COP24 à Katowice (décembre 2018) : un « mode d’emploi » pour l’accord de Paris

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COP24

La COP24 a pris fin le 15 décembre 2018, après près de deux semaines de négociations à Katowice. (©flickr-UNclimatechange)

La COP24 s'est déroulée à Katowice du 3 au 15 décembre 2018. Elle s'est terminée avec une journée de retard sur le calendrier initial, après des débats houleux. Cette conférence climat a été marquée par l’adoption des règles d’application de l’accord de Paris conclu 3 ans auparavant. 

Contexte de la COP24

Une année « crash test » pour la coopération sur le climat

Après deux réunions d’étape pour faire suite à la COP21, la COP24 organisée à Katowice en Pologne était attendue comme « une conférence importante, venant clore une année crash test pour la coopération multilatérale sur le climat », rappelle Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche au CNRS.

« L’inquiétude était autorisée, car cette nouvelle COP présidée par une Pologne à l’économie très charbonnée, s’est ouverte dans un contexte plus que morose. Après la décision de retrait des États-Unis, c’est le Brésil de Bolsonaro qui envisage désormais de quitter l’accord de Paris. L’Europe elle-même est plus divisée que jamais sur ces questions et empêchée d’avancer d’un seul élan ».

Une « enquête sur l’incendie criminel » publiée par l'ONU avant la COP24

Une semaine avant le début de la COP24, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a publié un nouveau rapport(1) dans lequel il appelle à « tripler, voire quintupler les efforts » actuels dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. 

En 2017, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont atteint un niveau record de 53,5 gigatonnes d’équivalent CO2, soit 0,7% de plus qu’en 2016. Selon le PNUE, ces émissions devraient être inférieures d’environ 25% à ce niveau en 2030 (40 Gt éq. CO2) pour limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici à la fin du siècle par rapport aux températures de l’ère préindustrielle (et baisser de 55% pour atteindre la cible des 1,5°C).

Cela implique de tripler les efforts actuels en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, indique le PNUE (ou de les quintupler pour la trajectoire « 1,5°C »). Le PNUE juge « indispensable » de plafonner les émissions mondiales d’ici à 2020 pour espérer atteindre les objectifs de l’Accord de Paris conclu lors de la COP21 fin 2015.

L’instance onusienne ne constate toutefois « aucun signe de plafonnement » au niveau mondial. Dans les conditions actuelles, seuls 53 pays comptant pour 40% des émissions mondiales sont susceptibles, selon le rapport, d’atteindre ce plafonnement d’ici à 2020 (57 pays comptant pour 60% des émissions à l’horizon 2030)(2). En définitive, Philip Drost, qui a coordonné le rapport du PNUE, indique que « l'écart (ndlr : entre le niveau actuel des émissions et le niveau d'ambition de la COP21) est plus grand que jamais ».

Emissions mondiales de ges
La baisse de l’intensité énergétique mondiale s’est ralentie en 2017. (©Connaissance des Énergies, d'après PNUE)

Vers 3°C de réchauffement

Début octobre 2018, le GIEC avait déjà rappelé dans un rapport spécial la nécessité de « modifier rapidement, radicalement et de manière inédite tous les aspects de la société » en vue de tendre vers l’objectif d’un réchauffement planétaire limité à 1,5°C. Les scénarios présentés par le groupe d'experts du climat associent baisse de la consommation globale d'énergies fossiles, amélioration de l’efficacité énergétique et électrification décarbonée. 

La directrice exécutive par intérim du PNUE, Joyce Msuya, a fait référence à cette publication du GIEC en la qualifiant d’« alarme incendie du monde » et en présentant par ailleurs le rapport du PNUE d’« enquête sur l’incendie criminel ». Avec un constat récurrent et sans ambiguïté : « les gouvernements doivent agir plus rapidement et avec un plus grand sentiment d’urgence ».

Trajectoires d'émissions
Le GIEC présente dans son rapport différentes trajectoires d'émissions de CO2 jugées compatibles avec un réchauffement climatique de 1,5°C à l'horizon 2100. (©Connaissance des Énergies, d’après GIEC)

Notons que le rapport du PNUE souligne le potentiel « significatif » de réduction des émissions représenté par des initiatives infranationales et non étatiques qui pourrait permettre aux pays de rehausser leurs ambitions. Il note toutefois que le poids de ces actions est encore très limité aujourd'hui et fait l’objet d’une documentation insuffisante.

Au regard des tendances actuelles, le réchauffement planétaire pourrait avoisiner 3°C d’ici à la fin du siècle (avec une augmentation continue des températures par la suite) selon le rapport onusien. En vue de renforcer la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, le PNUE souligne la nécessité de soutenir l’innovation et de développer des politiques fiscales favorisant les investissements sobres en carbone.

En vue d’une meilleure acceptabilité, le PNUE souligne par ailleurs que « les recettes générées par la tarification du carbone peuvent être utilisées pour réduire d’autres taxes, augmenter les dépenses consacrées aux question sociales ou indemniser les ménages à faible revenu ». Une recommandation qui fait écho aux débats actuels en France et à la mobilisation des « gilets jaunes ».

