Pourquoi le prix du gaz augmente-t-il fortement ce 1er juillet et est-ce justifié ?

Boris Solier

Maître de conférences en économie à l’Université de Montpellier (UMR ART-Dev)
Responsable du Master Économie de l’Énergie 

La commission de régulation de l’énergie (CRE) a annoncé le 10 juin 2024(1) une hausse de 11,7% en moyenne de son prix repère de vente du gaz (PRVG) pour les consommateurs résidentiels à partir du 1er juillet prochain. L’information a eu pour effet de raviver les débats autour de la formation des prix de l’énergie, l’un des thèmes centraux de la campagne des législatives dominée par la question du pouvoir d’achat. 

Le PRVG est un indicateur publié mensuellement par la CRE depuis la disparition des tarifs réglementés de vente en juillet 2023. Il reflète les coûts moyens de fourniture du gaz au consommateur final et permet d’orienter ce dernier dans le choix d’une offre de marché. Le prix de vente payé par le consommateur demeure toutefois librement déterminé par le fournisseur. 

Environ 6 millions de consommateurs résidentiels sur les 10,5 millions de clients raccordés aux réseaux de distribution (soit 57%) possèdent une offre indexée sur le PRVG (ou sur la référence de coût d’approvisionnement incluse dans le PRVG). Les autres consommateurs paient un prix du kWh qui peut être soit un prix fixe (pour une période d’un à quatre ans), soit un prix indexé sur le prix du marché de gros, ou qui varie selon une formule propre à chaque fournisseur.

Une approche par « empilement » des coûts pour la fixation du PRVG

La méthodologie de calcul du PRVG a évolué au 1er juillet 2024 afin de mieux prendre en compte la réalité des coûts supportés par les fournisseurs. Le PRVG est désormais déterminé à partir de la méthode dite de « l’empilement » des différents coûts associés à l’activité de fourniture du gaz :

  • le coût d’approvisionnement à terme sur le marché de gros français, qui évolue mensuellement(2) ;
  • les coûts des réseaux de transport et de distribution (fixés par la CRE), qui évoluent respectivement au 1er avril et au 1er juillet de chaque année et les coûts du stockage ;
  • les coûts de commercialisation qui incluent la marge du fournisseur et le coût lié aux certificats d’économie d’énergie (CEE) ;
  • les taxes qui comprennent la contribution tarifaire d’acheminement (CTA), l’accise sur le gaz (fixée à 16,37 euros par MWh depuis le 1er janvier 2024) et la taxe sur la valeur ajoutée (dont le taux est de 5,5% sur la part abonnement et la CTA et de 20% sur la part variable)

Le PRVG s’établit au 1er juillet 2024 à 129,2 euros TTC le MWh en moyenne, contre 115,7 euros le mois précédent (soit une hausse de 13,5 € par MWh). Cela représente un coût supplémentaire d’environ 160 € TTC à l’année pour un consommateur se chauffant au gaz. Les coûts de fourniture comptent pour 40% de la facture TTC (qui atteint 1509 €), tandis que les coûts d’acheminent et les taxes représentent chacun 30% du montant total. 

Structure de la facture annuelle d’un consommateur de gaz au 1er juillet 2024 (pour un volume consommé de 12 MWh par an)

Postes

Montant en €

Part en %

Coûts de fourniture

590

39,0%

Coût d'approvisionnement

386

 

Coût de commercialisation

82

 

Marge et risque

42

 

Coût des CEE

78

 

Coûts des réseaux

460

30,5%

Transport et stockage

147

 

Distribution

313

 

Total HT

1049

69,5%

CTA

44

 

TICGN

196

 

TVA

220

 

Taxes

460

30,5%

Total TTC

1509

 

Total TTC en €/MWh

126

 

Source : calculs de l’auteur à partir des données de la CRE

Pourquoi le prix du gaz augmente-t-il fortement au 1er juillet ? 

Plus de la moitié de la hausse du PRVG (55%) résulte de l’entrée en vigueur au 1er juillet du nouveau tarif des réseaux de distribution de gaz (ATRD7) pour la période 2024-2027. Ce tarif est en hausse de 27,5% en moyenne, dans un contexte de forte baisse des volumes de gaz consommés et de nouveaux investissements à financer afin de permettre l’intégration de la production de biogaz dans les réseaux de distribution (dont les coûts sont estimés entre 6 et 10 milliards d’euros à l’horizon 2050). Le raccordement des producteurs de biogaz est coûteux car les sites de production sont dispersés sur le territoire, à la différence des points d’entrée du gaz fossile qui sont peu nombreux. Et ces coûts sont en grande partie couverts par le gestionnaire du réseau de distribution (GRDF) afin de soutenir le développement de la production de biogaz.

L’augmentation du PRVG est due ensuite à près de 40% à celle du prix du gaz sur les marchés de gros et à 6% à celle du coût des certificats d’économie d’énergie. Les prix de gros du gaz avaient fortement chuté à partir de fin 2022 mais ils augmentent régulièrement depuis le printemps 2024 (ils se situent autour de 35 € le MWh pour le mois de juillet, contre 25 € en février 2024). Cela tient pour l’essentiel aux tensions actuelles sur l’approvisionnement en gaz de l’Europe (et notamment à la baisse des livraisons en provenance de Norvège) en période de remplissage des stocks. Notons que le coût d’approvisionnement reste tout de même inférieur de près de 30% à celui de janvier, ce qui explique que le niveau du PRVG soit plus faible comparé à celui en vigueur début 2024.

La plupart des consommateurs résidentiels devraient donc voir leur facture de gaz augmenter à partir du 1er juillet mais dans des proportions différentes qui dépendent des caractéristiques de leur contrat. Les clients qui détiennent une offre à prix fixe sont les mieux protégés car ils ne subiront pas la hausse des prix de gros. Ces contrats prévoient néanmoins le plus souvent que le fournisseur puisse répercuter sur le consommateur l’évolution annuelle du coût des réseaux et celle des taxes. 

