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Pourquoi « torche »-t-on du gaz ?

Torchage de gaz

Le Global Gas Flaring Reduction Partnership (GGFR) initié par la Banque mondiale vise à accompagner les États et les compagnies pétrolières dans leurs efforts de réduction du torchage. (©CCO-Alex Demas, USGS)

Lors de l’extraction du pétrole, le gaz constitue parfois un coproduit « gênant ». La faiblesse de son cours et l’extraction croissante de pétrole brut dans des régions isolées conduit certains États et entreprises à le « torcher ». Or cette pratique n’est pas sans conséquence sur le climat.

Définition

Lorsque l’on extrait du pétrole, celui-ci remonte souvent à la surface accompagné d’eau et de gaz (dit « gaz associé »). Après avoir été séparé du pétrole, le gaz peut être « torché », c’est-à-dire brûlé sur place en sortie de puits, opération qui se manifeste par une flamme sortant d’une torchère.

Le gaz est parfois aussi rejeté dans l’atmosphère sans être brûlé (« venting » en anglais). C’est la pire des solutions car on remet directement dans l’atmosphère du méthane, gaz à effet de serre au potentiel de réchauffement très supérieur à celui du CO2 produit par le torchage (aux côtés d'hydrocarbures volatils).

Pourquoi torche-t-on ce gaz ?

Le torchage du gaz (« flaring » en anglais) se pratique principalement faute d’infrastructures de traitement et de transport (gazoduc ou unité de liquéfaction) qui permettraient sa commercialisation. 

Ces infrastructures sont différentes de celles utilisées pour le pétrole et leur rentabilité n’est pas assurée si les volumes de gaz associé sont faibles ou si les zones d’exploitation sont très reculées. Autrement dit, si le prix du gaz est trop faible pour rentabiliser un investissement aussi lourd(1)

D'un point de vue économique, le gaz naturel apparaît comme une source d’énergie de moindre valeur que le pétrole : il est moins dense énergétiquement et plus complexe à transporter et à stocker. Le convoyer jusqu’à des sites d’exportation ou de consommation (régions peuplées) nécessite des infrastructures coûteuses : usines de purification (le gaz en sortie de puits contenant de nombreux autres composés que le méthane : eau, CO2, molécules soufrées, etc.), gazoducs, terminaux gaziers… Cette relative « faible » valeur économique du gaz fossile favorise cette pratique dans certains pays producteurs de pétrole(2) qui torchent le gaz associé à l’extraction du brut.

Quels sont les volumes de gaz torchés dans le monde ?

En 2023, 147,6 milliards de m3 de gaz ont été torchés dans le monde, soit 7% de plus qu'en 2022, selon le Global Gas Flaring Tracker Report de la Banque mondiale(3).

La production mondiale de pétrole a dans le même temps augmenté de 1%, ce qui induit une hausse de 5% de « l'intensité torchage » du pétrole produit en 2023 (par rapport à 2022).

Classement des pays torchant le plus de gaz en 2023

En 2023, 9 pays sont toujours responsables de près de 75% des volumes de gaz torché dans le monde (alors qu'ils comptent pour 46% de la production mondiale de pétrole) :

  • la Russie (28,4 milliards de m3 de gaz torché) ;
  • l'Iran (20,4 Gm3) ;
  • l'Irak (17,7 Gm3) ;
  • les États-Unis (9,6 Gm3) ;
  • le Venezuela (8,3 Gm3) ;
  • l'Algérie (8,2 Gm3) ;
  • la Libye (6,8 Gm3) ;
  • le Nigéria (5,8 Gm3) ; 
  • le Mexique (5,5 Gm3).

La Russie, l'Irak et l'Iran comptent ainsi, à eux trois, pour près de 45% des volumes mondiaux de gaz torché en 2023(4)

La Syrie et le Venezuela sont les deux pays torchant le plus de gaz naturel par baril de pétrole produit.

