L’empreinte carbone : l’interprétation erronée du RN...

Christian de Perthuis

Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL

Fondateur de la Chaire Économie du Climat

Le mot « climat » n’apparaît ni dans les 22 propositions de Marine Le Pen pour l'élection présidentielle de 2022, ni dans le programme de Jordan Bardella pour les législatives.

En revanche, le terme « Empreinte carbone » a été introduit dans celui de Jordan Bardella Dans le débat public, il est abondamment utilisé par les candidats du RN pour rejeter toute contrainte, réglementaire ou budgétaire, introduite au nom de l’action climatique, et justifier une « écologie du bon sens » basée sur la systématisation de la préférence nationale.

Cette utilisation dévoyée du concept d’empreinte est d’autant plus pernicieuse qu’une grande partie de nos concitoyens sont effectivement persuadés que les émissions que nous réduisons en France se retrouveraient automatiquement dans celles de pays extérieurs, notamment la Chine. Comme dans un mécanismes de vases communicants, nous réimporterions ces émissions, via les achats de biens à l’étranger. D’où une empreinte carbone qui ne diminuerait pas alors même que nous réduisons les émissions sur le territoire.

Cette image d’Epinal ne correspond pas à la réalité. Depuis 2005, la baisse des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire a bien entrainé une baisse de notre empreinte. Le bon critère pour faire baisser les émissions n’est pas l’origine nationale ou étrangère des produits consommés. Retour rapide sur le concept d’empreinte carbone et son utilisation erronée par le RN dans le débat public.

L’empreinte carbone de la France est supérieure à ses émissions territoriales

L’empreinte carbone d’un pays est obtenue en ajoutant aux émissions observées sur le territoire national – en France, les émissions de l’inventaire national calculées par le CITEPA – celles qui sont incorporées dans les biens et services importés et en retranchant les émissions résultant de la production sur notre territoire de biens ensuite exportés.

Toutes les travaux sur la question montrent que l’empreinte carbone de la France est supérieure aux émissions territoriales. Mais l’ampleur de l’écart diffère suivant les estimations car le calcul de l’empreinte pose de nombreuses difficultés méthodologiques, comme le rappelle une étude de l’INSEE(1).

Pour les trois principaux gaz à effet de serre (CO2, CH4 et N2O), l’empreinte carbone est par exemple estimés à plus de 9 tonnes d’équivalent CO2 en 2022 par les statistiques du Ministère de l’écologie mais à 8 tonnes par une enquête réalisée par le CITEPA et l’Association Bas Carbone. Dans les deux cas, c’est nettement supérieur aux émissions sur le territoire national qui s’élèvent à 5,8 tonnes par habitant la même année.

Pour le seul CO2 (hors changement d’usage des terres), on dispose de plusieurs bases de données internationales, dont celle du Global Carbon Budget qui fait référence. Les émissions territoriales de l’année 2021 y sont estimées à 4,5 tonnes de CO2 par habitant et l’empreinte carbone à 6,2 tonnes par habitant. On retrouve donc un écart un peu inférieur à 2 tonnes par habitant.

Depuis 2005, baisses parallèles de l’empreinte et des émissions territoriales

Il est cependant tout à fait erroné d’en déduire que nos baisses d’émissions sur le territoire national ne servent à rien. Depuis 2005, notre pays, comme l’ensemble de nos partenaires européens, réduit à la fois ses émissions sur le territoire et son empreinte.

La baisse des émissions sur le territoire n’est donc pas un transfert d’émissions vers l’extérieur, mais bien un gain pour le climat. Comme le montre le graphique ci-dessus portant sur le seul CO2, ces gains n’ont pas été obtenus par de la décroissance, mais en déconnectant partiellement l’évolution de notre empreinte et de nos émissions de celle du PIB.

L’enjeu d’ici 2030 est d’accélérer cette baisse des émissions et de l’empreinte pour atteindre nos objectifs climatiques fixés en cohérence avec le Pacte vert européen. La bonne voie pour y parvenir n’est pas le repli sur soi au nom de la préférence nationale. C’est de mettre en place les outils économiques et réglementaires réduisant les émissions en veillant, bien plus que dans le passé, à réduire les inégalités qu’aggrave désormais la réalité du réchauffement climatique. La bonne réponse face au défi climatique est de fédérer les forces de progrès pour une transition juste.

