Professeur émérite à l’Université de Montpellier
Fondateur du CREDEN
Auteur de l’ouvrage « Les prix de l’électricité. Marchés et régulation », Presses des Mines
A un moment où le gouvernement américain est montré du doigt dans la lutte contre le réchauffement climatique, il peut être intéressant de se pencher sur le cas de la France pour voir si la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) y est bien engagée.
Rappelons d’abord que les émissions de GES ne concernent pas uniquement le dioxyde de carbone (CO2), même si celui-ci représente plus des trois-quarts des émissions. Il faut aussi tenir compte des émissions de méthane (CH4) et de quelques autres gaz dont le protoxyde d’azote (N2O).
En 2015, la France a émis 456 millions de tonnes d’équivalent CO2, réparties comme suit : 29% pour le secteur des transports, 22% pour l’industrie manufacturière, 20% pour le résidentiel-tertiaire, 20% pour l’agriculture et 9% pour la branche « énergie », laquelle concerne principalement la production d’électricité et le raffinage des produits pétroliers.
Les émissions françaises du seul CO2 ont été de l’ordre de 320 millions de tonnes en 2015, ce qui est sensiblement inférieur aux émissions observées au Royaume-Uni (449 Mt CO2), en Allemagne (760 Mt CO2) et a fortiori aux États-Unis (5 120 Mt CO2). La combustion du pétrole est à l’origine de 63% de ces émissions françaises de CO2, le gaz naturel de 25%, le charbon de 6% et l’électricité également de 6%.
Si l’on raisonne par habitant, la France est plutôt vertueuse en comparaison avec d’autres pays industrialisés.
Le poids élevé du nucléaire et de l’hydraulique dans la production française d’électricité (presque 90% du mix(1)) explique le faible niveau d’émissions de CO2 liées à l’électricité (39 Mt CO2 en France contre 163 Mt CO2 au Royaume-Uni et 332 Mt CO2 en Allemagne, où la part du lignite et celle du charbon sont encore très élevées). Rappelons que le nucléaire, l’hydraulique, le solaire ou l’éolien émettent très peu de carbone par kWh produit, à la différence d’une centrale à gaz et a fortiori d’une centrale à charbon (plus d’un kg de CO2 par kWh produit à partir de charbon contre un peu moins de 500 g/kWh pour le gaz et moins de 10 g/kWh pour le nucléaire et les renouvelables).
Si l’on raisonne par habitant, la France est plutôt vertueuse en comparaison avec d’autres pays industrialisés : un Français a émis de l’ordre de 4,3 t CO2 en 2015 contre 6,3 t CO2 pour un Anglais, 6,6 t CO2 pour un Chinois, 8,9 t CO2 pour un Allemand et 16,2 t CO2 pour un Américain, certes loin devant un Indien (1,6 t CO2) ou un Sénégalais (0,43 t CO2).
Il ne faut pas se focaliser sur les seules émissions directes et indirectes...
Mais ce constat plutôt optimiste doit être nuancé pour plusieurs raisons. D’abord parce que, depuis 1990, la baisse des émissions de CO2 en France est essentiellement imputable à l’industrie et à la branche « énergie » et très peu au secteur des transports ou à celui du bâtiment. Si le secteur industriel émet moins de CO2, c’est en partie du fait d’un processus de désindustrialisation ou d’une délocalisation de certaines activités à forte intensité énergétique. La fermeture de centrales thermiques au fioul et au charbon ainsi que celle de plusieurs raffineries expliquent l’évolution observée dans la branche « énergie ».
Ensuite parce qu’il ne faut pas se focaliser sur les seules émissions directes (et indirectes) de CO2 ou d’équivalent CO2 mais raisonner aussi sur « l’empreinte carbone », c’est-à-dire sur les émissions liées à la consommation de biens et services des Français, que ceux-ci soient produits en France ou à l’étranger. On doit alors tenir compte des émissions de carbone incluses dans les produits importés et déduire les émissions liées aux exportations françaises. Et dans ce cas, le bilan est nettement moins bon. Selon le Commissariat général du développement durable (CGDD), l’empreinte carbone de la demande finale française était de l’ordre de 8,2 t CO2 par personne en 2012 alors qu’à la même date, on estimait à 5,5 t CO2 par personne les émissions observées sur le territoire national.
Si l’on veut respecter les engagements liés à la COP21 et à la loi de transition énergétique (réduire nos émissions de 75% d’ici 2050), il faut intensifier les efforts dans deux secteurs : les transports et les bâtiments. Le progrès technique peut nous aider, grâce au développement du véhicule électrique dans le premier cas et à des matériaux qui incorporent moins de carbone dans le second (rappelons que la moitié du CO2 émis par le bâtiment est liée à l’investissement, donc aux matériaux, et l’autre moitié à l’usage, donc aux comportements des habitants).
La « compensation » est au citoyen écologiste ce que la flagellation est au pénitent...
Mais il faut aussi modifier les comportements des producteurs et des consommateurs, ce qui impose d’envoyer un bon « signal prix ». Cela passe par l’instauration d’un prix élevé du carbone (taxe carbone ou prix sur le marché européen des quotas de CO2), comme vient de la rappeler le Rapport Stiglitz-Stern(2) qui milite pour un prix d’au minimum 40 à 80 dollars par tonne de CO2 en 2020 et de 50 à 100 dollars par tonne en 2030 (contre à peine 5 euros par tonne aujourd’hui sur le marché européen des quotas).
Certains se consolent en « compensant » leurs émissions par des actes citoyens qui consistent par exemple à planter des « puits de carbone » (forêts). Mais la « compensation » est au citoyen écologiste ce que la flagellation est au pénitent, et le mieux c’est de ne point pécher…
Sources / Notes
- En 2016, l’énergie nucléaire et l’hydroélectricité ont respectivement compté pour 72,3% et 12% de la production électrique française. Cette année était « exceptionnelle » en raison de l’arrêt fin 2016 de nombreux réacteurs nucléaires (en 2015, la part du nucléaire dans le mix électrique français était de 76,3%).
- Rapport de la Commission de Haut Niveau sur les Prix du Carbone (Banque Mondiale, ADEME, Ministère de la Transition Energétique), 29 mai 2017.
Les autres articles de Jacques Percebois
TRIBUNE D'ACTUALITÉ
TRIBUNE D'ACTUALITÉ