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Les problèmes rencontrés sur un EPR en service en Chine tombent mal pour le groupe énergétique français EDF, qui espère de nouveaux chantiers pour son réacteur, mais aussi pour l'industrie chinoise, estiment des experts.
La chaîne américaine CNN a rapporté lundi une possible "fuite" dans la centrale de Taishan, dans le sud du pays.
EDF, qui est actionnaire à 30% de la centrale chinoise aux côtés du groupe national CGN, a fait état de la présence de "gaz rares" dans le circuit primaire du premier réacteur, après la dégradation de la gaine de quelques "crayons" contenant les pastilles d'uranium.
Le groupe en a été informé dès octobre mais, samedi dernier, les informations lui sont parvenues faisant état d'une hausse des concentrations de gaz.
La Chine s'est voulue rassurante mardi, affirmant que la radioactivité n'est pas "anormale" autour de la centrale.
Ce problème a alimenté lundi les critiques contre l'EPR, dont les chantiers en France, en Finlande et au Royaume-Uni sont marqués par des retards et des surcoûts.
"L'EPR, à l'épreuve de son fonctionnement, de sa sécurité réelle et de la démocratie, est une catastrophe. Stoppons ces projets !", a twitté l'eurodéputé écologiste Yannick Jadot.
"Le régulateur nucléaire chinois comme les entreprises françaises ont peut-être agi de mauvaise foi", en ne rendant pas immédiatement public le problème, estime Paul Dorfman, chercheur à l'University College London (UCL).
"Si c'est bien le cas, cette nouvelle débâcle pour l'EPR devrait avoir des conséquences importantes pour tout nouveau plan de construction d'EPR en France, au Royaume-Uni et dans le monde", selon l'expert.
Mais pour Nicolas Mazzucchi, de la Fondation pour la recherche stratégique, "il est beaucoup trop tôt pour tirer quelque conclusion que ce soit".
"Est-ce que c'est une question liée à une mauvaise prise en compte par l'autorité de sûreté (chinoise)? Est-ce que c'est un problème d'une nature qui reste à évaluer pour le réacteur lui-même? Pour l'instant toutes les questions restent ouvertes", souligne le chercheur.
- Pékin au défi -
Le problème révélé à Taishan intervient au moment où EDF, qui ne construit aujourd'hui qu'un seul EPR en France, celui de Flamanville (Manche), espère de nouveaux chantiers.
La France joue la prudence et veut attendre le démarrage de ce site, attendu au mieux pour la fin 2022 après de nombreux retards, pour se prononcer.
La décision de construire ou non six EPR supplémentaires incombera donc au prochain quinquennat. En attendant, EDF a remis récemment au gouvernement un dossier sur "la faisabilité et sur les conditions" d'un tel projet.
La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a pour sa part appelé mardi à ne pas prendre de décisions sur de futurs EPR à l'aune de la situation en Chine.
"Hâtons nous de réfléchir. Ne réagissons pas comme ça au premier événement qui arrive. Réfléchissons concrètement, sérieusement. Toutes les énergies ont des avantages et des inconvénients, regardons-les mais ne réagissons pas à chaud", a plaidé sur France Inter la ministre, opposante de longue date au nucléaire.
EDF discute aussi avec des pays européens comme la Pologne ou la République Tchèque. Le Royaume-Uni, où deux EPR sont déjà en cours de construction, envisage d'en commander deux de plus. Le groupe mène également des discussions avec l'Inde pour y installer une centrale géante avec six EPR sur le site de Jaitapur.
Avec l'EPR, EDF est en concurrence sur la scène internationale avec la Russie mais aussi avec la Chine qui a développé son propre réacteur.
Or la crédibilité de cette dernière pourrait bien être affectée par le problème rencontré à Taishan, estiment des experts.
"C'est une très mauvaise nouvelle en réalité pour le secteur du nucléaire chinois" qui "pourrait avoir une très mauvaise image internationale", estime Nicolas Mazzucchi.
Ce qui arrangerait au passage les Etats-Unis, en confrontation avec les Chinois, et "qui ont tout intérêt à leur taper dessus quand ils peuvent le faire", note-t-il.
Le problème à Taishan interroge aussi sur l'avenir du nucléaire en Chine, qui possède aujourd'hui le troisième parc nucléaire mondial.
Le développement de l'atome y est important mais reste limité à l'échelle du pays, une prudence liée à la catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima en 2011.
"En partie en raison de l'impact de Fukushima en Chine, l'acceptation publique de l'énergie nucléaire en Chine est volatile", souligne Mark Hibbs, spécialiste du nucléaire au Carnegie Endowment for International Peace.
"Les événements à Taishan mettent Pékin au défi d'expliquer les faits à sa population", estime l'expert.
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