Fellow spécialiste des questions énergétiques, Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)
Auteur de Jusqu’à plus soif- Enjeux et conflits énergétiques (Fides, 2022)
Finaliste au prix de vulgarisation scientifique Hubert-Reeves 2023
Le résultat de l’élection présidentielle de 2024 influencera de façon notable le développement du secteur de l’énergie aux États-Unis et le positionnement du pays comme acteur d’influence à l’échelle internationale en matière d’énergie et de climat.
Yvan Cliche, fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, décrypte les enjeux de cette élection à travers deux tribunes.
Le premier volet consacré au Parti démocrate est à retrouver ici.
Bilan de l’administration Trump (2017-2021) en matière d’énergie et de climat
Les énergies fossiles, pilier de « Make America Great Again »
L’énergie a été un axe clé de l’administration Trump durant ses quatre années au pouvoir. Cette administration a claironné un mantra de domination énergétique (energy dominance), axé essentiellement sur la glorification des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) comme symbole de la puissance et de l’indépendance des États-Unis.
Le président Trump a fait des industries fossiles, qui occupent une place importante dans l’économie locale de nombreux États et dans la conscience américaine, un des piliers de son slogan « Make America Great Again ».
Dès son arrivée au pouvoir, Trump a posé des gestes d’éclat sur le front énergétique. L’un d’eux a été de réapprouver la construction de l’oléoduc Keystone XL, suspendu par l’administration Obama, et celui du Dakota Access. Il a aussi ouvert l’Arctic National Wildlife Refuge, en Alaska, à l’exploitation pétrolière et gazière.
Retrait de l’Accord de Paris
L’administration Trump a aussi démantelé plus d’une centaine de règlements environnementaux(1), dont une trentaine concernant les émissions et la pollution de l’air et une vingtaine de mesures contraignantes aux entreprises agissant dans le secteur du forage et de l’extraction.
À l’international, Trump a retiré les États-Unis de l’Accord de Paris, sous prétexte que cet accord menaçait l’économie américaine. Cela a été annoncé en 2017, avec effet en 2020.
De plus, il a affirmé une opposition frontale au gazoduc Nord Stream 2 devant acheminer du gaz russe vers l’Allemagne, dont la mise en exploitation était prévue en 2022(2). Cette opposition s’est faite en parallèle de la promotion du gaz américain pouvant être acheminé vers l’Europe sous forme de GNL à partir des terminaux d’exportation situés dans le golfe du Mexique.
Programme politique du Parti républicain
Rhétorique pro-fossiles drill
Les Républicains ne voient pas l’enjeu climatique comme une priorité pour le pays, selon ce que révèlent les sondages(3). Seulement 12% des partisans de ce parti pensent que cet enjeu devrait être l’une des priorités d’une administration républicaine. Cette donnée contraste singulièrement avec le camp démocrate, dont les partisans pensent à hauteur de 60% que cet enjeu devrait constituer une priorité nationale.
La priorité va au prix de l’énergie et à la fiabilité d’approvisionnement, même si cela doit passer par une augmentation de la production des énergies fossiles et des émissions de GES y étant associées. Le candidat Trump a promis de réduire de moitié les prix de l’énergie, en permettant plus d’exploration dans les terres fédérales, des autorisations plus rapides pour le forage, les pipelines, les raffineries, les centrales électriques et les réacteurs nucléaires. Sans surprise, il mettrait fin à la pause aux approbations de projets d’exportation de GNL(4).
Pour les élections de 2024, le programme républicain, nommé « Agenda 47 » (qui détaille les politiques qui seraient mises en œuvre en tant que 47e président des États-Unis), pourrait se résumer à la rhétorique pro-fossiles drill, baby drill(5), soit à un retour de sympathie clairement affichée envers les hydrocarbures, mais aussi pour l’industrie nucléaire.
