Hydrogène : « les positionnements des partis politiques sont souvent incohérents » selon Mikaa Blugeon-Mered

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Au cœur des enjeux de décarbonation et de réindustrialisation, la production d'hydrogène propre qui nécessite des investissements massifs, est envisagée très différemment selon les familles politiques en France, avec quelques incohérences, souligne Mikaa Blugeon-Mered, chargé d'enseignement en marchés et géopolitique de l'hydrogène à Sciences Po Paris.

Le jour de l'inauguration de la plus grosse usine d'électrolyseurs par McPhy à Belfort, et avant des élections législatives cruciales pour l'avenir du pays, comment se situent les partis politiques vis-à-vis de l'hydrogène et des investissements gigantesques nécessaires pour financer les infrastructures qui permettront la décarbonation de l'industrie et des transports lourds ?

"La filière hydrogène attend une nouvelle stratégie gouvernementale depuis plus d'un an. Elle devait être publiée à l'été mais la dissolution prolonge l'incertitude du secteur, pile au moment où la concurrence mondiale accélère et alors que la France est déjà en retard sur ses objectifs fixés en 2020. Sur l'hydrogène, les positionnements des partis politiques sont souvent incohérents".

Quelle est la position du gouvernement et du camp macroniste ?

"En 2017-2018, Nicolas Hulot bataillait contre Bercy pour financer son plan hydrogène et n'a obtenu que 100 millions d'euros. Après le Covid, le gouvernement a favorisé l'hydrogène comme un vecteur de relance avec une stratégie à 7 milliards d'euros en 2020, rallongés de 1,9 milliard en 2021. Cette politique porte ses fruits avec l'ouverture des premières giga-usines. Mais le prix des molécules +made in France+ reste trop élevé pour les utilisateurs. Depuis décembre 2023, le gouvernement finalisait une nouvelle stratégie nationale hydrogène avec de petits réajustements en faveur d'un soutien aux utilisateurs. Il prévoyait de porter l'objectif de produire 6,5 GW de capacité d'électrolyse en 2030, à 10 GW en 2035. Mais tout cela est insuffisant pour la filière et a peu de chances de survivre aux prochaines législatives."

Quelle sont les positions à droite et à l'extrême droite ?

"Le RN soutient la filière depuis longtemps. Marine Le Pen en parle depuis 2011 et l'hydrogène était, en 2022, l'autre pilier de son programme énergétique, après le nucléaire. Toutefois, le discours du RN varie selon les territoires, au point d'être incohérent. Le parti appelle à un moratoire sur l'éolien et le solaire tout en présentant l'hydrogène comme une solution écologique et locale, alors même qu'il faut énormément d'éoliennes et de panneaux solaires pour produire de l'hydrogène vert et local, surtout Outre-mer. Ils militent donc pour un couplage hydrogène et nucléaire, mais cela coûterait trop cher pour le consommateur. Enfin, ils n'expliquent pas comment le financer, mis à part l'évocation imprécise d'un fonds souverain énergies de 500 milliards d'euros, ponctionné sur l'épargne des ménages et bien en-dessous des besoins futurs.

Chez LR, pas de cohérence. Les présidents de régions LR sont très actifs et s'appuient grandement sur des financements européens, notamment en Grand Est et en Auvergne-Rhône-Alpes (Aura) dont la première stratégie hydrogène date de 2016, avec plus de la moitié des emplois français liés à l'hydrogène implantés sur ces territoires. Mais, durant la campagne pour les européennes, François-Xavier Bellamy réfutait l'intérêt de l'hydrogène au motif que notre mix électrique était déjà assez décarboné".

Et le bloc de gauche ?

"Il y a de vrais antagonismes aussi. Chez Les Écologistes, on trouve des pro-hydrogène qui veulent le développer pour permettre le stockage des énergies renouvelables et ainsi combler leur intermittence, et une frange opposée qui juge que la production d'hydrogène trop carbonée et n'est que le faux nez des lobbys pétro-gaziers.

Chez les Insoumis, de 2017 à 2022, le parti a milité en faveur de l'hydrogène vert, en particulier pour les transports. Jean-Luc Mélenchon l'évoque de longue date, allant jusqu'à parler d'+énergie inépuisable+. Toutefois, depuis fin 2022, dans le cadre de la Nupes, l'hydrogène est désormais plutôt rejeté, présenté comme un +cheval de Troie+ du nucléaire et/ou des multinationales en raison des besoins intenses en capitaux pour le développer.

Au PS, on trouve aussi des désaccords profonds entre ceux qui préfèrent investir sur le couple nucléaire/renouvelables et ceux qui développent des écosystèmes renouvelables/hydrogène régionaux puissants, comme la métropole de Nantes, ou les dirigeants des régions Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, ou encore Bourgogne-Franche-Comté et qui veulent chacun faire de leur territoire un leader de l'hydrogène."

Commentaires

Vincent

N'oublions pas de rappeler que sauf à renoncer d'utiliser de l'acier et de tous réduire drastiquement notre consommation de viande, nous aurons besoin d'hydrogène au moins pour subvenir aux besoins de la sidérurgie et de l'agriculture.
Par ailleurs, pas de décarbonation du maritime ni de l'aérien sans hydrogène (tout en réduisant fortement le trafic sur ce dernier secteur, sans quoi il absorbera l'intégralité de la production, au détriment des autres secteurs bien plus indispensables à nos sociétés).

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