Historique

En 2022, 139 milliards de m3 de gaz avaient été torchés, soit le plus bas niveau depuis 2010 « après une décennie de progrès au point mort »(5)

Torchage dans le monde en 2022

La Banque mondiale soulignait alors un « découplage progressif du torchage du gaz et de la production de pétrole [...] notable » (la quantité de gaz torché par baril de pétrole produit s'élevait en moyenne en 2022 à 4,7 m3 de gaz torché par baril, contre 5,1 m3/b en 2021).

Découplage de la production de pétrole et du torchage de gaz dans le monde

En 2018, près de 145 milliards de m3 de gaz avaient été torchés, soit davantage que les consommations annuelles de gaz de l’Allemagne et de la France cumulées.

Torchage de gaz par pays
En 2018, la Russie avait torché près de 21,3 milliards de m3 de gaz selon des estimations réalisées sur la base d’images satellitaires de la NOAA. (©Connaissance des Énergies, d'après Banque mondiale)

Impact du torchage : émissions de CO2

Le méthane ayant un effet de serre bien plus important que celui du CO2, il est évidemment préférable de le brûler – ce qui émet du CO2 et de l’eau – plutôt que de le relâcher dans l’atmosphère. S’il n’était pas brûlé, son inflammabilité présenterait également des risques d’explosion. 

Cette pratique s'accompagne toutefois d'importantes émissions de gaz à effet de serre : elle aurait généré au niveau mondial l’émission d'environ 382 millions de tonnes d'équivalent CO2 en 2023 selon la Banque mondiale. En 2022, ces émissions avoisinaient 357 millions de tonnes d'équivalent CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles d'environ 75 millions de voitures(6) et près de la totalité des émissions annuelles de gaz à effet de serre en France(7).

La Banque mondiale souligne en outre « l'incertitude entourant la quantité de méthane libérée par le torchage [...] les émissions de méthane dues au torchage pourraient être considérablement plus élevées que ce qui avait été estimé précédemment ».

Rappelons que le méthane est un puissant gaz à effet de serre, dont le pouvoir en matière de réchauffement climatique est plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone au cours des 20 premières années de son entrée dans l'atmosphère (bien que le CO2 ait une influence plus durable)(8). L’AIE estime que les émissions de méthane directement relâché dans l’atmosphère par l’industrie pétro-gazière (via des fuites et rejets volontaires) s'élèvent à environ 80 millions de tonnes de méthane par an, soit 2,4 environ milliards de tonnes équivalent CO2(9). Cela représente plus de 5% du total des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre.

Des chercheurs américains ont par ailleurs souligné que l'activité de torchage du gaz a des conséquences néfastes sur la santé  : « les torchères non allumées et celles à la combustion partielle peuvent exposer les populations en première ligne à un mélange de polluants associés qui présentent des risques d'effets aigus et/ou chroniques sur la santé »(10).

Quelles alternatives existent ?

Compte tenu de l'impact carbone important associé au torchage de gaz, des pays et entreprises investissent de plus en plus dans des infrastructures de traitement pour que le gaz associé soit injecté dans les réseaux gaziers plutôt que d'être torché. Citons par exemple le projet « ArtawiGas25 » de TotalÉnergies en Irak.

À défaut de commercialiser le gaz associé, il existe deux autres principales alternatives à son torchage :

  • le gaz peut être réinjecté dans le gisement de pétrole afin d’y renforcer la pression et améliorer le taux de récupération. Cette opération peut toutefois être techniquement compliquée selon les caractéristiques du gaz (risque de corrosion des canalisations) ;
  • le gaz peut être utilisé pour actionner une turbine électrique et satisfaire une partie des besoins énergétiques du site de production.

Initiative « Zero Routing Flaring by 2030 »

En 2015, la Banque mondiale a lancé avec plusieurs gouvernements et groupes pétroliers une initiative « Zero Routing Flaring by 2030 » qui vise à mettre fin d'ici à 2030 aux opérations régulières de torchage de gaz sur les champs pétroliers(11).

