Chargé de recherches du Fonds de la recherche scientifique (F.R.S.-FNRS) au Centre d’Études du Développement Durable, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Paris, octobre 2015. Quelques semaines avant la COP21, les pays développés publient un rapport conjoint(1) visant à fournir des « informations claires et rassurantes » sur le respect de leur engagement – pris en 2009 lors de la COP15 de Copenhague – de mobiliser annuellement 100 milliards de dollars d’ici 2020 pour aider les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à faire face aux impacts du changement climatique.
Le respect de cet engagement est en bonne voie, soulignent-ils, indiquant qu’en 2014, ils ont réussi à mobiliser environ 62 milliards de dollars. Un optimisme douché par le ministère indien des Finances qui publie fin novembre 2015 une réponse cinglante(2) audit rapport. Selon les estimations du ministère, le financement climatique international atteignait 2,2 milliards de dollars en 2014, et non 62 milliards.
À l’approche de la COP24 qui s’ouvre ce dimanche à Katowice (Pologne), la Commission européenne(3), la Banque mondiale(4) et d’autres bailleurs de fonds internationaux rivalisent de chiffres mettant en évidence l’ampleur de leurs engagements financiers en faveur de l’action climatique dans les pays en développement.
Le World Resources Institute, un influent think tank aux positions proches de celles des pays développés, vient de publier un communiqué(5) se réjouissant du fait que le financement climatique international a dépassé les 70 milliards de dollars en 2016 et que les pays développés sont en bonne voie d’atteindre les 100 milliards de dollars en 2020.
Ces chiffres doivent toutefois être considérés avec la plus grande circonspection. Et ils ne manqueront pas d’être contestés par des représentants de pays en développement et d’organisations de solidarité internationale.
Des promesses très vagues
Les controverses relatives au respect des promesses de financement climatique hantent les négociations onusiennes sur le climat depuis leurs débuts, dans les années 1990. Ces controverses trouvent notamment leur origine dans le caractère peu précis des objectifs formulés, ce qui rend impossible l’évaluation impartiale de l’atteinte de ces objectifs.
Abondamment célébrée par de nombreux observateurs, la promesse de mobilisation de 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020 a parfois été comparée, en ordre de grandeur, à l’ensemble des flux annuels d’aide publique au développement, qui se montaient en 2017 à 147 milliards de dollars(6).
Les 100 milliards de dollars à mobiliser sont-ils censés s’ajouter à l’aide publique au développement ?
Les promesses financières formulées en 2009 à Copenhague sont cependant extrêmement floues. Les 100 milliards de dollars à mobiliser sont-ils censés s’ajouter à l’aide publique au développement ? Remplacent-ils les promesses précédentes en matière de financement climatique ?
Les négociateurs n’ont en fait déterminé aucun point de référence qui permettrait de juger du respect de cette promesse de mobilisation financière. Cet état de fait est particulièrement problématique : si l’on s’autorise une comparaison avec les engagements en matière d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, la situation actuelle reviendrait pour les pays développés à collectivement s’engager à réduire leurs émissions de 40% d’ici à 2020… sans indiquer si cette réduction se réfère à leurs émissions de 1990 ou de 2005 !
Les autres paramètres des promesses financières de Copenhague sont tout aussi imprécis. Ainsi, les montants mobilisés sont censés être répartis « de manière équilibrée entre l’atténuation et l’adaptation ». Mais que signifie une répartition « équilibrée » ? 50% pour l’adaptation et 50% pour l’atténuation ? Davantage pour l’atténuation sur le court terme et davantage pour l’adaptation sur le plus long terme ?
De même, le financement international visant l’adaptation est destiné « en priorité aux pays en développement les plus vulnérables, dont les pays les moins avancés, les petits États insulaires en développement et les pays d’Afrique ». Mais là encore, comment prioriser le financement entre les pays de ces trois catégories ? Et au-delà de ces trois catégories, quels sont les autres « pays en développement les plus vulnérables » ? Les pays dont l’économie est fortement tributaire de l’exploitation des hydrocarbures doivent-ils aussi être considérés comme « particulièrement vulnérables » et recevoir des financements visant leur adaptation à la transition bas carbone ?
