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Joe Biden s'est engagé à adopter les mesures environnementales les plus strictes de l'histoire des États-Unis, mais ses ambitieux projets de loi semblent voués à l'échec en raison de la farouche opposition d'un sénateur qui a empoché une fortune grâce aux énergies fossiles.
Pierre angulaire de la politique du président américain : le Programme de performance dans le secteur de l'électricité (CEPP) d'un montant de 150 milliards de dollars, dont l'idée est de récompenser les services publics qui passent aux énergies renouvelables et de pénaliser les autres. Selon les experts, le CEPP réduirait la majorité des émissions de gaz à effet de serre liées à la production d'électricité, qui représentent environ un quart des émissions américaines.
Mais Joe Manchin, un démocrate centriste de Virginie-Occidentale, État riche en charbon, qui dirige la commission sénatoriale de l'énergie, crie au gaspillage de l'argent public. "Le sénateur Manchin a exprimé clairement ses inquiétudes sur l'utilisation des dollars des contribuables pour payer des entreprises privées afin qu'elles fassent ce qu'elles font déjà", a déclaré à l'AFP le directeur de la communication du démocrate. Joe Manchin "continue de soutenir les efforts pour combattre le changement climatique tout en protégeant l'indépendance énergétique américaine et en s'assurant de notre robustesse énergétique", a-t-il ajouté.
Pour être adopté, le projet de loi requiert le soutien de 60 des 100 sénateurs. Mais les républicains s'y opposent en bloc. Les démocrates peuvent avoir recours à la procédure dite de réconciliation, permettant d'adopter certaines mesures avec seulement 50 voix. Mais les démocrates ne disposent que d'une courte majorité, octroyant de facto à Joe Manchin un droit de veto.
Agé de 74 ans, le sénateur est ainsi devenu particulièrement influent dans les négociations sur le projet de loi historique, baptisé "Reconstruire en mieux" ("Build back better"), qui contient des dispositions sur le climat.
« Dernière chance »
Cette impasse est un vrai casse-tête pour le président à quelques jours de la COP26, le sommet climat à Glasgow en Écosse. Désireux de reconstruire la crédibilité des États-Unis en matière de lutte contre le changement climatique, minée par Donald Trump, il aimerait pouvoir mettre en avant un succès politique à l'occasion de cet événement mondial.
Le CEPP combiné aux crédits d'impôt pour l'énergie propre permettrait de remplir en grande partie l'objectif du président de réduire de 50%, d'ici 2030, les émissions de dioxyde de carbone des États-Unis comparées aux niveaux de 2005. La Maison Blanche a aussi en ligne de mire les élections de mi-mandat qui auront lieu dans un an.
La Virginie-Occidentale, où Joe Manchin est élu, est le deuxième État producteur de charbon après le Wyoming, selon les données du gouvernement. Elle produit 90% de son électricité à partir de ce carburant.
La publication du patrimoine financier du sénateur a révélé qu'il a reçu près d'un demi-million de dollars de dividendes provenant des actions d'Enersystems, la société de courtage de charbon qu'il a fondée et qui est maintenant dirigée par son fils. Les tarifs de l'électricité au charbon ont en outre plus que doublé au cours de la dernière décennie. Bien que Joe Manchin ait le soutien des mineurs et d'autres travailleurs du secteur énergétique traditionnel, il ne fait pas l'unanimité au sein de la population locale.
Car, note Jim Kotcon, président de la section environnementale locale du lobby Sierra Club, les habitants subissent des inondations de plus en plus graves en raison du changement climatique et paient des factures d'électricité toujours plus lourdes. La Maison Blanche s'efforce de trouver des voix alternatives pour obtenir le soutien de tous les démocrates, comme l'introduction d'une taxe carbone ou des crédits d'impôts supplémentaires pour l'énergie propre.
Elle a le soutien de la sénatrice du Minnesota, Tina Smith, bonne élève en matière d'énergie verte. Selon elle, le projet de loi est la "dernière chance" pour Washington de prendre des mesures efficaces contre les émissions de carbone. "Les crédits d'impôt pour l'énergie propre sont formidables, mais ils ne peuvent pas faire le gros du travail à eux seuls", a-t-elle souligné récemment.
Pour l'écologiste Bill McKibben, la position de Joe Manchin est le signal que "dans un avenir prévisible", aucune législation ne mettra véritablement fin à l'utilisation des énergies fossiles. Pour autant, avec quelques mesures aménagées, la Maison Blanche pourra prétendre que c'est "la plus grande législation climatique jamais adoptée par le Congrès", a-t-il opiné dans un blog le week-end dernier. "Mais ce sera aussi un échec".