Le Global Gas Flaring Reduction Partnership (GGFR) initié par la Banque mondiale vise à accompagner les États et les compagnies pétrolières dans leurs efforts de réduction du torchage. (©CCO-Alex Demas, USGS)
Lors de l’extraction du pétrole, le gaz constitue parfois un coproduit « gênant ». La faiblesse de son cours et l’extraction croissante de brut dans des régions isolées conduit certains États et entreprises à le « torcher », c'est-à-dire à le brûler en sortie de puits. Le recours au torchage intervient principalement en l'absence d'infrastructures de traitement et de transport permettant de commercialiser ce gaz dit « associé » (à la production de pétrole). Or cette pratique n’est pas sans conséquence sur le climat.
Qu'est-ce que cela signifie ?
Lorsque l’on extrait du pétrole, celui-ci remonte souvent à la surface accompagné d’eau et de gaz (dit « gaz associé »). Après avoir été séparé du pétrole, le gaz peut être « torché », c’est-à-dire brûlé sur place, opération qui se manifeste par une flamme sortant d’une torchère.
Le gaz est parfois aussi rejeté dans l’atmosphère sans être brûlé (« venting » en anglais). C’est la pire des solutions car on remet directement dans l’atmosphère du méthane, gaz à effet de serre au potentiel de réchauffement très supérieur à celui du CO2 produit par le torchage (aux côtés d'hydrocarbures volatils).
Pourquoi torche-t-on ce gaz ?
Le torchage du gaz (« flaring » en anglais) se pratique principalement faute d’infrastructures de traitement et de transport (gazoduc ou unité de liquéfaction) qui permettraient sa commercialisation. Ces infrastructures sont différentes de celles utilisées pour le pétrole et leur rentabilité n’est pas assurée si les volumes de gaz associé sont faibles ou si les zones d’exploitation sont très reculées.
Autrement dit, si le prix du gaz est trop faible pour rentabiliser un investissement aussi lourd. La faible valeur économique du gaz fossile favorise cette pratique dans certains pays producteurs de pétrole qui torchent le gaz associé à l’extraction du brut.
Depuis le passage du pic mondial d’extraction de pétrole conventionnel en 2008, ce sont les pétroles dits « non conventionnels » – surtout les pétroles « de schiste » américains – qui permettent de répondre à une demande mondiale structurellement croissante. Les gisements contiennent aussi du gaz, libéré lors de la récupération de l’or noir.
Le gaz naturel est une source d’énergie de moindre valeur que le pétrole : il est moins dense énergétiquement et plus complexe à transporter et à stocker. Le convoyer jusqu’à des sites d’exportation ou de consommation (régions peuplées) nécessite des infrastructures coûteuses : usines de purification (le gaz en sortie de puits contenant de nombreux autres composés que le méthane : eau, CO2, molécules soufrées, etc.), gazoducs, terminaux gaziers…
Dans le même temps, l’abondance du gaz associée au manque d’infrastructures de transport et de traitement entraîne son prix vers le bas dans les lieux où il est extrait. Au « nœud gazier » de Waha au cœur du bassin permien (Texas), le gaz a ainsi atteint l’an dernier des valeurs négatives allant jusqu’à moins 4 dollars par million d’unités thermiques britanniques ($/MBtu), contre un prix moyen de 2,5 $/MBtu dans le reste des États-Unis(1).
Il est difficile d’investir dans ces conditions, et plus rentable de brûler le gaz non désiré.
Quelles alternatives existent ?
À défaut de pouvoir commercialiser le gaz associé, il existe deux autres principales alternatives à son torchage :
- le gaz peut être réinjecté dans le gisement de pétrole afin d’y renforcer la pression et améliorer le taux de récupération. Cette opération peut toutefois être techniquement compliquée selon les caractéristiques du gaz (risque de corrosion des canalisations) ;
- le gaz peut être utilisé pour actionner une turbine électrique et satisfaire une partie des besoins énergétiques du site de production.
