Francis Duseux préside l’Union française des industries pétrolières. (©UFIP)
Dans le cadre de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), un débat public est organisé jusqu’au 30 juin 2018 par la CNDP (Commission nationale du débat public). L’un des temps importants de ce débat a lieu samedi 9 juin, avec la réunion à Paris d’un panel de 400 citoyens, baptisé « G 400 », invité à se prononcer sur les discussions en cours.
Connaissance des Énergies consacre une semaine de publications à la révision de la PPE, en interrogeant quelques grands acteurs impliqués sur leurs constats et attentes. Aujourd’hui, la parole est à… Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP).
Près de trois ans après l’adoption de la loi de transition énergétique, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la situation énergétique française ?
Mon regard est plutôt très négatif sur ce qui a été fait jusqu’à maintenant. Le pétrole compte pour près de 46% de la consommation finale d’énergie en France. Cette contribution très importante doit être prise en compte. Nous avons subi une grosse attaque frontale avec la loi Hydrocarbures votée fin décembre 2017 qui consiste à interdire à l’horizon 2040 l’exploration et la production de pétrole conventionnel, sachant qu’il n’était même pas question de parler de pétrole de schiste…
Le ministère présente cette loi comme une réussite fondamentale de la transition énergétique alors qu’elle n’a aucun sens. On veut donner l’exemple au reste du monde mais va-t-on vraiment influencer la politique de production aux États-Unis, en Arabie saoudite, en Russie ou ailleurs ? Cette loi nous a autant affectés d’un point de vue symbolique qu’économique. Nous avons néanmoins obtenu une prolongation des permis pour permettre aux exploitants qui ont investi de ne pas subir un handicap financier trop important.
Tous les experts sont d’accord, y compris l’Ademe, que nous aurons encore besoin de pétrole en 2040, certes en beaucoup plus faibles quantités pour les carburants mais au moins pour la chimie, les bitumes, le transport maritime et aérien. Partant du principe que des quantités significatives de pétrole seront encore nécessaires à cet horizon, c’est une grosse bêtise de ne plus vouloir le produire en France et de l’importer. Cela aggravera notre déficit commercial, cela entraînera davantage d’émissions de CO2 pour transporter le pétrole et cela ne permettra pas de contrôler les conditions d’exploitation comme en France.
Je ne comprends donc pas la politique énergétique française qui n’est pas basée sur des approches solides, avec des vraies études d’impacts. Il faut expliquer aux Français les coûts, les conditions de financement, les conséquences pour chacun...
Quelle est la situation actuelle de l’industrie pétrolière en France ?
L’industrie pétrolière compte près de 200 000 emplois directs et indirects. Elle est peu intensive en main d’œuvre car très automatisée.
Le raffinage français a vécu une restructuration musclée, avec la fermeture de 5 raffineries en 5 ans en raison de marges déprimées. Ces marges très volatiles sont remontées avec la hausse des cours. Il reste 7 raffineries en fonctionnement sur le territoire après la conversion du site de Total de la Mède en bio-raffinerie. La capacité actuelle de raffinage est désormais bien adaptée alors que la demande française de carburants ne baisse plus depuis 3 ans.
Nous disposons par ailleurs en France d’une logistique exemplaire (ndlr : Francis Duseux a été par le passé responsable de la logistique en Europe pour ExxonMobil), avec deux ports en eaux profondes au Havre et à Fos-sur-Mer, 6 000 km de pipelines, 200 dépôts, 11 000 stations-service...
Il y a toutefois un bémol : le nombre de stations-service en France, qui avoisinait 40 000 il y a 25 ans, a été quasiment divisé par 4. Cela commence à peser dans les zones rurales reculées où les personnes doivent faire 30 à 40 km pour faire le plein. Les coûts d’approvisionnement étant importants pour des volumes faibles, de nombreuses stations qui n’étaient plus rentables ont fermé et les grandes surfaces ont pris leur part de marché. Pour ces dernières, il s’agit d’un produit d’appel.
Les grands groupes pétroliers ont donc été amenés à restructurer ce réseau de stations-service. Si la consommation de carburants continue à baisser – ce qui est probable – ce maillage sur toute la France risque de souffrir encore un peu plus. Cela pourrait poser un problème de coûts et de mobilité pour des personnes habitant dans les zones reculées. Quelques dizaines de maires décident d’ailleurs actuellement de rouvrir des stations-service sur leurs propres deniers, cela devient presque un service public…
Il est également beaucoup question d’électricité dans les débats autour de la PPE (le fioul ne comptait que pour 0,7% de cette production en 2017)…
Le débat sur l’énergie en France est essentiellement tourné vers l’électricité. C’est le vecteur du XXIe siècle dans un monde qui se digitalise mais la volonté de remplacer le nucléaire par des renouvelables ne tient pas la route : on veut remplacer un allié du climat qui a une production continue par de l’intermittent. Une telle décision entraînerait soit la construction en parallèle de centrales à gaz ou au charbon alors qu’on est en train de fermer ces dernières, soit davantage d’importations en l’absence de vent et de soleil, par exemple depuis l’Allemagne où 40% de la production électrique provient du lignite.