Le candidat Trump se positionne vocalement à l’encontre de l’héritage que voudrait laisser le président Biden. Tel que le rapporte Politico, « Trump est resté vague sur les parties des programmes de Biden qu’il chercherait à étrangler ou à modifier – mais pas sur son hostilité à l’égard du programme climatique. »(6)
Il préconise la simplification des réglementations en faveur de l’exploration et l’extraction fossile, la déréglementation (et donc la suppression de mesures environnementales contraignantes pour ce secteur), une opposition aux énergies renouvelables (jugées trop coûteuses), une opposition aux véhicules électriques qui favoriserait la Chine et son industrie minière(7). Trump s’est aussi déclaré peu favorable à l’éolien extracôtier.
« Project 2025 »
Il a été question dans les médias du « Project 2025 », une approche globale sur les plans économique, social et réglementaire, concocté par la Heritage Foundation, une institution de recherche aux vues conservatrices basée à Washington. Ce Project 2025 est une feuille de route sur les actions à poser par le prochain président américain dans les différents départements relevant du gouvernement fédéral. Le chapitre 12 de ce pavé de quelque 900 pages traite du Department of Energy.
Le document reprend le thème de la domination énergétique, celle d’une énergie abondante, fiable et peu dispendieuse, aux États-Unis et en faveur des alliés. Il fustige les « politiques vertes extrêmes » du gouvernement actuel, qui dirigent l’argent fédéral vers des intérêts spéciaux (favored interests) et qui accroissent la dépendance du pays envers la Chine. Il préconise l’abolition de l’IRA et de ses subventions aux énergies vertes, la fin de la « guerre contre le pétrole et le gaz » et de la priorité de l’enjeu climatique dans les politiques fédérales.
L’ex-président Trump s’est toutefois distancié de ce document. Sur la place publique, il a plutôt fait état de son opposition aux véhicules électriques, qui mine l’industrie automobile américaine en faveur des Chinois, une opposition qui pourrait toutefois s’amenuiser en raison de son rapprochement avec Elon Musk, dirigeant de Tesla.
Une administration Trump se retirerait de nouveau de l’Accord de Paris, ce qui constituerait une tâche importante sur la crédibilité et la confiance de la communauté internationale envers les États-Unis dans sa lutte contre les changements climatiques(8).
Dans le dossier de l’IRA, il serait difficile pour l’équipe de Donald Trump de bloquer les projets ayant déjà tiré profit des mesures fiscales de la loi.
18 congressistes républicains opposés à la position du parti
Un groupe de 18 congressistes républicains s’est toutefois distancié de la position officielle du parti, réclamant le maintien des mesures en faveur des énergies renouvelables contenues dans la loi. Ils ont même acheminé une lettre officielle au parti(9). Ces politiciens ont bien compris que le pays peut gagner à la fois sur le plan des fossiles et sur celui des renouvelables, accentuant ainsi l’indépendance et la puissance des États-Unis sur le plan énergétique.(10)
En effet, le Clean Energy Tracker souligne que 75% des investissements manufacturiers dans les énergies renouvelables ont été concentrés dans des districts républicains.(11)
L’industrie fossile américaine exprime aussi des réticences à annuler entièrement l’IRA. Car la loi contient des mesures fiscales en faveur des biocarburants, de la capture et de la séquestration du carbone et de l’hydrogène, des technologies dans lesquelles ces pétrolières et gazières investissent.
Malgré le langage pro-énergies fossiles des Républicains, plusieurs analystes estiment que le train des énergies renouvelables est allé trop loin pour être arrêté.
