- AFP
- parue le
Au moment où la France veut muscler son nucléaire, EDF doit aussi faire face au défi du réchauffement climatique, qui lui impose déjà de réduire sa production et va l'obliger à adapter ses réacteurs aux hausses de température et au manque d'eau.
Dans une France qui veut prolonger ses réacteurs et construire jusqu'à 14 nouvelles unités, la Cour des comptes appelait, dans un rapport en mars, à renforcer l'adaptation du nucléaire aux canicules et sécheresses. "Les conséquences du changement climatique affectent les installations (résistance des matériels, compatibilité avec des conditions de travail acceptables) et l'environnement proche en lien avec l'exploitation (débit et température des cours d'eau mais aussi le niveau de la mer)", résumait Annie Podeur, présidente de la 2e chambre.
EDF assure avoir commencé à prendre en compte ces enjeux dès le premier rapport des experts du climat de l'ONU (Giec) en 1990, mais la canicule de 2003 a tout accéléré. Depuis, avec son "plan Grand Chaud", le groupe a entrepris d'améliorer la ventilation et la climatisation des bâtiments.
Mais au-delà du bâti, il y a surtout la question de l'eau que les centrales pompent en grande quantité, en rivière ou en mer, pour refroidir leurs systèmes, avant de la rejeter, plus chaude. D'ores et déjà, la hausse des températures peut conduire à des limitations de production sur les sites en bord de rivière pour ne pas dépasser les normes d'échauffement de ces cours d'eau et en protéger la faune et la flore. "Cela fait plusieurs années, qu'à partir de juin, il y a des ajustements de production" pour respecter ces limites, soulignait récemment devant la presse Cécile Laugier, directrice prospective et environnement du parc nucléaire d'EDF.
Revoir le cadre réglementaire ?
L'été 2022, 2e plus chaud jamais mesuré après 2003, n'a pas échappé à ces modulations. Mais pour la "première fois", un régime de dérogation exceptionnel a été mis en œuvre sur deux sites (Golfech et Bugey) pour continuer à produire alors que les seuils d'échauffement étaient atteints sur les fleuves. "C'est un signal important qui nous conduit nous et les pouvoirs publics à interroger le cadre réglementaire", estime Mme Laugier. "La modification" du cadre "ne peut constituer une réponse à elle seule", indique toutefois l'autorité de sûreté nucléaire, qui appelle surtout "à un approfondissement des connaissances scientifiques" d'EDF.
Les baisses de production à motif environnemental atteignent 0,3% par an depuis une vingtaine d'années. À l'horizon 2050, elles pourraient atteindre 1,5% de la production annuelle de 400. Déjà, le groupe compte "augmenter ses marges" en étendant les capacités de stockages des effluents, ces réservoirs mobilisés lorsque le niveau des rivières est trop bas pour permettre leurs rejets.
Économiser l'eau
En parallèle, EDF doit contribuer aux efforts d'économie d'eau alors que le refroidissement des centrales électriques est la troisième activité consommatrice d'eau douce (12%) en France, derrière l'agriculture et l'eau potable. En annonçant son Plan eau en mars, Emmanuel Macron avait appelé à engager "un vaste programme d'investissement" pour l'économiser et "permettre de fonctionner beaucoup plus en circuit fermé".
Comment ? En ajoutant aux réacteurs en circuit ouvert situés sur les fleuves, des tours de réfrigération reconnaissables à leurs volutes de vapeur. Une solution discutable, car cela supposerait des "modifications de grande ampleur", selon Cécile Laugier.
Les centrales à tours aéroréfrigérantes ont l'intérêt de prélever moins d'eau - 10 litres/kWh - que celles en circuits ouverts (170 l/kWh). Mais les premières sont de plus de grandes consommatrices, car une partie de l'eau finit en vapeur (environ 22% selon le ministère de la Transition écologique) - les autres restituant 100% au milieu.
EDF va donc tester fin 2023 au Bugey une innovation du Massachusetts Institute of Technology qui consiste à récupérer l'eau dans le panache en positionnant des panneaux générant de l'électricité statique.
EDF pourrait-il s'inspirer de pays soumis à fortes températures comme les Émirats arabes unis ou les États-Unis qui exploitent des réacteurs dans des zones désertiques ? "Les technologies utilisant moins d'eau utilisent en général plus d'espace" et "sont plus chères", prévient Mme Laugier. Quant au "dry cooling" (refroidissement à sec), il est pour l'instant écarté dans le nucléaire, du fait notamment du "besoin accru d'électricité pour la ventilation", souligne Mycle Schneider, coordinateur du rapport World Nuclear Industry Status Report.