La France n’est pas le mouton noir en matière d’émissions, bien au contraire. Grâce à notre production électrique reposant à 70% sur le nucléaire, nos rejets de CO2 sont exemplaires parmi les pays industrialisés. Un Français émet approximativement 5 tonnes de CO2 par an, contre 9 t de CO2 pour un Allemand et 15 t de CO2 pour un Américain.
L’Allemagne constitue le meilleur exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Après Fukushima, ce pays a décidé d’arrêter le nucléaire et, pour compenser cet arrêt, a reconstruit 9 centrales au gaz et 10 centrales au charbon en exploitant du lignite. Il faut bâtir une politique énergétique européenne solide avec des interconnexions, une optimisation, un vrai poids politique pour les importations.
Les transports ont compté pour près de 28,5% de la consommation finale d’énergie en France en 2016. Les produits pétroliers satisfont encore près de 91% des besoins du secteur(1). Quelles évolutions envisagez-vous ?
La croissance économique va systématiquement générer du transport supplémentaire. Le transport est à l’amont et en aval de toutes les industries. Les besoins en énergie et en gazole ne sont donc pas près de disparaitre.
La réduction des consommations constitue la voie la plus prometteuse. Un petite voiture à essence neuve consomme aujourd’hui près de 4 litres aux 100 km, contre près de 10 litres aux 100 km il y a 10 ou 12 ans.
Rappelons que près de la moitié des 40 millions de tonnes de diesel consommées chaque année en France est aujourd’hui importée. Les véhicules diesel représentent désormais moins de la moitié des ventes de véhicules légers neufs, contre 70% il y a peu. La consommation de gazole va donc être progressivement réduite mais la durée du parc automobile est actuellement de 14 ans et elle risque de s’allonger. Ceux qui ont acheté des véhicules diesel, dont la cote baisse, vont les garder plus longtemps compte tenu de la fiabilité de leurs moteurs. Il faudra donc au moins 15 ans pour voir des inflexions majeures.
Total a annoncé mi-avril 2018 un accord portant sur l’acquisition de Direct Energie. Comment les compagnies pétrolières prévoient-elles de diversifier leurs activités ?
Tous les pétroliers, même les Américains qui ont été plus en retard, se diversifient et font des recherches. Il faudra beaucoup d’argent pour développer les énergies alternatives. Les pétroliers sont des acteurs qui peuvent consacrer beaucoup de ressources en recherche et développement et qui possèdent des technologies et la connaissance du marché mondial de l’énergie. Ils seront des contributeurs majeurs dans la transition énergétique.
Le charbon, l’ennemi numéro 1 du climat, compte aujourd’hui pour 40% de la production d’électricité dans le monde. La baisse du charbon ne sera pas compensée par du nucléaire et les filières renouvelables sont encore coûteuses avec une production intermittente. Le gaz est donc la principale solution pour la production électrique. Toutes les compagnies pétrolières représentées dans l’UFIP deviennent ainsi de plus en plus des sociétés gazières.
Dans les grands pays de l’OCDE et en particulier en France, il est probable que la consommation de pétrole va baisser mais celle de gaz devrait croître. Selon nos estimations, 20% de la flotte de poids lourds sera par ailleurs alimentée au gaz dans les 20 années à venir. Nous nous préparons à cette évolution, comme dans le transport maritime, où les bateaux fonctionnant au gaz pourraient atteindre une part de marché similaire à l’horizon 2040. Ce sont des changements assez majeurs.
Il y a trois voies essentielles sur lesquelles nous travaillons : certaines sociétés se diversifient dans l’électricité comme Total qui va jusqu’au consommateur final, d’autres font de la recherche sur ces carburants moins carbonés comme les biocarburants de 2e génération, de nombreuses réflexions portent enfin sur les puits de carbone, par exemple avec la capture de carbone dans les anciennes mines mais aussi à travers la promotion de la sylviculture.
