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De nouveaux modèles scientifiques pointent un effet renforcé du dioxyde de carbone sur le climat, hypothéquant la possibilité d'atteindre les objectifs de l'Accord de Paris pour limiter le réchauffement, selon des scientifiques interrogés par l'AFP.
Ces modèles, élaborés par des équipes distinctes dans une demi-douzaine de pays, alimenteront les nouvelles projections des experts du GIEC attendues l'an prochain. Ils suggèrent que les effets du gaz carbonique, ou CO2, ont été sous-évalués.
D'après ces travaux menés par des institutions publiques américaines, britanniques, françaises ou canadiennes, des émissions de CO2 jusqu'ici associées à un réchauffement de trois degrés pourraient en fait faire monter la température de quatre, voire cinq degrés. "Nous avons aujourd'hui de meilleurs modèles, qui représentent plus précisément les tendances climatiques", souligne Olivier Boucher, directeur de l'institut français Pierre Simon Laplace qui, comme tous les chercheurs, bénéficie de l'augmentation des données disponibles et de la puissance de calcul depuis les dernières projections du GIEC en 2013.
Ces conclusions montrent qu'il "sera évidemment plus difficile d'atteindre les objectifs de Paris, que ce soit 1,5 ou 2 degrés" de réchauffement, fixés en 2015, souligne Mark Zelinka, du Lawrence Livermore National Laboratory de Californie, et auteur principal de la première évaluation de cette nouvelle génération de modèles climatiques, récemment publiée dans la revue Geophysical Research Letters.
Depuis plus d'un siècle, les scientifiques s'attaquent à une question d'apparence simple : si la quantité de CO2 dans l'atmosphère double, de combien se réchauffera la surface terrestre ? Mais définir exactement cette "sensibilité climatique" est difficile, en raison notamment de multiples variables, comme l'influence des océans et forêts et leur rôle de "puits à carbone", captant pour l'heure plus de la moitié des émission humaines.
L'inconnue des nuages
Autre grande inconnue jusqu'à présent : les nuages. "L'évolution des nuages dans un climat plus chaud et savoir s'ils auront un effet atténuateur ou amplifiant a longtemps constitué une source d'incertitude majeure", explique Joeri Rogelj, de l'Imperial College de Londres, chef de file du GIEC sur le "budget carbone", soit la quantité totale de gaz à effet de serre qui peut être émise sans dépasser une certaine élévation de la température.
Ces modèles pointent aux moins deux façons dont les nuages renforcerait l'impact du CO2. Tout d'abord, selon de nouvelles études, les nuages d'altitude dans la couche basse de l'atmosphère terrestre renforcent les radiations solaires, une dynamique elle-même accentuée par le réchauffement, explique M. Zelinka.
"Une autre grande incertitude était comment les nuages de basse altitude allaient changer, comme les stratocumulus, c'était le Saint Graal des modèles climatologiques," poursuit le chercheur. Or, les dernières recherches indiquent que le réchauffement fait baisser cette couverture nuageuse, qui réfléchit en conséquence moins les rayons solaires, diminuant d'autant son rôle réfléchissant.
Pendant la plupart des 10 000 dernières années, la concentration de CO2 dans l'atmosphère a été d'à peu près 280 parties par million (ppm). Mais sur cette période, la population mondiale est passée de quelques millions à 7,6 milliards et les émissions de CO2 ont connu une croissance exponentielle depuis le XIXe siècle et une révolution industrielle carburant aux énergies fossiles, pétrole, gaz et surtout charbon. Résultat, la concentration de CO2 est aujourd'hui de 412 ppm, soit une augmentation de 45%, dont la moitié dans les 30 dernières années.
Avec un seul degré de réchauffement global mesuré actuellement par rapport à l'ère pré-industrielle, le monde fait face à une recrudescence de phénomènes extrêmes, canicules, sécheresses, inondation ou cyclones.
Modèles dernier cri
Prix Nobel de chimie en 1903, le savant suédois Svante Arrhenius avait estimé qu'un doublement des concentrations de CO2 aurait pour conséquence un réchauffement de cinq ou six degrés, avant de ramener sa prévision à quatre. Et depuis les années 1970, le consensus scientifique évaluait la "sensibilité climatique" à trois degrés (avec un écart possible de 1,5), pour environ 560 ppm de CO2.
Le GIEC a élaboré quatre scénarios, dont le plus ambitieux respecte l'objectif de l'Accord de Paris de contenir le réchauffement "nettement en dessous de deux degrés" mais nécessite de réduire immédiatement les émissions de CO2 d'environ 10% par an. Le plus pessimiste verrait des parties de la Terre totalement inhabitables à la fin du siècle.
La plupart des experts considèrent déjà le premier comme hors d'atteinte, et le dernier peu probable, sauf si la planète se mettait elle-même à rejeter massivement le carbone déjà captif, par exemple en cas de fonte des terres habituellement gelées du permafrost. Restent les deux scénarios médians, baptisés RCP4.5 et RCP6.0. Le premier aboutit à une concentration de 538 ppm de CO2, le second à 670 ppm.
"Il y a un vif débat dans la communauté de la modélisation climatique", explique Johan Rockstrom, directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK). "Vous avez 12 ou 13 modèles montrant une sensibilité climatique qui n'est plus à 3 mais à 5 ou 6 degrés pour un doublement du CO2. Ce ne sont pas des exceptions, ce qui est particulièrement inquiétant".
Ainsi, des modélisations française, du département américain de l'énergie, de la météorologie britannique et du Canada prédisent une sensibilité climatique de 4,9, 5,3, 5,5 et 5,6 degrés respectivement, énumère Mark Zelinka.
Sur les 27 nouveaux modèles examinés dans son étude, ce sont également ceux qui reflètent le mieux les évolutions des 75 dernières années, renforçant leur crédibilité. "Il faut les prendre au sérieux, ce sont des modélisations dernier cri," souligne le chercheur.
D'autres modélisations, qui seront prises en compte par le Giec, sont moins pessimistes, même si la plupart dépassent les prévisions de réchauffement jusqu'ici avancées. "Le jury n'a pas encore rendu son verdict, mais c'est inquiétant", résume Johan Rockstrom. "Depuis plus de 30 ans, la sensibilité climatique était évaluée entre 1,5 et 4,5 degrés. Si elle passe à entre 3 et 7 degrés, ce serait extrêmement dangereux".