Un prix élevé du CO2 contribuerait à augmenter le coût variable de production des centrales thermiques les plus émettrices, au premier rang desquelles les centrales à charbon. Ici, la centrale de Neurath en Allemagne. (©RWE)
En l'absence d'un prix élevé de la tonne de CO2, les centrales au charbon sont souvent plus compétitives que celles au gaz naturel. Quel signal prix pourrait permettre de contribuer significativement à une baisse des émissions du secteur électrique européen ? Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français RTE s'est interrogé avec l'Ademe sur ce sujet dans une étude rendue publique hier. Conclusions.
Rappels sur la situation européenne
Initié en 2005, le marché du carbone européen (système communautaire d’échange des quotas d’émissions ou EU ETS en anglais) n’a jusqu’ici pas permis de faire émerger un signal prix élevé du CO2, principalement en raison de l’allocation d’un trop grand nombre de quotas. Mi-avril, le prix de la tonne de CO2 avoisinait ainsi 5,5 € sur ce marché(1).
Dans les conditions actuelles, les centrales à charbon qui entraînent d’importantes émissions de CO2 mais profitent d’un combustible au coût très faible, ne sont pas « pénalisées » pour leur impact environnemental. Selon la logique du « merit order », ce sont en effet les centrales électriques dont les coûts variables de production (soit principalement le coûts du combustible et éventuellement celui des émissions associées de CO2) sont les plus bas qui sont « appelées » en priorité sur le réseau électrique.
Or, le coût des combustibles favorise fortement les centrales à charbon depuis plusieurs années, notamment depuis 2010 et le développement des gaz de schiste aux États-Unis qui a entraîné une forte baisse des cours du charbon (la substitution du gaz de schiste a entraîné la mise à disposition d'importants volumes de charbon sur les marchés). En l’absence d’un prix élevé du CO2, la production des centrales à charbon est ainsi privilégiée par rapport à celle des centrales à gaz, pourtant moins émissives : en Europe, le coût variable de centrales au lignite peut avoisiner 5 €/MWh contre 40 €/MWh en moyenne pour les centrales à gaz.
Des émissions significativement réduites à partir de 30 €/t de CO2
Sur la base d’une simulation portant sur le parc électrique de 13 pays de l’ouest de l’Europe, l’étude de RTE conclut qu’un prix de 30 €/t de CO2 pourrait permettre de diminuer d’environ 15% les émissions du secteur électrique européen(2). Un prix beaucoup plus élevé de 100 €/t de CO2 pourrait permettre de réduire ces émissions de l’ordre de 30% selon RTE. Dans ce dernier cas, la part du gaz naturel dans la production électrique européenne pourrait passer de 16% aujourd’hui à 42%, au détriment du charbon.
A hypothèse de prix des combustibles inchangés(3), RTE estime que les centrales à gaz à rendement élevé (cycle combiné CCG) deviennent compétitives par rapport aux centrales à charbon à rendement faible à partir de 22 €/t de CO2 et par rapport à celles à rendement élevé à partir de 50 €/t de CO2. Précisons ici que la concurrence entre centrales à charbon et à gaz naturel est naturellement impactée par les prix des combustibles mais aussi par leur rendement(4). Ce dernier peut fortement varier d’une centrale à une autre, y compris au sein d'une même filière : il dépasse par exemple 45% dans le cas des centrales au charbon récentes dites « supercritiques »(5) contre 35% en moyenne dans le cas des centrales à charbon construites dans les années 1970.
A moyen et long terme, RTE estime qu’un prix du CO2 élevé accroîtrait la compétitivité relative des énergies renouvelables par rapport aux énergies fossiles et réduirait leur besoin de subventions. Comme pour les énergies renouvelables, l’effet d’une hausse de prix du CO2 resterait « neutre » sur le coût variable de production de la filière nucléaire qui est également « décarbonée ». En cas de hausse importante du prix du CO2, RTE appelle à une vigilance particulière afin de limiter le surcoût qui pourrait en résulter pour les consommateurs (un prix de 100 €/t de CO2 engendrerait un surcoût moyen de 23 €/MWh).
Les mesures envisagées au niveau européen
Face à l’incapacité du marché européen de faire émerger un signal prix « incitatif », la Commission européenne a envisagé différentes mesures pour faire remonter le prix du CO2 dans les prochaines années. A partir de janvier 2019 sera mis en œuvre le mécanisme de « réserve de stabilité de marché » qui consistera à retirer des quotas d’émissions de CO2 lorsque le volume disponible dépassera un certain seuil et à en redistribuer dans le cas inverse. Les conditions d’allocation des quotas d’émission de CO2 seront par ailleurs durcies lors de la 4e phase du marché du carbone européen entre 2021 et 2030(5).
Parallèlement, des pays ont également entrepris de fixer eux-mêmes un prix au carbone dans le cadre de la réduction de leurs émissions. C’est le cas du Royaume-Uni qui a mis en place en 2013 un prix plancher du CO2 (fixé à 18 livres par tonne sur la période 2016/2020) pour les installations électriques. Les exploitants des centrales paient une taxe lorsque le prix sur le marché européen est inférieur à cette valeur comme c'est actuellement le cas. En France, une composante carbone a été introduite dans la fiscalité portant sur les carburants et les combustibles fossiles. D’un montant de 22 €/t de CO2 en 2016, cette composante sera progressivement rehaussée jusqu’à 100 €/t en 2030 selon l’objectif de la loi de transition énergétique.
Rappelons que l’attribution d’un prix au carbone a fait l’objet de nombreuses discussions lors de la COP21 en décembre à Parissans qu’aucune mesure concrète ne figure dans l’accord final de la Conférence Climat. L’Union européenne a confirmé à cette occasion son objectif de réduire de 40% ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 par rapport au niveau de 1990.
Évolution du prix de la tonne de CO2 sur le marché européen (©Connaissance des Énergies d'après EEX)