Chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques)
Professeur à Novancia
Les négociations qui se déroulent actuellement entre l’Iran et les 5+1 sont décisives parce qu’il s’agit probablement de la dernière chance d’aboutir à un accord. En effet, ces discussions découlent de l’accord de Genève de novembre 2013 qui avait défini un « plan commun d’action » qui devait permettre de régler diplomatiquement cette crise. Cet accord prévoyait d’une part que l’Iran arrête d’enrichir de l’uranium à un niveau supérieur à 5 % (niveau correspondant à une utilisation civile).
En échange, il était prévu qu’un certain nombre de sanctions frappant l’économie iranienne soient supprimées. L’Iran a effectivement rempli ces obligations. Des avoirs iraniens bloqués à l’étranger ont pu être rapatriés en Iran. Par ailleurs, cet accord précisait que les deux parties avaient un an pour trouver un accord final. Or, fin novembre 2014, il a été décidé de prolonger ces négociations de 6 mois.
Un accord « politique » fixant le cadre général de l’accord doit être signé avant le 31 mars 2015. Puis, si un accord politique est trouvé, un accord final, apportant toutes les précisions techniques, sera conclu à la fin juin 2015. Ceci signifie que s’il n’y pas d’accord fin mars 2015, tout ce processus sera arrêté. On peut supposer que dans ce « scénario du pire », l’Iran recommencera à enrichir de l’uranium à 20 %. Les États-Unis et l’Union européenne voteront de nouvelles sanctions. Les radicaux gagneront du terrain en Iran en proclamant que « cela ne sert à rien de négocier avec l’Occident… ». Et le gouvernement israélien recommencera à évoquer la menace d’une attaque…
Or, même s’il faut rester prudent face à des négociations complexes, un certain nombre d’éléments peuvent laisser penser qu’un accord est possible. Il existe manifestement une volonté politique commune aux États-Unis et en Iran d’aboutir à un accord. En Iran, le président Rohani s’est engagé dans ces négociations depuis son élection mais il est également soutenu dans cet effort par le Guide Ali Khameini qui a soutenu officiellement ce processus et s’est personnellement investi en rencontrant plusieurs fois l’équipe de négociateurs iraniens.
Les autorités américaines ont réalisé que des relations plus normalisées avec l’Iran pouvaient être une première étape pour diminuer les tensions dans la région.
Les autorités iraniennes veulent un accord pour plusieurs raisons. Le consensus en Iran est que la politique radicale menée par Mahmoud Ahmadinejad pour gérer cette crise a échoué. Il faut revenir à une vraie diplomatie et obtenir un accord en faisant des concessions si certaines lignes rouges ne sont pas franchies (comme la reconnaissance du droit de l’Iran à enrichir l’uranium).
Par ailleurs, un accord permettrait la levée des sanctions qui a conduit à une grave crise économique en Iran depuis 2012 et accru les souffrances de la population. Enfin, la reprise des relations avec les États-Unis, passage obligé pour sortir de cette crise, est également vue en Iran comme un moyen de renforcer l’Iran en tant que puissance régionale. Aux États-Unis, l’idée est qu’il n’est pas possible de régler cette crise autrement que par des négociations. Par ailleurs, les autorités américaines ont réalisé que des relations plus normalisées avec l’Iran pouvaient être une première étape pour diminuer les tensions dans la région.
Cette dynamique irano-américaine fait que les points de vue se sont considérablement rapprochés sur un point faisant jusque-là débat : le nombre de centrifugeuses dont pourra disposer l’Iran à terme. On évoque actuellement le chiffre de 6 000 centrifugeuses. Par contre, des dissensions existent quant au rythme de levée des sanctions. Les Iraniens estiment qu’en cas d’accord l’ensemble des sanctions multilatérales (votée par l’ONU) et bilatérales (mises en place par l’UE et les États-Unis) devront être supprimées.
Or, la plupart des sanctions américaines ont été votées par le Congrès et ne peuvent être annulées que par ce dernier. Avec une majorité républicaine, une telle éventualité s’annonce difficile à réaliser. Le président américain a donc proposé aux Iraniens de suspendre l’exécution de ces sanctions, leur suppression définitive étant reportée. Cela permet en fait aux Occidentaux de mettre en place une période d’essai qui permettra de vérifier si l’accord est bien appliqué par l’Iran. Si c’est le cas, il sera plus facile d’obtenir l’accord du Congrès pour la levée définitive de ces sanctions.
Les opposants à un tel accord ne manquent pas. La majorité républicaine au Congrès a explicitement manifesté son hostilité à ces négociations en invitant le premier ministre israélien à venir s’exprimer à ce sujet sans en référer au président. De plus, 47 sénateurs républicains viennent d’adresser une lettre aux autorités iraniennes déclarant qu’un tel accord ne serait « qu’un accord exécutif entre le président américain, Barack Obama, et le Guide Ali Khameini… ». Le gouvernement israélien a lui dénoncé depuis des mois ce processus de négociation.
Les opposants de tout bord à ces négociations n’ont aucun scénario alternatif à proposer pour régler cette crise, si ce n’est de proposer la politique du pire.
En Iran même, les courants les plus radicaux considèrent que l’Iran fait trop de concessions dans ces négociations et que l’on ne peut pas faire confiance aux Etats-Unis. Enfin, l’Arabie Saoudite considère que ces négociations et la reprise des relations entre l’Iran et les États-Unis ne vont faire qu’aggraver la domination iranienne sur le Moyen-Orient. Pourtant, on peut rester relativement optimiste par rapport aux chances d’un accord. La raison essentielle est que les opposants de tout bord à ces négociations n’ont aucun scénario alternatif à proposer pour régler cette crise, si ce n’est de proposer la politique du pire…
Ces négociations rentrent donc actuellement dans une phase décisive et représentent un enjeu géopolitique majeur. La crise du nucléaire iranien qui empoisonne les relations internationales pourrait être définitivement réglée. Les États-Unis et l’Iran pourraient, une fois cette crise réglée, commencer dans un premier temps à coopérer ponctuellement pour tenter de régler un certain nombre de crises régionales (Irak, Syrie, etc.).
Les courants modérés en Iran qui ont défendu le principe de négociations seraient renforcés politiquement. Et la société civile iranienne, qui devient de plus en plus séculaire, et où s’imposent progressivement des valeurs « modernes » telles que l’égalité hommes-femmes, la tolérance, la compétence, serait « renforcée » politiquement si les sanctions sont levées et si l’économie iranienne s’ouvre. On ne peut donc que regretter, face à ces enjeux, la position très attentiste de la diplomatie française dans ces négociations …
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