Chercheur sur la transition énergétique des transports (associé à la Chaire Énergie et Prospérité)
Depuis septembre dernier, l’actualité de la politique des transports et du ferroviaire est chargée : Assises de la mobilité, rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, préparation de la loi d’orientation des mobilités, rapport Spinetta, réforme ferroviaire… sans oublier le long conflit opposant les cheminots de la SNCF au gouvernement.
L’ensemble des évolutions qui en découleront auront un impact à long terme sur les infrastructures de transport et l’aménagement du territoire.
Mais ni les lois en discussion, ni le rapport Spinetta sur « l’avenir du transport ferroviaire » ne s’interrogent vraiment sur la place que devrait occuper le train dans un monde décarboné et aux ressources énergétiques de plus en plus contraintes.
8 à 20 fois moins d’émissions de CO2 que la voiture
Et pourtant, le train apparaît comme un bon élève concernant les émissions de CO2. En effet, alors que le transport ferroviaire représente environ 10% du trafic de voyageurs et de marchandises en France, il n’est responsable que de 1,6% des consommations nationales d’énergie et de 0,4% des émissions de CO2 des transports.
À quoi cela est-il dû ? À une meilleure efficacité énergétique du mode ferroviaire par unité de marchandise ou par passager transporté, et à un mix énergétique peu émetteur de CO2.
Le transport par rail est en effet plus efficace et les trajets sont mutualisés : les trains de passagers en France transportent en moyenne 230 passagers ; contre 1,5 pour les voitures et une vingtaine de personnes pour les transports collectifs routiers.
De plus, bien que seule la moitié du réseau ferré soit électrifiée, il s’agit de la partie du réseau la plus utilisée : plus de 80% des trains y circulent, représentant plus de 90% des kilomètres parcourus par les voyageurs.
En moyenne, les émissions des trains opérés par la SNCF sont de l’ordre de 10 grammes de CO2 par kilomètre parcouru par voyageur, variant de 3,2 g pour les TGV à quasiment 30 g pour le TER moyen. Ceci est dû notamment aux différences en termes de taux de remplissage et d’énergie utilisée.
Ces valeurs sont à comparer avec des émissions de 85 à 205 g de CO2 pour la voiture particulière, selon le nombre de passagers et les types de parcours. Le train émet donc de 8 à 20 fois moins de CO2 que la voiture. Cet ordre de grandeur est également valable sur la comparaison entre transport de marchandises par train ou par poids lourds.
La neutralité carbone d’ici 2050
Le ferroviaire est donc aujourd’hui peu émetteur comparé aux autres modes de transport. Et la place qu’il pourra jouer à l’avenir dans la transition énergétique doit être jugée au regard des objectifs très ambitieux que la France s’est fixée sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le « Plan Climat » présenté en juillet 2017 vise désormais à atteindre la neutralité carbone en 2050. Une baisse des émissions au-delà des - 75% prévus par l’objectif de facteur 4 est donc nécessaire afin que les émissions restantes soient compensées par du captage de CO2, via la séquestration du carbone par les sols et les forêts.
En 2016, la comparaison de 29 scénarios faisait apparaître un rôle fortement croissant du transport ferroviaire.
Pour illustrer cette tendance plus en détails, quatre études récentes permettent de mettre en évidence certains éléments structurants : l’étude réalisée à la demande du Commissariat général au développement durable (CGDD) et publiée en 2016, l’actualisation des visions de l’Ademe de 2017, le scénario négaWatt de 2017 ; et les scénarios de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) sur la mobilité des voyageurs en 2017.
Une place grandissante dans le futur ?
Le développement du transport ferroviaire dans ces scénarios peut se juger au moins sur deux critères, aussi bien pour les voyageurs que pour les marchandises : la croissance des trafics (mesurés en voyageurs.km pour les voyageurs et en tonnes.km pour les marchandises) et l’évolution de la part modale du train dans l’ensemble des modes de transport.
Concernant l’évolution des trafics, tous les scénarios voient une croissance du ferroviaire, de 23 à 102% pour les voyageurs et de 68 à 263% pour les marchandises. En fonction des scénarios, cette augmentation peut provenir simplement d’une augmentation de la demande de transport ; dans d’autres, elle s’explique également par une forte progression des parts modales.
C’est le cas pour les scénarios négaWatt et Ademe qui prévoient une progression des parts modales d’environ 10% à 25%, tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Ces fortes hausses des parts modales du ferroviaire impliquent nécessairement un maillage important du réseau ferré sur le territoire pour capter des parts modales aux modes routiers.
De tels scénarios invitent ainsi à envisager sous un jour nouveau l’avenir des « petites lignes » régionales, qui devraient être développées et rendues plus attractives, notamment via l’amélioration de leur qualité de service et de leur fréquence, en organisant leur sortie progressive du diesel (électrification et train hybride, hydrogène ou gaz) ; ou encore par le développement de l’intermodalité train-vélo.
Cependant, tous les scénarios ne montrent pas une progression importante des parts modales : comme l’illustre le scénario TECH-first, les prévisions misant beaucoup sur la technologie ont tendance à se reposer essentiellement sur l’efficacité énergétique et les changements d’énergie pour baisser les émissions.
C’est aussi le parti pris des scénarios du CGDD qui semblent illustrer une politique des transports actuellement fortement focalisée sur la technologie, et qui manque d’ambition sur les leviers importants que sont la modération de la demande ou le report modal.
Cinq leviers à activer
Le développement du ferroviaire apparaît comme une des évolutions nécessaires pour tendre vers une France neutre en carbone. Non suffisant à lui seul, il s’inscrit parmi les cinq leviers de la transition énergétique dans les transports.
Il doit également s’accompagner d’une modération de la demande (urbanisme durable, réduction des distances, consommations locales), d’un report modal global (vers le vélo, la marche, les transports en commun), d’une hausse du taux de remplissage des véhicules (covoiturage, optimisation de la logistique), d’une amélioration de l’efficacité des véhicules (baisse de leur poids, des vitesses sur les routes, progrès technique) et baisse de l’intensité carbone de l’énergie (via le biogaz, l’électricité, les agrocarburants ou encore l’hydrogène).
Le manque d’ambition des scénarios du CGDD, et donc de la politique actuelle des transports, sur les premiers leviers s’illustre dans les résultats finaux des réductions d’émissions de CO2. En effet, la décarbonation du secteur est quasi-complète pour négaWatt et la réduction est de 92 % pour l’Ademe, dépassant largement l’objectif de - 70%. Au contraire, le scénario SNBC n’atteint que 63% de réduction et n’est pas compatible avec l’objectif de facteur 4, et encore moins avec la neutralité carbone.
Les scénarios atteignant des réductions compatibles avec la neutralité montrent que nous ne pourrons nous passer d’aucun des cinq leviers ; c’est bien leur combinaison et leur complémentarité qui permettront au secteur des transports de faire sa part.
Alors que les ambitions du « plan climat » tardent à se matérialiser à la hauteur des enjeux dans les politiques sectorielles, et au moment de débats intenses sur l’avenir du ferroviaire, il serait utile de s’interroger davantage sur la place du ferroviaire dans l’atteinte des objectifs climatiques et plus globalement dans les enjeux énergétiques de long terme.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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