La boite de consultants Rystad estime même que près de 60% des investissements en matière de batteries et de panneaux solaires se concentreront dès 2030 dans des États républicains comme l’Oklahoma, l’Iowa, la Floride, le Texas. « Les technologies propres deviennent de plus en plus une réussite bipartisane aux États-Unis. C'est ce que souligne notre analyse, qui montre que la plupart des projets de technologies propres, qu'il s'agisse d'énergie solaire, de batteries, d'hydrogène ou de captage du carbone, sont situés dans des bastions républicains. Les avantages économiques tangibles suscitent un large soutien, ce qui garantit que l'élan économique en faveur des technologies propres restera probablement solide, même sous une éventuelle présidence républicaine. Ces secteurs sont prêts à poursuivre leur expansion, que les résultats soient rouges ou bleus en novembre.(12) »
En fait, une présidence Trump, sans défaire complètement l’élan en faveur des renouvelables, pourra :
ralentir, mais pas arrêter la croissance de la vente des véhicules électriques ;
baisser la voilure en cours pour la décarbonation du réseau électrique américain, envisagée pour 2035 ;
et permettre au charbon de perdurer plus longtemps dans le mix énergétique américain.
Cela dit, il ne faut pas négliger le rôle des États dans la transition vers des énergies vertes. Malgré les débats, la Californie, État démocrate, et le Texas, État républicain, entendent poursuivre l’expansion de parcs éoliens et solaires, et des batteries, étant donné la performance accrue de ces technologies et leurs coûts devenus très abordables.
Prospection
L’élection présidentielle de novembre 2024 apparait comme un référendum sur l’avenir énergétique et climatique aux États-Unis, et de la planète. Une victoire républicaine susciterait l’inquiétude des investisseurs relativement aux fonds engagés ou envisagés dans les énergies renouvelables, donnerait de l’élan à l’industrie fossile, déjà responsable de plus des trois quarts des émissions de GES qui dérèglent le climat.
En revanche, une victoire démocrate appuierait l’élan engagé depuis 2022 avec l’adoption de l’IRA, rassurerait les investisseurs et les partenaires américains sur leur sécurité énergétique et climatique.
L’élan pro-climat devrait aller en s’accélérant et devrait mener les États-Unis, comme un joueur dominant des énergies renouvelables. Avec sa domination déjà établie dans le domaine fossile, les États-Unis ont le potentiel, avec les Démocrates, de devenir aussi la plus grande puissance énergétique du 21e siècle.
Les deux tribunes d'Yvan Cliche sur l'élection présidentielle américaine font écho à une note d'analyse qu'il a publiée pour le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (Cérium), à retrouver en intégralité en cliquant ici.
Sources / Notes
- Nadja Popovich, Livia Albeck-Ripka and Kendra Pierre-Louis, The Trump Administration Rolled Back More Than 100 Environmental Rules. Here’s the Full List, New York Times, January 20, 2021.
- À noter que les Démocrates s’opposaient aussi à ce projet. Ce projet, prêt à entrer en opération en 2022, a été annulé par l’Allemagne peu avant l’invasion russe en Ukraine.
- 15 Brian Kennedy, Alec Tyson, How Republicans view climate change and energy issues, Pew Research Center, March 1, 2024.
- Ed Crooks, Trump and Harris set out contrasting visions for US energy? Wood Mackenzie, September 2024.
- The New York Times, Read the Transcript of Donald J. Trump’s Convention Speech, July 10, 2024.
- Kelsey Tamborrino, Timothy Cama and Jessie Blaeser, Trump vs. Biden’s historic climate agenda, Politico, July 29, 2024.
- Samantha Gross, Louison Sall, Trump has big plans for climate and energy policy, but can he implement them?, Brookings, July 30, 2024.
- David G. Victor, How will climate cooperation look after the elections?, Brookings, August 13, 2024.
- Emma Dumain, Some House Republicans warn against climate law repeal, E&E News, 08/07/2024
- Yvan Cliche, Les républicains et l’énergie, une vision qui va à l’encontre des intérêts des États-Unis, Le Devoir, 24 juillet 2024.
- Clean Energy Tracker, 9/5/2024.
- Lars Nitter Havro, Kartok Selvaraju, Rystad, US Vote 2024: Cleantech industry poised to thrive regardless of election outcome, Rystad, 28 August 2024.
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