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Commentaire

Rochain Serge
Exact Monsieur de Perthuis Serge Rochain
Serge Rochain
Cependant il faut remarquer que la baisse de l'emprunt carbone et des émissions de GES qui s'amorce en 2005 ne doivent rien au nucléaire puisque les derniers réacteurs ont été mis en service en 2002 et sont les paliers N4 de Civeaux. Serge Rochain
Hervé
Si la consommation totale baisse sous la forme d'une diminution de consommation d’hydrocarbures, par exemple par la fermeture d'usines alors la part du nucléaire, à production constante augment mécaniquement (tout comme celle des ENR) . Par exemple, L'Allemagne doit battre des records de décarbonation ces temps ci, grâce à la perte rapide de ses industries énergivores... Le "retour au silex" est une bonne option pour décarboner, fusse t il que ce soit accepté par les populations, en démocratie les urnes vont trancher...
Serge Rochain
Si l'industrie se contente de changer son mode d'approvisionnement en énergie en remplaçant petit à petit ses ressources énergétiques issues du charbon par des solutions à parit du gaz moins emetteur de GES, ou, mieux encore par du renouvelable, comme le fait l'Allemagne depuis 1990. Les émissions de GES baissent sans pour autant retourner au silex, voir augmenter sa production de richesses : https://www.cleanenergywire.org/factsheets/germanys-energy-consumption-and-power-mix-charts Vous ne devez pas lire les bons graphiques de leur évolution.
Hervé
J'ai quelques doutes sur le coté "vert" du gaz, notamment le gaz de schistes liquéfié importé des états unis. Entre les fuites, le torchage, transport... https://www.connaissancedesenergies.org/gnl-americain-le-nouveau-piege-qui-guette-lue-240426. Certes on peut le verdir un peu en ajoutant des ENR, mais bon, c'est pas miraculeux. L’Allemagne que vous citez reste un gros émetteur net de GES. https://allemagne-energies.com/bilans-energetiques/. Les résultats dépendent de plusieurs facteurs, dont la ressource en ENR exploitables et sa corrélation avec les besoins énergétiques, le tout dans un contexte de concurrence internationale. MAIS la crise en Ukraine a bien "aidé" l'industrie allemande à réduire ses émissions ( https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/03/21/en-allemagne-l-ambivalence-de-la-baisse-des-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre_6223214_3244.html ) Je plaisantait en parlant de retour au silex, cela dit un retour au silex serait bien plus efficace, CF bilan carbone des occupants de certaines régions considérées par certains comme "non civilisées", ... ou "en avance" par d'autres...
Serge Rochain
Moi je n'ai aucun doute sur le fait que le gaz, même de schiste soit plus vert (ou moins noir si vous préférez) que le charbon, car je fais confiance aux études scientifiques qui l'affirlent et dont je ne connais que le resultat. Que l'Allemagne reste un gros emetteur de GES n'est pas un scoop, ce qui le serait c'est qu'ils soient aujourd'hui plus émetteurs de ces GES que ce qu'ils étaient lorsqu'ils utilisaient le nucléaire dans leur mixe electrique. Si vous en doutez je peux fournir pour la Nieme fois les statistiques officielles qui vous éclaireont sur le sujet : https://www.cleanenergywire.org/factsheets/germanys-energy-consumption-and-power-mix-charts Quant à chercher des poux à l'Allemagne à propos de la crise en Ukraine (comme vous dites) il semble bien que depuis cette crise, la France reste le principal importateur de gaz russe : https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/gaz-russe-la-france-championne-deurope-des-importations-malgre-la-guerre-2088503 Au plaisir de vous relire. Serge Rochain
TRUCHON
Il serait intéressant de suivre un autre indicateur : l'empreinte + les émissions résultant de la production sur notre territoire de biens ensuite exportés. Je sais bien l'objection qui pourra être formulée contre cet indicateur : en effet, cela revient à compter 2 fois ces dernières émissions, une fois en France et une autre fois dans les pays qui importent nos produits. Il n'empêche que ces produits exportés sont bel et bien produits sur notre sol et les soustraire de l'empreinte carbone n'incite pas à en réduire l'impact : si ces produits étaient fabriqués avec du charbon, cela n'aurait aucun impact sur notre empreinte carbone puisqu'on ne les compte pas. A contrario, l'impact de ces produits n'est-il pas pris en compte dans le calcul des "émissions par habitant" sur le sol français ?
Hervé
Oui, mais il faut aussi considérer la triche aux réglementations qui est institutionnalisée dans certains pays dits "à bas couts". Rien de garantit qu'un lot de produits classés "bas carbone" aient bien été fabriqués par un process "bas carbone". L'argent n'a pas d'odeur, le co2 qui a permis de fabriquer l'aluminium... non plus... Quand on voit toutes les fraudes au marquage CE qui passent au travers des filtres alors que c'est très facile à détecter, pour les GES ça va être du spectaculaire... Du coup le bilan territorial reste un bon indicateur, qui réponds plus à votre remarque malgré son coté limité...

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