D'importants efforts sont nécessaires pour atteindre cette cible, souligne la Banque mondiale. L'initiative est portée fin 2024 par 92 gouvernements et compagnies pétrolières, à l'origine d'environ 60% des volumes de gaz torché dans le monde.

La réduction de demande de pétrole pourrait contribuer à la baisse du torchage de gaz.

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Sources / Notes

  1. L’abondance du gaz associé au manque d’infrastructures de transport et de traitement peut entraîner son prix vers le bas dans les lieux où il est extrait. Au « nœud gazier » de Waha au cœur du bassin permien (Texas), le gaz a par exemple atteint en 2019 des valeurs négatives allant jusqu’à - 4 $/MBtu, contre un prix moyen de 2,5 $/MBtu dans le reste des États-Unis. Il est difficile d’investir dans ces conditions, et plus rentable de brûler le gaz non désiré. 
    Oil Producers Are Setting Billions of Dollars on Fire, S. Jakab dans The Wall Street Journal, 10 janvier 2020,
  2. Depuis le passage du pic mondial d’extraction de pétrole conventionnel en 2008, ce sont les pétroles dits « non conventionnels » – surtout les pétroles « de schiste » américains – qui permettent de répondre à une demande mondiale toujours croissante. Les gisements contiennent aussi du gaz, libéré lors de la récupération de l’or noir.
  3. Global Gas Flaring Tracker Report, Banque mondiale, juin 2024.
  4. Données sur le torchage de gaz par pays, Banque mondiale.
  5. La plus forte baisse de volume de gaz torché en 2022 est à signaler au Nigéria qui a réduit le recours à cette pratique de 20% en un an dernier (en grande partie toutefois à cause de la chute de production pétrolière de 14% dans le pays). Au Mexique, la production pétrolière est restée relativement stable en 2022 mais le pays a réduit de 13% ses volumes de gaz torché (en particulier à partir de ses champs offshore de Ku-Maloop-Zaap et Akal).
  6. Sur la base des données de l'agence américaine de protection de l'environnement (EPA).
  7. Chiffres clés du climat France, Europe et Monde, édition 2019, CGDD.
  8. C'est pourquoi plus de 120 pays ont signé un accord mondial, le Global Methane Pledge, visant à réduire les émissions de 30% d'ici 2030.
  9. Tracking Fuel Supply, AIE, novembre 2019.
  10. Une équipe de recherche dirigée par Genevieve Plant à l'Université du Michigan a prélevé des échantillons d'air dans deux bassins sédimentaires situés au Texas, le Bassin permien ainsi que l'Eagle Ford Shale, et aux alentours de la formation de Bakken - une formation géologique riche en pétrole et gaz - à cheval sur les États du Dakota du Nord et du Montana. Ces zones concentrent à elles seules 80% des activités américaines de torchage de gaz naturel. 
    L'industrie des combustibles fossiles et le gouvernement américain partent du postulat que les torchères brûlant constamment détruisent le méthane, le principal composant du gaz naturel, avec une efficacité de 98%. Cependant, l'étude contredit ce taux et l'établit à 91,1%, ce qui implique des émissions de méthane aux États-Unis cinq fois supérieures aux données officiellement publiées.
    En se penchant davantage sur ces chiffres, l'équipe de recherche de Geneviève Plant s'est rendue compte que si la plupart des torchères fonctionnaient avec un taux d'efficacité de 98%, d'autres colonnes de brûlage présentant des signes d'usure avait un taux d'efficacité de 60%, sans compter les 3 à 5% de torchères éteintes qui rejettent du gaz non consumé dans l'atmosphère.
    Ces émissions affectent un demi-million de personnes dans un rayon de 5 km autour des trois bassins concernés, indiquent les auteurs.
  11. L'Initiative Zero Routing Flaring by 2030 associe également des institutions de développement. En juillet 2020, 32 pays dont la Russie, l'Irak ou encore les États-Unis s'étaient déjà engagés à suivre les objectifs de cette initiative (ainsi que 38 compagnies pétrolières et 15 institutions de développement).

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