En 2015, la Banque mondiale a lancé avec plusieurs gouvernements et groupes pétroliers une initiative « Zero Routing Flaring by 2030 » qui vise à mettre fin d'ici à 2030 aux opérations régulières de torchage de gaz sur les champs pétroliers(2).
Pertes représentées
En 2022, 139 milliards de m3 de gaz ont été torchés, atteignant leur plus bas niveau depuis 2010 « après une décennie de progrès au point mort » souligne la Banque mondiale. La production mondiale de pétrole brut a dans le même temps augmenté de près de 5% par rapport à 2021.
Près de 145 milliards de m3 de gaz ont été torchés en 2018(3) et 144 en 2021, soit davantage que les consommations annuelles de gaz de l’Allemagne et de la France cumulées.
Neuf pays (Russie, Irak, Iran, Algérie, Venezuela, États-Unis, Mexique, Libye et Nigéria) sont à l'origine des trois quarts des volumes de gaz torché dans le monde, alors qu'ils comptent pour moins de la moitié de la production mondiale de pétrole.
La Russie, l'Irak et l'Iran comptaient, à eux trois, pour près de 39% des volumes mondiaux de gaz torché en 2018(4).
En 2018, la Russie a torché près de 21,3 milliards de m3 de gaz selon les dernières estimations réalisées sur la base d’images satellitaires de la NOAA. (©Connaissance des Énergies, d'après Banque mondiale)
« Ce découplage progressif du torchage du gaz et de la production de pétrole est notable », souligne la Banque mondiale : la quantité de gaz torché par baril de pétrole produit s'est élevée en moyenne en 2022 à 4,7 m3 de gaz torché par baril, contre 5,1 m3/b en 2021.
La plus forte baisse de volume de gaz torché en 2022 est à signaler au Nigéria qui a réduit le recours à cette pratique de 20% en un an dernier (en grande partie toutefois à cause de la chute de production pétrolière de 14% dans le pays). Au Mexique, la production pétrolière est restée relativement stable en 2022 mais le pays a réduit de 13% ses volumes de gaz torché (en particulier à partir de ses champs offshore de Ku-Maloop-Zaap et Akal).
L'ambition de mettre fin d'ici à 2030 aux opérations régulières de torchage de gaz sur les champs pétroliers est portée depuis 2015 par la Banque mondiale (initiative « Zero Routing Flaring by 2030 »).
Conséquences environnementales
Lorsque l’on extrait du pétrole, celui-ci remonte souvent à la surface accompagné d’eau et de gaz (dit « gaz associé »). Après avoir été séparé du pétrole, le gaz peut être « torché », c’est-à-dire brûlé sur place, opération qui se manifeste par une flamme sortant d’une torchère et qui s'accompagne d'importantes émissions de gaz à effet de serre.
Le méthane ayant un effet de serre bien plus important que celui du CO2, il est évidemment préférable de le brûler – ce qui émet du CO2 et de l’eau – plutôt que de le relâcher dans l’atmosphère. S’il n’était pas brûlé, son inflammabilité présenterait également des risques d’explosion.
Cette pratique constitue une problématique environnementale sensible : elle engendrerait au niveau mondial l’émission de de 357 millions de tonnes de CO2 par an en 2022, soit l’équivalent des émissions annuelles d'environ 75 millions de voitures(5) et près de la totalité des émissions annuelles de gaz à effet de serre en France(6).
À cela, il faudrait ajouter le méthane directement relâché dans l’atmosphère par l’industrie pétro-gazière, via des fuites et rejets volontaires. L’AIE estime que ces émissions s'élèvent à environ 80 millions de tonnes de méthane par an, soit 2,4 milliards de tonnes équivalent CO2(7). Cela représente plus de 5% du total des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre.
La Banque mondiale souligne en outre « l'incertitude entourant la quantité de méthane libérée par le torchage [...] les émissions de méthane dues au torchage pourraient être considérablement plus élevées que ce qui avait été estimé précédemment ».
