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Des énergéticiens espagnol et italien, un géant néerlandais de la bière, un négoce agricole français et un industriel allemand prévoient de construire en commun leur première usine d'engrais bas carbone, en France, pour échapper à la dépendance russe et réduire la pollution de CO2 de l'agriculture.
Décision finale d'investissement attendue fin 2026
FertigHy, consortium européen créé en juin 2023, a décrit à l'AFP avant son annonce lundi au sommet "Choose France" autour d'Emmanuel Macron son projet d'implantation d'une usine dans les Hauts-de-France d'ici 2030, afin de produire "500 000 tonnes d'engrais azoté décarboné" par an, soit "15% de la consommation française".
L'usine sera à Languevoisin (Somme), selon le ministre français Roland Lescure dans la Tribune Dimanche.
Le projet est estimé à 1,3 milliard d'euros et devrait créer "environ 250 emplois directs", selon FertigHy, invité au sommet organisé chaque année au château de Versailles par le gouvernement français pour attirer des investissements étrangers. La décision finale d'investissement est attendue fin 2026.
De nombreux actionnaires
Diego Pavia, dirigeant du fonds d'investissement privé EITinnoEnergy spécialisé dans l'innovation au service de la transition énergétique et l'un des actionnaires fondateurs de FertigHy, fait partie des invités à un dîner lundi autour du président français et de patrons étrangers.
Les autres actionnaires de FertigHy sont une palette d'acteurs européens de l'énergie et de l'agroalimentaire. On y trouve le spécialiste espagnol de l'énergie solaire RIC Energy, l'entreprise d'ingénierie italienne Maire Tecnimont; l'Allemand Siemens Financial Services; le groupe de négoce agricole français In Vivo qui a racheté récemment le premier collecteur privé de céréales en Europe, le groupe Soufflet; et le brasseur néerlandais Heineken.
Ce dernier est fortement motivé par le projet, s'étant engagé à "réduire ses émissions indirectes de CO2" (scope 3), celles de ses fournisseurs, les agriculteurs producteurs d'orge et utilisateurs d'engrais azoté, explique à l'AFP Jose Antonio de las Heras Alonso, directeur général de FertigHy.
À sa création, l'an passé, FertigHy avait annoncé que sa première usine serait en Espagne. Mais le consortium a "changé ses priorités", car l'interconnexion au réseau électrique "prend un peu plus de temps qu'en France", où FertigHy a reçu des assurances de disponibilité du réseau à haute tension.
Électricité, matière première de base
Car pour produire en version décarbonée de l'engrais azoté ammonitrate 27 (ou CAN27), très utilisé en grandes cultures, l'électricité devient la matière première de base, en remplacement du gaz naturel.
Au lieu de combiner l'azote de l'air et l'hydrogène extrait du gaz naturel - recette traditionnelle de l'engrais dit "gris" - le fertilisant bas carbone misera sur de l'hydrogène issu de l'électrolyse de l'eau, avec une machine qui ne rejette pas de CO2 dans l'air.
Pour M. de las Heras Alonso, le projet est une "feuille de route pour la souveraineté européenne". Une façon de décarboner l'agriculture tout en s'affranchissant de la dépendance au gaz et aux engrais russes.
La Russie, premier exportateur mondial
En Europe, le secteur agricole est responsable de plus de 10% des émissions de gaz à effet de serre, avec plus de 11 millions de tonnes d'engrais azoté (à base de gaz) utilisé chaque année, souligne FertigHy. Et il dépend fortement des engrais azotés russes, la Russie en étant le premier exportateur mondial, selon la FAO.
Rien qu'en France, les importations d'engrais de Russie ont atteint "plus de 725 000 tonnes sur 11 mois en 2023 contre 442 000 tonnes avant le déclenchement de la guerre en Ukraine", selon le député d'Ille-et-Vilaine Jean-Luc Bourgeaux.
Reste à résoudre l'équation du prix. Admettant qu'il sera "plus cher" que l'engrais "gris", FertigHy estime pouvoir rester compétitif.
Car à partir de 2034, les importateurs d'engrais gris devront acquitter des taxes vertes selon les règles du mécanisme européen d'ajustement carbone aux frontières, ce qui augmentera mécaniquement leur prix, souligne le patron, ce qui "donnera une prime pour produire de l'engrais décarboné".
Mais il aura de la concurrence : le Norvégien Yara, géant européen des engrais azotés à base de gaz, affiche un objectif de 30% de sa production en décarboné en 2030.