- AFP
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L'Allemagne va ouvrir les vannes de la dépense pour se réarmer et relancer son activité économique. Après le vote des députés en début de semaine, c'est le Bundesrat, la chambre des régions, qui a approuvé vendredi le plan d'investissement du futur gouvernement, dernière étape pour prendre ce tournant budgétaire inédit.
- Qu'est-ce qui change ?
Pour affronter les bouleversements géopolitiques, le plan du chef des conservateurs Friedrich Merz, futur chancelier, repose sur deux piliers : une réforme du "frein à l'endettement", dispositif constitutionnel qui limite la capacité d'emprunt du pays, et un fonds géant d'investissements pour les infrastructures.
Toutes les dépenses de défense dépassant 1% du Produit intérieur brut (PIB) ne seront plus décomptées dans ce mécanisme de frein qui limite le déficit budgétaire annuel du gouvernement.
Berlin fait ainsi d'une pierre deux coups: il n'y aura de facto plus de plafond à l'emprunt pour les dépenses militaires, et le gouvernement récupère une marge de manoeuvre budgétaire annuelle de près de 20 milliards d'euros en sortant la défense des calculs de déficit.
Le fonds spécial pour les infrastructures aura un volume de 500 milliards d'euros sur 12 ans dont 100 milliards seront fléchés vers les projets contribuant à la transition climatique.
Enfin, les États régionaux seront autorisés à faire du déficit, jusqu'à 0,35% du PIB allemand chaque année.
Soit au total, un stimulus colossal de plus de 1.000 milliards d'euros pour la prochaine décennie.
- De quoi le pays a-t-il besoin ?
Coté défense, l'armée allemande "a toujours trop peu de tout", selon l'évaluation annuelle de la commissaire à la Défense du parlement Eva Högl, même si l'électrochoc de la guerre en Ukraine a fait bouger les choses.
C'est le résultat de décennies de sous-investissement: Berlin s'est placé depuis 1945 sous la protection américaine au sein de l'Otan et a encore réduit son budget militaire après la fin de la Guerre froide.
Les dépenses militaires allemandes ont atteint 2% du PIB - l'objectif de l'Otan - pour la première fois l'an dernier. Un nouvel objectif de 3% du PIB a été évoqué par le ministre de la Défense, ce qui représenterait environ 129 milliards d'euros par an sur la base du PIB 2024.
Longtemps obsédée par la discipline budgétaire, l'Allemagne doit aussi moderniser routes, réseaux ferrés, écoles, hôpitaux.
La première économie européenne était au 27ème rang mondial pour la qualité des infrastructures en 2024 dans le Global Innovation Index - contre le 12ème rang en 2020.
Au moins 5.000 ponts sont ainsi à rénover dans le pays, selon le ministère des Transports qui évalue les besoins à 220 milliards d'euros d'ici 2029 pour son seul ressort.
- Quels effets sur l'économie ?
Alors que la première économie européenne risque d'encaisser une troisième année de récession d'affilée, le fonds spécial infrastructure pourrait ajouter un point de plus à la croissance dès 2026 puis 2 points par an par la suite, selon l'institut économique DIW.
Holger Schmieding, analyste de Berenberg estime que le gain de PIB sera plus limité, de l'ordre de 0,3 point au cours des prochaines années.
Grands gagnants du "bazooka" budgétaire : les entreprises d'armement, dont le cours de bourse s'envole, et le secteur de la construction qui se prépare à un "nouvel âge d'or".
L'industrie allemande, en panne de compétitivité, pourrait bénéficier d'un coup de pouce sur les coûts de l'énergie grâce à la baisse programmée de taxes sur l'électricité et les réseaux.
La dette allemande va augmenter mais au niveau actuel de 63% du PIB -contre près de 115% pour la France-, le pays a encore une marge confortable.
Les milliards de dépenses allemandes devraient stimuler la croissance de la zone euro de 0,2 point en 2025 et 0,7 point en 2026, selon Xavier Chapard, analyste pour LBPAM.
- Quelles sont les limites ?
Le quotidien économique Handelsblatt met en garde contre les mirages de cette "Deutsche Vita" financée par la dette : l'argent ne suffira pas à redresser la compétitivité de l'industrie allemande qui a besoin d'améliorer sa productivité et manque cruellement de travailleurs qualifiés.
"Une infrastructure moderne est essentielle pour l'une des plus grandes économies du monde, mais elle ne stimule pas en soi l'innovation, la transformation ou les nouvelles opportunités de croissance", souligne l'analyste d'ING Carsten Brzeski. Le prochain gouvernement devra mettre en oeuvre de "véritables réformes structurelles", souligne-t-il.
Autre limite: "de nombreuses institutions publiques n'ont pas les capacités et les compétences pour mettre en oeuvre efficacement de grands projets d'infrastructure. Les capacités sont également limitées dans le secteur privé" faute de main d'oeuvre, souligne l'institut économique DIW.
Le risque est aussi politique pour Friedrich Merz qui a effectué un virage à 180 degrés après avoir fait campagne sur la rigueur budgétaire. Le parti d'extrême droite AfD ne cesse de dénoncer "un coup d'état financier".
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