(©EDF)
Neuf ans après le rachat controversé de la branche énergie d'Alstom par GE, promu alors par le ministre de l'Économie Emmanuel Macron, ses activités nucléaires ont donc regagné le giron d'un groupe français, EDF, à la faveur d'une relance du programme nucléaire national.
L'importance de ces turbines pour la filière nucléaire
Les turbines sont une pièce essentielle de la centrale nucléaire : la vapeur générée par les réacteurs fait tourner la turbine, entraînant l'alternateur qui produit l'électricité.
Elles sont les plus puissantes du monde et d'une taille colossale : les turbines Arabelle destinées à la future centrale nucléaire britannique de Hinkley Point C seront par exemple plus longues qu'un Airbus A380.
Fabriquées à Belfort, ces machines représentent la moitié du marché mondial, face à celles des concurrents comme Mitsubishi ou Siemens. L'activité est présente dans 15 pays, notamment pour la maintenance. Les activités nucléaires et les équipes concernées par l'opération envisagée sont situées à près de 70% en France : environ 2 500 salariés en France (1 343 à Belfort), et 3 400 au niveau mondial.
Ces turbines à vapeur sont un actif stratégique pour la filière nucléaire. Elles pourront notamment équiper les réacteurs de technologie EPR et EPR2 ainsi que les SMR (Small Modular Reactor).
Rachat des activités énergie d'Alstom par GE
En 2015, la prise de contrôle des activités énergie du français Alstom par l'américain General Electric avait permis de sauver l'entreprise, mais la vente avait été controversée.
Notons que le rachat avait été associé à des garde-fous, compte-tenu de la nature stratégique des turbines pour la France, qui en avait conservé la propriété intellectuelle. L'État avait aussi conservé une action préférentielle ("golden share") dans GE Steam Power (GEAST).
Ce choix de vendre à GE la branche énergie d'Alstom, validé par Montebourg et Hollande, a été régulièrement reproché à M. Macron. « C'était ça ou l'arrêt. J'ai défendu que c'était mieux que la suppression complète des activités ou le choix de désinvestir. C'est la vie industrielle », a fait valoir celui qui est depuis devenu chef de l'Etat. Pour lui, la vente de la branche énergie avait « évité à Alstom de s'effondrer », et avait même aidé le groupe à « devenir un grand champion du transport ».
Il ajoute que « compte tenu de son histoire, sa structure capitalistique, son emprise, l'État avait à en connaître, y compris aussi parce qu'il peut bloquer certains types d'investissements (jugés comme stratégiques, NDLR). Mais d'abord, c'était le choix d'une entreprise privée ». L'Etat a « subi la décision, puis il l'a améliorée », assure-t-il aujourd'hui, alors que « le choix de GE présentait une forme de logique ».
Reprise des turbines de GE Steam Power par EDF
Au printemps 2021, le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire avait annoncé chercher « une solution française pour les turbines Arabelle », afin de « sécuriser cet actif unique, les compétences qui vont avec et qui sont indispensables à notre avenir énergétique ».
Le 10 février 2022, EDF a signé un accord d'exclusivité pour le rachat d'une partie de l'activité nucléaire de GE Steam Power, dont les turbines à vapeur Arabelle.
L'accord définitif de cession de la branche nucléaire de GE à EDF avait été signé en novembre 2022, en pleine renationalisation de l'énergéticien français.
Prévue pour le 1er décembre 2022, l'officialisation du rachat a été repoussé pour régler les ultimes détails de la négociation. Mais la présence parmi les clients de GE du groupe russe Rosatom semble être un obstacle à la finalisation de la transaction, du fait de l'invasion russe en Ukraine et des sanctions qui en ont découlé pour Moscou.
Le rachat par EDF des activités nucléaires de General Electric (GE) a enfin été finalisé le 31 mai 2024.
L'opération porte sur les équipements d'îlots conventionnels de GE Steam Power pour les nouvelles centrales nucléaires - dont les turbines Arabelle, ainsi que sur la maintenance et les mises à niveau des centrales nucléaires existantes.
EDF aurait déboursé environ 200 millions de dollars pour cette transaction, une fois pris en compte les liquidités et dettes de l'activité rachetée. L'activité qui sera acquise par EDF est valorisée au total 1,1 milliard de dollars, du fait d'une trésorerie importante.
L'acquisition permet à EDF de renforcer sa maîtrise des technologies et compétences clés pour le parc en exploitation et pour les projets de nouveaux réacteurs nucléaires en France. Le groupe était toutefois réticent au départ, son métier étant de produire et vendre de l'électricité comme "architecte ensemblier" de centrales et non fabricant de pièces. De plus, ils pouvaient mettre en concurrence GE et Siemens et négocier les coûts.
« Aujourd'hui, nous avons Orano, contrôle public, pour les combustibles, même chose avec Framatome sur les cuves, même chose maintenant avec EDF sur la réalisation, y compris avec les turbines Arabelle qui vont revenir sous le contrôle d'EDF », avait déclaré M. Le Maire, ministre de l'Economie.
Côté GE, le groupe continuera à fournir ses services pour plus de 100 GW d'îlots de turbines nucléaires sur son marché américain, et conserve GE-Hitachi Nuclear Energy. Il préfère aussi se recentrer sur des activités sur lesquelles il estime avoir une vision de long-terme : gaz, renouvelables, réseaux.
Le groupe américain a été fortement critiqué par les salariés pour n'avoir pas fait prospérer l'activité en France, et avoir supprimé des emplois au lieu d'en créer comme promis. Depuis 2015, la branche a connu deux plans de sauvegarde de l'emploi et une rupture conventionnelle collective : 30% des salariés sont partis.
Un salarié résume ainsi la situation : « On n'aurait jamais dû être vendu, même si à l'époque c'était mal géré. En quatre ou cinq ans, le savoir-faire est parti. Il n'y a eu aucune politique de formation, et beaucoup de gens sont partis. Et pourtant quand vous avez une pièce de 300 tonnes, que vous la mettez en usinage au centième de millimètre, ça ne s'apprend pas du jour au lendemain ».