Résultat de la COP24

Des règles communes pour comptabiliser les émissions de gaz à effet de serre

Le « mode d’emploi » (rulebook) adopté par les 197 « Parties » (196 pays - États-Unis compris - et l’Union européenne) à Katowice est un document de 133 pages qui précise entre autres comment seront comptabilisées les émissions de gaz à effet de serre(3) des différents pays. L’adoption de ce mode d’emploi était nécessaire pour rendre « opérationnel » l’accord de Paris qui porte formellement sur la période après 2020(4)

Il est par ailleurs prévu que les Parties soumettent tous les 2 ans un rapport faisant état de leurs actions pour lutter contre le changement climatique (le premier devant être transmis au plus tard fin 2024). Les différents rapports seront soumis à expertise mais ne pourront pas faire l’objet de sanctions. Au moment de la COP24, 165 Parties ont déposé une « contribution » (« INDC » en anglais) auprès des Nations Unies pour faire part de leurs objectifs de lutte contre le changement climatique(5).

L'objectif minimum en matière de financements des pays du Nord à ceux du Sud dans le cadre de la lutte contre les dérèglements climatiques – 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 (décision qui remonte à la COP15 de 2009) – a été réaffirmé à Katowice (le périmètre des financements comptabilisés reste toutefois assez confus). Un nouvel objectif plus ambitieux de financements doit être fixé fin 2020 (lors de la COP26)(6).

Les discussions techniques autour des règles des mécanismes d’échange de quotas d’émission de CO2 doivent par ailleurs se poursuivre lors de la prochaine COP fin 2019 (COP25). Le Brésil a freiné l’adoption de ces règles à Katowice et ralenti l’adoption de l’accord final en Pologne(7).

« Fierté » du président de la COP24, déception des ONG

Lors de la dernière session plénière à Katowice, le président de la COP24, Michal Kurtyka, s’est félicité de l’accord conclu par les 197 Parties, estimant que celles-ci pouvaient être « fières » du « long chemin » accompli.

Les ONG environnementales ont une lecture différente des négociations, à l’image de Réseau Action Climat France qui déplore que « l’inertie de la Présidence polonaise et l’opposition persistante de quelques pays aient limité la portée du texte » final, avec notamment l’absence d’obligation formelle pour les États de rehausser leurs promesses avant 2020 mais aussi le sort réservé au rapport du GIEC sur la trajectoire d’un réchauffement climatique limité à + 1,5°C d'ici la fin du siècle.

Dans un texte indépendant de l’accord central de Katowice, les Parties se limitent en effet à saluer le fait que le rapport « 1,5°C » commandé au GIEC ait été achevé « dans les délais » et appellent « à faire usage des informations » dudit rapport(8). Pour rappel, le groupe d’experts sur le climat juge nécessaire de réduire de près de moitié les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2030(9) pour espérer atteindre cette cible de + 1,5°C(10) (les projections actuelles envisagent une hausse de température de près de 3°C d'ici la fin du siècle, sur la base des contributions annoncées par les États).

Déclaration de Silésie et « transition juste »

Signalons par ailleurs qu’une « note de la Déclaration de Silésie » portée par la Pologne « reconnait la nécessité de prendre en compte les impératifs d’une transition juste pour la population active » (en particulier pour l’industrie charbonnière en Pologne). Cette notion de « transition juste » est critiquée comme un frein à l’action alors même que le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres a réaffirmé que les 5 priorités devaient être « l’ambition, l’ambition, l’ambition, l’ambition et l’ambition »(11).

Intervention de Greta Thunberg

La COP24 a été marquée par les prises de parole de Greta Thunberg, une Suédoise de 15 ans venue rappeler l’urgence à agir contre le réchauffement climatique. 

Engagements de grands noms de la mode

De grandes entreprises de l'industrie de la mode (parmi lesquelles Adidas, Burberry, H&M, Esprit, Guess, Gap, Hugo Boss, Levi Strauss, Salomon et Puma) ont signé une « charte de l'industrie de la mode pour l'action climatique » lors de la COP24, avec l'ambition de réduire leurs émissions de 30% d'ici 2030.

Pour atteindre cet objectif, les 43 signataires initiaux s'engagent notamment à privilégier les matériaux à faible impact sur le climat, à mettre en place des mesures d'économies d'énergie, à ne plus installer au pire à partir de 2025 de sources d'énergie à charbon sur les sites de fabrication, et à privilégier le transport bas-carbone.

Selon les estimations, l'industrie de la mode représente environ 10% des émissions de CO2.

À l'heure de la fast fashion qui voient les consommateurs renouveler très vite les vêtements, les signataires veulent également soutenir l'économie circulaire et aider à changer les comportements pour étendre la durée de vie des produits.