Plus largement, les sources du financement climatique international souffrent du même flou, ce dernier étant censé provenir de « diverses sources, publiques et privées, bilatérales et multilatérales, y compris d’autres sources de financement ».
Cette imprécision s’oppose de façon manifeste aux bonnes pratiques en matière de prise d’engagements financiers auxquelles les pays développés ont souscrit en 2011(7). Cela n’aura toutefois pas empêché ces mêmes pays de promettre lors de la COP21 de poursuivre leur « objectif collectif actuel de mobilisation annuelle de 100 milliards de dollars jusqu’en 2025 » et de s’engager à établir avant 2025 un « nouvel objectif chiffré collectif à partir d’un niveau plancher de 100 milliards de dollars par an ».
Des méthodologies disparates
Ces controverses entourant le financement climatique international s’expliquent aussi par l’absence de méthodologie de comptabilisation établie sous la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
Chaque pays développé définit ce qu’il entend par « financement climatique », sans aucun contrôle par une tierce partie...
En l’absence d’une méthodologie commune, il existe quasiment autant de méthodes de comptabilisation du financement climatique que de pays donateurs !
Chaque pays développé définit ainsi ce qu’il entend par « financement climatique », sans aucun contrôle par une tierce partie. Pour ne donner qu’un exemple : le Japon a comptabilisé comme du financement climatique(8) le soutien – s’élevant à 3,2 milliards de dollars en 2013-2014 – qu’il a apporté à la construction de centrales électriques « efficientes » fonctionnant au charbon – un combustible très émetteur de gaz à effet de serre – dans des pays en développement.
Dans les pratiques de comptabilisation actuelles de la plupart des pays développés, l’entièreté du coût d’un projet mis en œuvre dans un pays en développement et comportant des objectifs d’atténuation et/ou d’adaptation est bien souvent rapportée comme du financement climatique à la CCNUCC. Le coût total de construction d’une école bâtie selon des normes de basse consommation d’énergie (isolation thermique, panneaux photovoltaïques, etc.) peut ainsi se retrouver comptabilisé, alors que seule une partie des investissements nécessaires à la construction de cette école vise l’atteinte d’un standard « basse énergie ».
Un don apparaît de la même façon qu’un prêt dans les données rapportées à la CCNUCC...
Plus frappant encore, la plupart des pays développés comptabilisent en « valeur nominale »(9) les financements climatiques qu’ils fournissent aux pays en développement. Cela signifie qu’un don apparaît de la même façon qu’un prêt dans les données rapportées à la CCNUCC – alors qu’un prêt devra être remboursé. Cette pratique « gonfle » les chiffres des pays donateurs octroyant principalement des prêts, en comparaison avec les pays qui fournissent la majorité de leur financement climatique sous la forme de dons.
Ces pratiques hétéroclites en matière de comptabilisation rendent impossible la comparaison des efforts des différents pays développés en matière de mobilisation de financement climatique international.
Vers la fin des controverses ?
Pour tenter de répondre à ces multiples lacunes méthodologiques, il avait été décidé lors de la COP21 de lancer de nouvelles négociations portant sur leur amélioration.
L’issue de ces négociations, censées aboutir à la COP24, est à ce jour hautement incertaine. Il faudra en effet une forte dose d’ingéniosité de la part des négociateurs pour sortir de l’impasse actuelle.
On imagine difficilement comment les négociateurs pourraient se mettre d’accord sur des règles de comptabilisation robustes alors que de telles règles rendraient l’objectif des 100 milliards de dollars à l’horizon 2020 difficile, voire impossible, à atteindre.
Sources / Notes
- Le financement climatique en 2013-2014 et l’objectif des 100 milliards de dollars, Rapport de l'OCDE.
- Climate Change Finance, Analysis of a Recent OECD Report, Ministère indien des Finances.
- The EU: a leader in global climate finance, Commission européenne.
- Page de la Banque mondiale sur la finance climatique.
- WRI Welcomes New UN Biennial Assessment of Climate Finance, 23 novembre 2018.
- L’aide au développement reste stable et les apports aux pays les plus pauvres augmentent en 2017, OCDE.
- Recommandation du CAD sur les bonnes pratiques pour la prise d'engagements, OCDE.
- Le financement climatique en 2013-2014 et l’objectif des 100 milliards de dollars, Rapport de l'OCDE.
- Ibid.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.