En France, la surface de forêts pourrait être doublée en 20 ans en remplaçant les taillis par des futaies. Un professionnel m’a indiqué que 100 millions d’euros d’investissements par an seraient nécessaires. Du bois serait produit par la même occasion pour de nombreux usages : construction de maisons, isolation des bâtiments, chauffage… Si 100 millions d’euros par an suffisent à cet objectif de reforestation de la France, cela pourrait représenter des taxes supplémentaires de seulement 0,2 centime d’euro par litre de carburant ou une réaffectation de 0,2 centime d’euro par litre des taxes existantes.
Selon vous, la lutte contre le changement climatique doit donc avant tout passer par le recours à ces puits de carbone ?
Nous sommes convaincus que la part du pétrole et du gaz va rester prépondérante à l’horizon 2040, au moins à hauteur de 50% du mix mondial, y compris dans un scénario 2°C. Contrairement à ce que certaines ONG voudraient faire croire, les énergies fossiles vont rester assez fondamentales, du temps sera nécessaire à une transition plus profonde.
COP après COP, communiqués après communiqués, on se réunit 10 ou 12 jours mais il n’y a pas de conclusion claire… Tous les experts s’accordent à dire qu’il faut trouver un moyen de réduire rapidement le charbon pour la production d’électricité. La seule décision qui devrait être prise au niveau mondial serait la mise en place d’une taxe carbone la plus internationale possible, faute de quoi il y aura des fuites de carbone. Cela permettrait de réduire la consommation mondiale de charbon et de freiner ce qu’il reste de pétrole « brûlé ». Si la France agit seule, elle fermera ses usines sans rien gagner. Il faudra naturellement trouver des compensations financières pour un pays comme la Pologne qui vit du charbon.
Quelles sont aujourd’hui vos recommandations prioritaires pour les deux périodes de la PPE ?
Chaque décision prise doit faire l’objet d’une analyse et de scénarios, au lieu de lancer des pourcentages pour faire plaisir à certains… Il s’agit donc d’une demande ferme de méthodologie puisque les mesures pratiques sont déjà prises. Si la mise en service d’un parc photovoltaïque génère la fermeture de deux raffineries où travaillent 1 000 personnes, les gains sont discutables...
La fiscalité écologique sur les carburants est aujourd’hui punitive et la loi de finances prévoit une aggravation de cette fiscalité. Quand vous payez 1,6 € votre litre d’essence, 60 centimes viennent du prix du brut, de la marge de raffinage et de distribution et 1 € des taxes. Sous prétexte d’écologie, on oublie totalement les problèmes sociaux que cela pose.
Près de 80% des Français ont besoin de leurs véhicules pour aller travailler, faire les courses et conduire les enfants à l’école. On l’oublie parfois lorsqu’on habite à Paris ou dans les grandes villes. Tant qu’on n’aura pas mis au point un changement de société, en offrant aux personnes des zones qui en sont encore dépourvues des moyens de transport en commun ou d’autres habitudes de transport, on n’aura pas résolu le problème de la voiture individuelle.
Nous nous battons également contre la suppression des ventes de véhicules thermiques à l’horizon 2040 décidée de façon unilatérale. Nous oublions de prendre en compte le poids carbone sur l’ensemble des cycles de vie. Un véhicule électrique sur la chaîne de fabrication a par exemple déjà généré, avec sa batterie, 4 fois plus de CO2 qu’un véhicule thermique normal. L’installation d’une éolienne nécessite aujourd’hui près de 150 tonnes d’acier et 400 tonnes de béton.
Comme tous les industriels en France, nous souffrons enfin d’un excès de réglementations franco-françaises qui nous pénalisent. C’est le grand défaut de la France que nous regrettons régulièrement. Nous plaidons pour davantage de simplification et une approche européenne.
Et à plus long terme ?
Il ne faut pas s’appuyer sur la peur. En matière de transition énergétique, et nous sommes tous concernés, tous d’accord pour y contribuer, nous devrions être plus pragmatiques. Clarifions les choses, mesurons, évaluons, promouvons les économies d’énergies, le recours aux énergies renouvelables là où c’est justifié, valorisons les déchets, recyclons plus, consommons moins et mieux…
Le problème démographique de la planète est complètement absent du débat sur l’énergie. Nous sommes 7,2 milliards de personnes sur Terre et la population pourrait s’élever à la fin du siècle à 9,2 milliards, voire 10 milliards.
Le deuxième grand problème est la recherche constante d’une croissance maximale. La croissance mondiale pourrait atteindre 3,9% en 2018. Je ne crois pas que l’on puisse conserver une croissance de 5% par an en Chine ou de 3,5% aux États-Unis. Une telle croissance est démesurée et augmente fortement la consommation d’énergie. Il faut se reposer des questions plus fondamentales sur le modèle dans lequel on veut vivre…