La guerre en Ukraine, frein ou moteur de la transition énergétique?

  • AFP
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Le choc énergétique causé par la guerre en Ukraine fera-t-il passer au second plan les ambitions climatiques? Si à court terme le retour du charbon n'est plus tabou, l'"efficacité" et les renouvelables, clés de la transition énergétique, sont plus que jamais d'actualité pour réduire la dépendance à l'égard de la Russie.

- Le charbon plus tabou -

Alors que les États-Unis ont imposé un embargo sur le pétrole russe, les Européens et d'autres pays veulent réduire leur dépendance aux hydrocarbures russes et notamment au gaz.

Certains pays peuvent être tentés par le charbon - moyen le plus nocif pour le climat de produire de l'électricité.

Le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a estimé qu'il n'y avait "pas de tabou": des pays comme la Pologne pourraient utiliser plus longtemps le charbon, quitte à passer ensuite aux énergies renouvelables, sans transition par le gaz.

C'est "un changement total d'état d'esprit de l'UE envers le charbon", y voient les analystes de la banque RBC.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) n'a pas inclus le charbon dans son plan en 10 points pour réduire la dépendance européenne au gaz russe, en raison du climat, mais reconnaît que cela permettrait d'aller "plus vite et plus loin".

Ce constat intervient alors que la demande mondiale de charbon a déjà atteint en 2021 un niveau historique, nombre de pays dont la Chine le préférant au gaz, plus cher.

- Plus de renouvelables ? -

Il faut accélérer sur les renouvelables, électriques mais aussi biogaz, prônent AIE, UE, ONG...

Les investisseurs semblent approuver: les valeurs des entreprises du secteur ont fortement progressé ces derniers jours, très demandées sur des marchés par ailleurs bousculés.

"La situation en Ukraine renforce l'argument en faveur d'une transition du système énergétique vers un système basé sur une électricité propre, bon marché et sûre", souligne le gestionnaire d'actifs Schroders.

"Avec la hausse du prix des énergies conventionnelles, l'attractivité des renouvelables continue à croître. Même en incluant des coûts d'équipement accrus par des chaînes d'approvisionnement contraintes", analyse-t-il.

Sur le terrain, 2021 a vu un déploiement inédit des capacités solaires et éoliennes. Mais c'est insuffisant: il faudrait en installer chaque année quatre fois plus pour garder le réchauffement mondial à 1,5°C, selon l'AIE.

Quid aujourd'hui de l'impact du coût en minerais critiques comme le nickel (largement produit en Russie)? Quid des capacités d'investissement accrues de groupes pétro-gaziers bénéficiaires de prix jamais vus?

"J'observe que le changement climatique - qui était un sujet clé pour beaucoup - descend dans la liste des priorités", a prévenu mercredi le directeur de l'AIE, Fatih Birol.

"Certains pensent que nous avons ces problèmes de sécurité d'approvisionnement parce que nous nous sommes trop axés sur l'énergie propre. Pensée très dangereuse, mais qui gagne en popularité dans le monde (...) La sécurité énergétique est très importante, cela ne veut pas dire arrêter nos efforts en faveur de notre cause ultime", a-t-il mis en garde.

- Le retour de la chasse au "gaspi" -

Au-delà de l'approvisionnement, la demande est un puissant levier pour la transition. "C'est important de réfléchir à la manière de faire un peu la chasse au gaspi dans nos consommations énergétiques", juge le chercheur Nicolas Berghmans, de l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

L'idée, apparue après les chocs pétroliers des années 1970, revient en force. Et justement, l'essentiel des scénarios de transition imposent de l'efficacité énergétique ou des éléments de "sobriété".

Baisser d'un degré le chauffage permettrait d'économiser chaque année en France l'équivalent de 12-15 navires méthaniers, a rappelé la patronne de l'énergéticien français Engie, Catherine MacGregor.

L'UE compte aussi sur les mesures d'"efficacité" (moins consommer d'énergie pour le même résultat), par exemple en isolant les bâtiments ou en changeant le mode de chauffage.

Le bâtiment génère à lui seul un cinquième des émissions mondiales, surtout via le gaz, qui devra être réduit d'au moins 65% d'ici à 2040, soulignait mercredi le centre de recherche Climate Action Tracker.

Pour l'économiste Laurence Tubiana, le sommet européen jeudi et vendredi à Versailles sera "crucial". "C'est aux chefs d'État de poser une réponse à la hauteur et de définir un cap politique", a dit à l'AFP cette cheville ouvrière de l'accord climat de Paris.

Commentaires

Pierre B
Frein ou moteur, ce n'est pas la bonne question. Ce serait plutôt l'occasion d'etablir des priorités qui ne changent pas avec l'actualité. Qu'on parle de reduction des emissions de gaz à effet de serre, d'indépendance énergétique, de balance commerciale, d'économie, d'environnement ... ce sont toutes des priorités respectables, l'ennui c'est qu'elles se contrarient et qu'on ne l'avait pas vraiment expliqué au public. Autre question: toutes les mesures invoquées vont prendre un certain temps à se mettre en place. Et si la Russie et l'Ukraine trouvent un compromis avant ?

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