flamanville, nous construisions notre premier réacteur en France, depuis très, très longtemps", dit Luc Rémont. "Ici, nous en construisons deux d'un coup, après l'expérience de Taishan en Chine, d'Olkiluoto en Finlande et de Flamanville et avec un retour d'expérience de l'ensemble de ces chantiers, nous sommes rentrés dans une phase de cadence industrielle dont Hinkley Point est le démarrage puisque c'est la première fois qu'on fait deux EPR d'un coup".
"Plus vous faites, meilleur vous êtes", dit-il. La preuve, selon lui : 30% de temps gagné à Hinkley sur les travaux du 2e réacteur, par rapport au premier. "Là, nous sommes rentrés dans une phase de cadence industrielle dont Hinkley Point est le démarrage puisque c'est la première fois qu'on en fait deux d'un coup et quand on va passer d'Hinkley Point à Sizewell (autre chantier EPR porté par EDF au Royaume-Uni), on va répéter les mêmes gestes et quand on va passer sur l'EPR 2 (version optimisée de l'EPR), on va également passer directement sur une série en répétant les mêmes gestes", a-t-il ajouté.
L'enjeu industriel est fondamental alors que la France veut construire à domicile au moins six EPR, et nourrit des ambitions renouvelées à l'export.
Coût de construction à la hausse
A l'origine, l'accord signé le 21 octobre 2013 chiffrait l'investissement à 16 milliards de livres (18,9 milliards d'euros), supporté à un tiers par le géant étatique du nucléaire chinois CGN et les deux autres tiers par EDF. Les accords conclus entre EDF et CGN prévoient un mécanisme de compensation de certains surcoûts par EDF en cas de dépassements du budget initial ou de retard. Tous les coûts de construction, y compris les dépassements, sont à la charge du constructeur.
Lors du feu vert britannique à l'automne 2016, le projet est évalué à 18 milliards de livres (21,2 milliards d'euros),
A l'été 2017, EDF a revu à la hausse lundi de 1,5 milliard de livres (plus de 1,8 milliard d'euros) le coût des deux futurs réacteurs, ce qui porte l'investissement total à 19,6 milliards de livres, soit environ 24,1 milliards d'euros. Un surcoût qui s'explique selon le groupe, par "une meilleure appréhension du design", ainsi que "du volume et du séquencement des travaux sur site et de la mise en place progressive des contrats fournisseurs". Après une "revue complète" du projet, EDF a dû adapter la conception de la centrale à des "demandes des régulateurs", notamment en terme de sûreté.
En janvier 2021, le coût passe à une fourchette entre 21,5 à 22,5 milliards de livres. L'énergéticien précise cependant que, "bien qu'impacté par la crise sanitaire du Covid-19", le projet "a progressé de façon significative en 2020, à la fois sur le chantier, sur les plans d'exécution du design et sur la fabrication des équipements".
En 2023, le coût passe à 25-26 milliards de livres (28-29 milliards d'euros) - voire 32,7 milliards de livres en comptant l'inflation. L'inflation a atteint 9,2% en décembre 2022 dans la zone Euro et 10,5% en Grande-Bretagne.
Des surcoûts que le groupe nationalisé EDF supporte aujourd'hui seul à ce stade faute de contribution de son partenaire chinois CGN. CGN a en effet arrêté en 2023 de participer aux surcoûts de la centrale au-delà de son engagement initial, comme le permet une clause contractuelle.
Paris demande l'appui de Londres en janvier 2024 pour l'aider à combler le déficit des projets de construction de réacteurs nucléaires menés par EDF en Grande-Bretagne. "Les besoins de financement du projet excédant l'engagement contractuel des actionnaires, ces derniers seront appelés à allouer des fonds propres additionnels". Or "la probabilité que CGN ne finance pas le projet au-delà de son engagement est élevée" estime EDF. Dans cette hypothèse, "EDF serait amené à contribuer en lieu et place de CGN". Le gouvernement français optait ensuite pour des garanties de prêt signées par Londres afin d'essayer d'alléger les coûts de financement d'EDF et d'obtenir plus facilement des emprunts. Parmi les options sur la table, il y a également la recherche de nouveaux partenaires financiers.
De son côté, Londres a fait savoir qu'il n'interviendrait pas dans le financement de ce projet qui "relève de la compétence d'EDF et de ses actionnaires". Il en va autrement du projet de Sizewell C pour lequel Londres a annoncé le déblocage de 1,3 milliard de livres supplémentaires portant l'enveloppe du financement britannique à 2,5 milliards de livres dans ce projet.