La hausse du tarif des réseaux de distribution est-elle justifiée ?

La CRE a fixé au mois de janvier 2024 le nouveau tarif ATRD qui s’applique à partir du 1er juillet pour une durée de quatre ans(3). La structure de l’ATRD a évolué pour refléter les orientations de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui prévoit à la fois une diminution de la consommation de gaz fossile et une augmentation de la production de biogaz (dont l’objectif est de 14 à 22 TWh injectés d’ici 2028 contre 12 TWh fin 2023). 

La décision de la CRE aboutit à une augmentation moyenne de 27,5% du tarif de l’ATRD, dont près des trois quarts proviennent d’un effet de rattrapage dû aux recettes plus faibles que prévu lors de la précédente période tarifaire. La consommation a en effet fortement baissé à la suite de la crise du Covid et du conflit entre l’Ukraine et la Russie et demeure encore aujourd’hui inférieure de 20% au niveau de 2019. Sur cette période, le tarif des réseaux est resté relativement stable du fait du plafonnement de son évolution annuelle, ce qui n’a pas permis à GRDF de couvrir l’ensemble de ses coûts. Il est donc logique que ces pertes d’exploitation soient reportées sur le prochain tarif. 

Les effets spécifiques au nouveau tarif ATRD comptent pour un peu plus du quart de la hausse. Ils sont très largement liés aux prévisions de baisse de la demande au cours de la période tarifaire, les charges à couvrir se répartissant sur un volume plus faible de consommation. L’évolution de ces charges a été limitée par la CRE par rapport aux demandes de GRDF. Elles représentent au total 3 656 millions d’euros par an sur la période 2024-2027 (contre 3 320 millions d’euros en 2022), en hausse de 10% (contre 18% demandés par le GRDF). Les charges d’exploitation en particulier augmentent de 9%, soit un rythme légèrement inférieur à celui de l’inflation. Elles progressent notamment au niveau des charges de personnels (mais aussi au niveau des charges liées à la sécurité et à la maintenance). Le tarif intègre par ailleurs les gains attendus associés au déploiement du compteur communiquant Gazpar. 

D’autres dispositions visent à adapter le tarif de l’ATRD aux évolutions à venir concernant les réseaux de distribution. Le calcul du coût moyen pondéré du capital (CMPC) a évolué pour mieux prendre en compte les tendances récentes d’évolution des taux d’intérêt et non plus uniquement les taux historiques. Une décision cohérente compte tenu de la réduction attendue des durées d’amortissement des actifs, en lien avec les objectifs de transition énergétique. Cela se traduit par une légère baisse du CMPC qui passe de 4,1 à 4% (taux réel avant impôt). La CRE a introduit par ailleurs un nouveau terme tarifaire qui tient compte du débit des gros consommateurs afin de mieux refléter les coûts associés aux usages du gaz comme énergie d’appoint, qui sont appelés à se développer.

Vers des actifs échoués pour le réseau de distribution de gaz à moyen terme ?

La consommation de gaz devrait continuer à baisser dans les années à venir pour atteindre les objectifs de neutralité climatique à 2050. Un nombre croissant d’usages sont appelés à basculer vers l’électricité, dont la part dans la consommation finale devrait fortement augmenter (elle devrait atteindre 55% à l’horizon 2050, contre 25% actuellement). La baisse des consommations de gaz fossile importé (-40% d’ici à 2030) ne pourra du reste être qu’en partie compensée par le développement de la production de biogaz (qui pourrait atteindre 44 TWh injecté en 2030, ce qui correspond à une part minimale de 15% de biogaz dans les réseaux(4)).  

Doit-on dans ce contexte poursuivre les investissements dans les réseaux de gaz dont la valeur est appelée à se réduire du fait de l’abandon progressif des énergies fossiles ? Le risque en effet est que ces investissements ne représentent des coûts échoués à moyen terme. Les travaux de prospective réalisés par la CRE sur l’avenir des infrastructures gazières(5) tendent à monter que seuls certains actifs du réseau de distribution pourront être abandonnés localement, compte tenu de la décroissance attendue de la demande. Au niveau national, l’essentiel du réseau de distribution demeurera nécessaire à l’horizon 2050 afin d’acheminer la production de biogaz, y compris dans les scénarios les plus pessimistes en termes d’évolution de la demande. 

Quoi qu’il en soit, la consommation devrait se réduire plus rapidement que les charges des opérateurs dans les prochaines années et il faut donc s’attendre à de nouvelles hausses des tarifs ATRD à l’avenir. La structure du tarif des réseaux de distribution en particulier devra évoluer et notamment la répartition dans le temps des charges de capital afin de ne pas faire supporter aux futurs consommateurs des coûts trop importants. 

Sources / Notes

  1. La CRE publie son Prix Repère de Vente de Gaz naturel (PRVG) pour le mois de juillet 2024, 10 juin 2024.
  2. Le coût d’approvisionnement pris en compte dans le calcul du PRVG est une moyenne pondérée des prix à terme sur le marché du gaz français publiés par EEX pour la période considérée. Il est composé à 80% de la moyenne des prix du contrat futur à deux mois et à 20% de la moyenne des prix du contrat futur pour le trimestre à venir
  3. Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 25 janvier 2024 portant projet de décision sur le tarif péréqué d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel de GRDF.
  4. Ministère de la transition énergétique, Stratégie française pour l’énergie et le climat, 2023.
  5. CRE, Avenir des infrastructures gazières aux horizons 2030 et 2050, dans un contexte d’atteinte de la neutralité climatique, 2023.
     

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