Une équipe de recherche dirigée par Genevieve Plant à l'Université du Michigan a prélevé des échantillons d'air dans deux bassins sédimentaires situés au Texas, le Bassin permien ainsi que l'Eagle Ford Shale, et aux alentours de la formation de Bakken --une formation géologique riche en pétrole et gaz-- à cheval sur les Etats du Dakota du Nord et du Montana. Ces zones concentrent à elles seules 80% des activités américaines de torchage de gaz naturel.
"Nous avons utilisé un petit avion équipé de sondes extrêmement sensibles qui mesurent la concentration de méthane et de dioxyde de carbone sous le vent des torchères. Au cours de cette étude aérienne, nous avons prélevé environ 300 échantillons distincts d'air provenant des colonnes de brûlage dans les régions qui ont le plus recours au torchage de gaz naturel aux États-Unis." L'industrie des combustibles fossiles et le gouvernement américain partent du postulat que les torchères brûlant constamment détruisent le méthane, le principal composant du gaz naturel, avec une efficacité de 98%. Cependant, l'étude contredit ce taux et l'établit à 91,1%, soit des émissions de méthane aux États-Unis cinq fois supérieures aux données officiellement publiées.
En se penchant davantage sur ces chiffres, l'équipe de recherche de Geneviève Plant s'est rendue compte que si la plupart des torchères fonctionnaient avec un taux d'efficacité de 98%, d'autres colonnes de brûlage présentant des signes d'usure avait un taux d'efficacité de 60%, sans compter les 3 à 5% de torchères éteintes qui rejettent du gaz non consumé dans l'atmosphère.
Le torchage du gaz est une activité essentiellement à perte puisque le gaz naturel brûlé n'est associé à aucun processus productif. La Banque mondiale estime qu'avec le gaz brûlé chaque année - près de 145 milliards de mètres cubes - il serait possible d'alimenter en énergie toute l'Afrique subsaharienne.
Dans un argumentaire attaché à l'étude, deux auteurs, Riley Duren et Deborah Gordon, expliquent que l'activité de torchage du gaz a des conséquences néfastes sur la santé du demi-million de personnes qui vivent dans un rayon de 5 km autour des trois bassins concernés. "Les torchères non allumées et celles à la combustion partielle peuvent exposer les populations en première ligne à un mélange de polluants associés qui présentent des risques d'effets aigus et/ou chroniques sur la santé", ont expliqué les auteurs.
Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, dont le pouvoir en matière de réchauffement climatique est plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone au cours des 20 premières années de son entrée dans l'atmosphère, bien que le dioxyde de carbone ait une influence plus durable. C'est pourquoi plus de 120 pays ont signé un accord mondial, le Global Methane Pledge, visant à réduire les émissions de 30% d'ici 2030.
Y a-t-il des perspectives d’amélioration ?
Selon Maxime Cordiez, expert associé énergie et climat à l'Institut Montaigne, au regard du contexte – faiblesse du prix du gaz et situation économique critique des industriels du schiste – il semble très peu probable que la situation évolue positivement de manière volontaire via un durcissement des réglementations. Une hausse du prix du baril pourrait avoir un effet positif en apportant des marges aux industriels, en revalorisant le gaz à la hausse et en incitant à économiser le pétrole, mais il faudrait déjà qu’elle compense l’effondrement causé par la pandémie de Covid-19... En outre, une forte augmentation du prix du baril pourrait également motiver des investissements dans l’exploration et le développement de nouveaux projets pétroliers, délétères pour le climat.
Un début de solution plus pérenne consisterait donc à travailler sur la demande de pétrole afin de la réduire dès aujourd’hui et année après année, en le substituant et en l’économisant. Dramatique pour beaucoup, le profond bouleversement de nos économies amené par la pandémie actuelle est également une occasion unique de réinterroger nos modes de vie et de construire un futur à la fois plus sobre, moins carboné et plus résilient.
Notons que « l’intensité de torchage », c’est-à-dire la quantité de gaz torché par baril de pétrole produit est en diminution au niveau mondial. Depuis 1996, la production mondiale de pétrole a augmenté de 33% alors que le torchage de gaz associé a diminué de 15%.