Polémiques

La position américaine et l'appel de Donald Trump

Les États-Unis et l'Arabie Saoudite ont été vivement critiqués lors de la COP24 pour leur soutien aux énergies fossiles responsables du changement climatique, ces deux pays étant accusés de minimiser les alertes des scientifiques.

Selon le GIEC, si le monde veut limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport à l'ère pré-industrielle et éviter une planète à +2°C qui subirait plus d'événements météo extrêmes, il faut réduire de près de 50% les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 2010. Mais tous les pays n'acceptent pas vraiment ces conclusions. 

À la COP24, États-Unis, Arabie Saoudite, Russie et Koweït ont plaidé pour que les délégations « prennent note » de ce rapport du Giec, tandis que les Etats insulaires, soutenus notamment par l'UE et les Pays les moins avancés, insistaient pour que l'assemblée « accueille favorablement » le texte.

Donald Trump a également suggéré lors de cette COP24 de « mettre fin » à l'accord de Paris, « ridicule et extrêmement cher ». Faisant fi des critiques, les États-Unis ont organisé un événement pour notamment « présenter les façons d'utiliser les énergies fossiles de façon aussi propre et efficace que possible ».

« Nous croyons fermement qu'aucun pays ne devrait sacrifier sa prospérité économique ou sa sécurité énergétique face à l'environnement », a déclaré le conseiller spécial de Donald Trump, Preston Wells Griffith.

Interdiction de vidéos mentionnant les énergies fossiles

Des ONG pro-environnement, qui ont préféré rester anonymes, avaient préparé une série de films courts destinés à être diffusés pendant cette COP24 sur de grands écrans, près de l'entrée du centre de conférence de Katowice, capitale polonaise du charbon.

Parce qu'elles mentionnaient les énergies fossiles, ces vidéos ont été interdites par les organisateurs, une décision dénoncée comme une censure par leurs producteurs. Dans des emails obtenus par l'AFP, l'ONU demande aux ONG de retirer des images faisant référence à "l'énergie sale" et aux "pipelines", assurant qu'elles enfreignent des règles de la convention sur le climat.

Dans un email, le bureau de l'ONU chargé de cette tâche a ainsi demandé qu'une image où les mots "énergies sales" apparaissaient soit retirée, ainsi que les phrases "interdire la participation des entreprises liées aux énergies fossiles" et "pourquoi les politiques approuvent-ils toujours les pipelines, les centrales à charbon et la fracturation hydraulique".

La convention de l'ONU sur le climat interdit "les activités se moquant de l'ONU, des Etats membres, des organisations ou de tout individu ou des critiques qui seraient contre les règles de base du protocole". Mais les militants assurent que leurs vidéos ne violaient pas ces règles, vu qu'aucun pays ni aucune entreprise ne sont nommés.

Les défenseurs de l'environnement dénoncent la présence des "ONG à intérêt commercial", appelées BINGO (Business interest NGO), qui représentent des grandes entreprises du secteur de l'énergie. Ils les accusent d'utiliser leurs contacts pour influencer les négociateurs des Etats, qui se sont engagés à Paris en 2015 à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre.

Sources / Notes

  1. « Emissions Gap Report 2018 », PNUE, novembre 2018.
  2. En comblant leur « déficit d’émission », terme utilisé pour désigner l’écart « entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions ».
  3. En suivant le guide du GIEC (la version de 2006 doit être révisée l’an prochain, avec notamment une révision à la hausse du pouvoir de réchauffement global du méthane).
  4.  Pour entrer en vigueur en 2020, l’accord de Paris devait en outre avoir été ratifié, accepté ou approuvé par 55 Parties au minimum comptant pour au moins 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (article 21), ce qui est chose faite.
  5. Portail des Nations Unies.
  6. Pour la période post-2025. Un rapport doit par ailleurs être réalisé par l’ONU tous les deux ans dès 2020 sur le niveau de ces financements. Rappelons que l’ONU a évalué à 55 milliards de dollars en 2016 les financements des pays du Nord à ceux du Sud relatifs à la lutte contre le changement climatique (c'est à dire à l'« atténuation » des émissions de gaz à effet de serre et à l' « adaptation » au changement climatique).
  7. Article 6 du « rulebook ».
  8. Cette formulation fait suite à l’opposition de l’Arabie saoudite, des États-Unis, du Koweït et de la Russie de « saluer » la publication du rapport .
  9. Par rapport au niveau de 2010.
  10. Par rapport aux températures de l’ère préindustrielle. Le GIEC insiste sur les différences d’impacts entre un monde subissant un réchauffement de 1,5°C et 2°C d’ici la fin du siècle. Pour rappel, les émissions mondiales de CO2 liées à la consommation d’énergie fossile et à l’industrie pourraient augmenter de 2,7% en 2018 selon les dernières estimations du Global Carbon Project.
  11. « Ambition dans les réductions d’émissions. Ambition dans l’adaptation. Ambition dans le financement. Ambition dans la coopération technique. Ambition dans l’innovation technologique. » 

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